| ||||||
| ||||||
| ||||||||
Agon voitures revenant du varech. Collection CPA LPM 1900 | ||||||||
DIDEROT & d’ALEMBERT Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers 1751-1770 | ||||||||
S. m. (Botan.) plante maritime, nommée par Tournefort, fucus maritimus vesiculas habens, I. R. H. Cette herbe se nomme en Bretagne gouémon ; sur les côtes du pays d'Aunis, sar ; & sur les côtes de Normandie, varech, nom qui s'étend même sur tout ce que la mer jette sur ses bords ; d'où vient le droit de varech que dans cette province les seigneurs de fiefs voisins de la mer prétendent avoir sur les effets qu'elle jette sur le rivage ; il est vraisemblable que ce mot dérive de l'anglois wrack ou wreck, qui signifie naufrage, vieux mot normand que ce peuple a porté en Angleterre.
Quoiqu'il en soit, le varech est une espece de fucus des botanistes ; c'est une plante maritime qui pousse plusieurs petites tiges plates, étroites, mais qui s'élargissent peu-à-peu en croissant, & qui se divisent en petits rameaux, portant des feuilles larges, oblongues, ayant quelque ressemblance à celles du chêne, cependant plus petites, attachées avec leurs tiges par une substance tenace, pliante, membraneuse, ordinairement lisses, quelquefois velues ou couvertes d'un poil blanc ; c'est peut-être la fleur de la plante qui est suivie de graines rondes ; il s'y éleve aussi des tubercules vuides, en forme de vessies, tantôt oblongues, tantôt rondes, tantôt plus grosses, tantôt plus petites. Cette plante est souvent basse, & quelquefois elle croît jusqu'à la hauteur d'un pié & demi : pendant qu'elle est récemment cueillie, elle a une vilaine couleur jaune-verdâtre ; mais si on la fait sécher, elle devient noire, principalement celle qu'on a tirée des rivages sablonneux de la mer. On se servoit autrefois en Crete de cette plante au rapport de Pline, l. XXVI. c. x. pour teindre en pourpre. Horace, ode V. l. III. le confirme, en disant :
| ||||||||
| ||||||||
Nous avons perdu ce secret, & nous ne connoissons point d'espece de fucus qu'on emploie à aucune teinture. Son seul usage en quelques endroits est à fumer les terres ; & en Normandie, à brûler, pour faire cette sorte de soude, qu'on nomme soude de varech, qui se consume en quantité à Cherbourg pour fondre le verre, soit en table, soit en plat. | ||||||||
| ||||||||
Coutainville construction d’une Drome de varech en 1908. Collection CPA LPM 1900 ( Drôme: tas ou meulons, panier plat rond en osier sur lequel on tire le varech vers la côte à marée haute ) | ||||||||
Lorsque les pêcheurs ou les riverains qui n'ont pas de bateaux ou gabares, trouvent à la basse eau une grande quantité de gouémon, ou qu'ils en font la récolte dans le tems permis & réglé par l'ordonnance, ils ramassent les herbes marines, en font de gros tas ou meulons, qu'ils lient comme ils peuvent avec de mauvais cordages souvent seulement avec du chanvre retors & mal fabriqué ; plusieurs personnes se mettent sur ce gouémon avec des perches, & attendent que le flot souleve leur meulon pour le conduire à la côte au-dessus du plain, & pouvoir ensuite plus aisément l'emporter en haut sur les terres ; si la marée est tranquille & la mer étalle, ils y abordent aisément ; mais pour peu qu'il fasse de moture, & que le vent soit contraire, ils ont peine à gagner le bord ; & si les vagues s'augmentent, comme il arrive souvent sur le coup de la pleine mer, & qu'elles entament tant-soit-peu ces meulons, ils se dissipent & s'éboulent aussitôt ; & pour lors, les hommes & les femmes qui s'y sont exposés, tombent à la mer, & sont souvent noyés, sans qu'on puisse leur donner aucun secours, & il n'est que trop ordinaire dans les paroisses où ces sortes de meulons sont en usage, de voir périr quantité de personnes, & même des familles entieres ; c'est le sujet des remontrances des recteurs des paroisses riveraines, le motif que le seigneur évêque diocésain a eu d'en faire un cas réservé ; ainsi ces meulons doivent être défendus, à peine de punition corporelle ; & les syndics ou gardes jurés des pêcheurs doivent être chargés, lorsqu'ils seront établis le long des côtes de cette province, d'y tenir la main, & de dénoncer aux Officiers du ressort les riverains qui auront contrevenu à la défense.
Les laboureurs emploient le gouémon de différentes manieres ; les uns le répandent sur les terres lorsqu'ils l'ont recueilli à la côte, ou qu'il a été nouvellement coupé ; mais la plûpart en font des fumiers qu'ils nomment mains, qu'ils composent de gouémon, des fumiers de bestiaux & de terres franches, qu'ils laissent consommer ensemble, & qu'ils répandent ensuite sur leurs terres ; un laboureur est estimé d'autant plus à son aise, qu'il a nombre ou quantité de ces mains.
Il y a le long de ces côtes grand nombre de gabares gouémonnieres qui font pendant tout le cours de l'année uniquement le commerce du gouémon, qu'ils ne discontinuent que durant la saison de la pêche du maquereau, où elles sont alors destinées, & dont les équipages sont composés de ces riverains hommes & femmes.
L'ordonnance n'ayant pas pourvu à une pareille témérité, sa majesté intéressée à la conservation de ses sujets, n'a pas mis une police pour contenir ces malheureux riverains : les évêques avertis des malheurs qui arrivent à cette occasion par les recteurs qui les en ont informés, ont fait un cas réservé de cette récolte à eux seuls, pour contenir ceux qui s'expose-roient à périr en se mettant sur ces meulons, c'est tout ce que le juge ecclésiastique a pu de sa part.
| ||||||||
La pêche au varech à Saint-Martin-de-Bréhal Collection CPA LPM 1900 | ||||||||