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Ruines du château de Mortain CPA LPM 1900 |
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Hippolyte Sauvage 1890
Donjons ou retraites de brigands ont été longtemps synonymes dans le langage du peuple. A l'en croire, souvent ils ont servi de remparts aux barons de haubert pour abriter leurs dérèglements, d'asiles pour cacher leurs hontes, et de forteres-ses pour opprimer leurs victimes. Il n'est guère de château, véritable nid d'aigle hérissé à la crète des montagnes, sur lequel il ne circule quelque sombre histoire. Celui de Mortain a la sienne : écoutons-la.
Enlevée à sa famille, une jeune fille, dont la beauté sans exemple a frappé les yeux du gouverneur du château, est enfermée dans l'une des salles hautes du donjon. Elle est de noble lignée, mais ni sa naissance, ni sa grâce, ni ses larmes n'ont pu attendrir son geôlier. Sa famille a épuisé tous les moyens en son pouvoir pour arriver jusqu'à elle. Nul ne sait, du reste, quel est son ravisseur ; tous ignorent le lieu où celui-ci a déposé son larcin.
Cependant toutes les tentatives faites par le gouverneur auprès de sa belle prisonnière ont été infructueuses. Vouée dès l'enfance à la Sainte Vierge, la jeune fille invoque constamment le secours de sa puissante patronne. Son unique confiance est dans la mère des affligés. Abandonnée des hommes, qui l'oublieront bientôt, elle n'a d'espoir que dans le ciel.
Marie jouit pourtant d'une liberté apparente. Il lui est même loisible, au bout de quelque temps, de circuler dans les cours du château, dans l'enclos planté d'ar-bustes qui sert de jardin, et dans les divers bâtiments dépendant de la forteresse. Le geôlier espère avec le temps parvenir à se faire aimer, car elle lui a inspiré de tels sentiments qu'il a oublié jusqu'aux entraînements de la séduction.
Un souterrain, dont elle découvre bientôt l'entrée, peut favoriser sa fuite. Il est sous le donjon même. Marie n'hésite pas. Elle s'avance intrépidement dans la galerie souterraine et ténébreuse : la Sainte Vierge la guide. Appuyant ses mains contre les murailles, elle marche bien longtemps dans l'obscurité, se heurtant parfois à un bloc échappé de la voûte ; parfois se frappant la tête contre les parois des murs et contre la voûte elle-même qui est basse et humide.
Souvent aussi elle rencontre plusieurs sentiers souterrains et elle est obligée de revenir sur elle-même pour trouver une issue. Enfin elle aperçoit une lueur, et elle arrive près de l'enceinte de la ville, tout proche l'église paroissiale. Elle est sauvée.
En souvenir de son heureuse délivrance, Marie, qui se voua bientôt au cloître, fit édifier au chevet de l'église de Mortain la rotonde qui sert de temple à la Vierge. C'est là qu'elle avait été rendue à la liberté ; c'est là, sous l'autel même, qu'est cachée l'issue du souterrain.
Mais quant à son orifice, depuis cette époque, il fut constamment gardé avec soin. Dérobé à tous les yeux par le noir feuillage d'un laurier dix fois séculaire et constamment renaissant, il devint la demeure du Gobelin, qui y fixa son domi-cile. Le Gobelin, qui personnifie l'un des plus mauvais génies de la contrée, affec-ta même de ne plus quitter cette galerie, qui a conservé le nom de Trou du Gobe-lin ; et l'on montrait encore, il y a trente ans à peine, la pierre qui lui servait d'âtre, la petite margelle où il se désaltérait, et le creux taillé dans le roc vif dans lequel il passait ses journées, car la nuit il avait l'habitude de se retirer à l'entrée de la voûte.
La poudre à canon a réduit la pierre en mille éclats, et des éboulements nom-breux ont obstrué l'entrée du souterrain. |
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Ruines du château de Mortain CPA LPM 1900 |
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