LES FABLES DE LA FONTAINE

 

   
 L'Huitre et les Plaideurs
     

Un jour deux pèlerins sur le sable rencontrent

Une huître, que le flot y venait d’apporter :

Ils l’avalent des yeux, du doigt ils se la montrent ;

A l’égard de la dent il fallut contester.

 

L’un se baissait déjà pour amasser la proie ;

L’autre le pousse et dit : « Il est bon de savoir

Qui de nous en aura la joie.

 

Celui qui le premier a pu l’apercevoir

En sera le gobeur; l’autre le verra faire.

 

- Si par là l’on juge l’affaire,

Reprit son compagnon, j’ai l’œil bon, Dieu merci.

- Je ne l’ai pas mauvais aussi,

Dit l’autre ; et je l’ai vue avant vous, sur ma vie.

 

- Eh bien, vous l’avez vue ; et moi, je l’ai sentie.»

Pendant tout ce bel incident,

Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge.

Perrin, fort gravement, ouvre l’huître et la gruge,

Nos deux messieurs le regardant.

 

Ce repas fait, il dit d’un ton de président :

« Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille

Sans dépens, et qu’en paix chacun

chez soi s’en aille. »

 

Mettez ce qu’il en coûte à plaider aujourd’hui ;

Comptez ce qu’il en reste à beaucoup de familles,

Vous verrez que Perrin tire l’argent à lui,

Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles.

 

 

Illustration de Gustave DORE