METIERS DE LA MER
   
  MANIGUIERS
         
 
 
         
 

Maniguiers


L'interdiction décidée par le Conseil d'Etat le 3 octobre 1702 de construire des pêcheries fixes dans les canaux, en particulier dans celui aménagé l'année précédente par la Province du Languedoc, entraîna la disparition des maniguiers qui pratiquaient la pêche aux engins dans les étangs salés du littoral méditerranéen. Sous la Restauration, il ne restait plus que trois maniguières.

 

Au 1er siècle, Pline l'Ancien a décrit la pêche collective qui était pratiquée à l'embouchure de la rivière Lez. A la période où les mulets et autres poissons veulent sortir en mer pour hiberner, les villageois se réunissaient alors sur le rivage et criaient "Simon, Simon". Porté par le vent du Nord, cet appel avait pour but d'attirer les dauphins qui formaient alors une véritable barrière devant l'embouchure. Montés sur des barques, les pêcheurs jetaient leurs filets appuyés sur des fourches ; les mulets qui sautaient par-dessus étaient attrapés par les dauphins. Ceux-ci restaient dans les parages jusqu'au lendemain. En effet, outre une partie du produit de la pêche, les pêcheurs leur jetaient une pâte composée de pain et de vin dont les dauphins raffolaient.

 

Cette pêche quasi miraculeuse était très saisonnière. Mais la présence d'une telle quantité de poissons dans des eaux libres de toute tempête ne pouvait qu'inciter les riverains à s'organiser. Cependant, la série des étangs languedociens qui bordent le rivage entre Sète et Aigues-Mortes font 2 à 3 km de large et leur exploitation rationnelle nécessitait des aménagements coûteux en même temps que risqués. En effet, les "graus", passages à travers la bande sablonneuse qui mettent en liaison la mer et les étangs, se déplacent au gré des courants.

 

Les maniguiers utilisaient deux techniques : la première consistait à construire sur quelques dizaines de mètres près de la rive une palissade rectiligne de roseaux pour guider le poisson vers un filet nasse qui était relevé chaque jour à pied ou en barque. Selon le cartulaire de Maguelone, 13 maniguiers utilisaient cette technique en 1302 dans l'étang d'Aygues.

 

La seconde méthode, beaucoup plus productive mais également beaucoup plus coûteuse, consistait à édifier un immense piège fixe pour attraper le poisson lorsqu'il veut aller d'un réservoir à l'autre. Ce piège était composé d'une longue levée de 4 m de largeur, construite de pierres et de terre sur laquelle était plantés en zigzag des pieux de tamaris qui formaient ainsi un labyrinthe jusqu'à une sorte de goulet ou bourdigue ; il suffisait d’y puiser le poisson à l'aide d'un "salabre". Ce labyrinthe menait, également à une seconde chambre munie d'un filet spécial à poches pour les anguilles. Pour permettre la navigation, le maniguier plaçait des filets dits " capoulières ", qui étaient noyés lors du passage d'une embarcation. Cette technique impliquait un investissement important et on vit des associations se constituer entre notables, en particulier entre marchands poissonniers et notaires de Montpellier. Ceux-ci affermaient ensuite l'exploitation, généralement pour 5 ans, à un pêcheur avec la cabane attenante pour une rente annuelle et un cinquième des prises. Le maniguier profitait de la période d'interdiction de la pêche, de la conversion de Saint Paul (29 janvier) à la fête Notre-Dame (15 août) pour construire la palissade ou faire les réparations nécessaires. En effet, pour organiser le passage et le frai des poissons, les maniguiers devaient déclarer leurs engins à la Saint Paul sous peine d'une amende de 60 sols tournois et la saisie de leur barque.

 

Tous les maniguiers devaient se rassembler avec leurs aides à la cabane de Carnon après la Saint-Michel pour entendre la proclamation des règlements, la lecture des rôles et prêter le serment d'inféodation au propriétaire des étangs, c'est-à-dire pour l'essentiel à l'évêque et au prévôt des chanoines de Maguelone (l'évêché fut transféré à Montpellier en 1536). Ainsi, le 6 novembre 1451 les 32 maniguiers assemblés étaient autorisés à pêcher dans les étangs de Melgueil et de Carnon. La maniguière d'Arbalestroas sur le site actuel de Palavas les Flots, existait déjà en 1338. Cinq siècles et demi plus tard, il n'en restait plus qu'une près des Salins de Villeneuve sur le même étang. Le dernier maniguier de l'étang de Prévost fut contraint en 1862 de faire des brèches tous les 25 mètres dans sa palissade, la rendant ainsi totalement improductive