LE SOULIER DE NOËL

 

D'après

La nuit de Noël dans tous les pays

paru en 1912

 

Monseigneur CHABOT

Prélat de Sa Sainteté

CURÉ DE PITHIVIERS (LOIRET)

 
         
 

L'heure de la veillée est déjà avancée; les plus petits enfants consentent à assister à la Messe de minuit dans la chapelle blanche, c'est-à-dire à dormir sous leurs blancs rideaux, pendant que leurs parents iront à l'église. Mais auparavant, tout émus, ils déposent, avec grand soin, leur soulier au pied des chenets de fonte. Pendant leur sommeil, ils rêvent de sucre de pomme, de polichinelles, de bonbons et de jouets de toutes sortes...

 

Maman attend que bébé soit bien endormi; puis, elle s'avance discrètement et remplit l'escarpin mignon, largement ouvert, des objets qu'elle sait que son cher petit désire le plus,—elle le lui a fait dire tant de fois!...

 

Le lendemain, dès son réveil, l'enfant accourt, pieds nus, le cour battant, l'oeil encore gros de sommeil et déjà brillant de plaisir, pour contempler les trésors, objets de toutes ses espérances.

 

 
 

Malgré la nuit plus courte, avec quel empressement le père et la mère sont debout, dès le jour naissant, pour guetter le réveil de leur fils, pour être les heureux témoins de sa surprise, de sa joie exubérante, quand il aperçoit les jouets, friandises et cadeaux de toutes sortes, que lui envoie le petit Jésus par son fidèle messager le bonhomme Noël

 

Quelquefois, quand les enfants n'ont pas été sages, quand ils ont été espiègles, menteurs, gourmands, désobéissants ou colères, le petit Jésus n'envoie, en souvenir... qu'une poignée de verges.

 

Qui de nous n'a été la naïve et heureuse victime de cette supercherie toute imprégnée d'affection maternelle? Une petite fille disait à sa maman: «Je ne sais pas pourquoi ma petite soeur Luce trouve toujours dans son soulier de Noël précisément ce qu'elle désire?»

 

—«Ah! ma chère Lise, c'est qu'elle est toujours plus sage que toi!»

 
 
         
 

«Oh! que papa et maman vont être surpris et contents, disait un charmant bébé, quand ils verront tout ce que le petit Jésus m'a apporté!»

 

Aussi, quand à notre raison plus complètement éveillée s'est dévoilé le mystère, quelle amère déception, quel trouble dans nos joies enfantines!

 

Il n'y a rien de plus gracieux que cette fiction du soulier de Noël, utilisée par les mamans pour rendre raisonnables leurs bébés capricieux.

 

Un critique connu la recommandait, et nous voulons reproduire le tableau plein de fraîcheur que sa plume traçait il y a quelques années.

 

C'était aux environs de Noël, la scène se passait au bazar de la rue d'Amsterdam; nous citons les paroles de l'éminent écrivain

 

«Je suivais une jeune mère qui tenait par la main une petite fille. L'enfant s'extasiait sur les poupées et les joujoux. Elle voulait qu'on lui achetât le bazar tout entier.

 

 
 

—Non, lui disait doucement sa mère: c'est bientôt Noël et le petit Jésus t'apportera dans ton soulier ce qu'il aura choisi pour toi.

—C'est ici, répond la petite, que l'Enfant Jésus vient acheter des joujoux?

—Oui, sans doute, pour les enfants bien sages.

—Pour les petits enfants bien sages?

—Oui, le petit Jésus tient à leur faire une surprise pour les récompenser.

—Alors, je serai bien sage!

 

«... Qu'est-ce que ce petit Jésus qui achète des jouets chez les marchands... et qui s'introduit mystérieusement dans les cheminées? Les enfants ne s'en rendent pas bien compte.

 

«Ce qu'il y a de certain, c'est que le petit Jésus n'est pas pour eux une abstraction, un symbole. Ils le voient qui traverse l'air, qui presse sur sa poitrine des mains pleines de gâteaux et de jouets, ils le sentent au-dessus d'eux très bon et très juste:

 
 
         
 

Ils se disent qu'avec Lui il faut marcher droit, ou sinon... les souliers resteront vides. Quels cris de joie ils vont jeter quand ils verront que le petit Jésus a justement choisi ce qu'ils désiraient le plus, ce qu'ils avaient demandé dix fois à leur mère.»

 

Quelquefois l'Enfant-Jésus réserve aux pauvres et aux affligés ses meilleurs cadeaux, comme le prouve la légende des bigorneaux.

 

Jadis vivait à Saint-Malo une pauvre femme dont presque tous les garçons s'étaient noyés en mer. Un seul avait survécu. Sa mère le garda auprès d'elle...

 

Un jour de décembre, elle tombe gravement malade.

 

Son fils l'entend qui pleure. Il se souvient qu'on est à la veille de Noël. Donc, doucement il se déchausse et vient poser son sabot usé auprès des cendres froides; puis il ouvre la fenêtre et se met à prier en regardant le ciel. Soudain, au moment où les cloches annoncent la Messe de minuit, il aperçoit un nuage lumineux qui s'arrête juste au-dessus de la maison.

 

Ce n'était pas un nuage ordinaire, ou, pour mieux dire, c'était un essaim de ces escargots de mer que l'on appelle des bigorneaux et, que l'on mange sur la côte bretonne. Les premiers remplirent les sabots, les suivants couvrirent le plancher, et quand la place manqua dans la pauvre chambre, ils rampèrent sur les panneaux de bois de la façade, ou s'accrochèrent aux ardoises du toit.

 

Cependant la pauvre veuve émerveillée se sentait mieux... Elle remplit en hâte plusieurs paniers qu'elle alla vendre le lendemain: jamais elle n'avait fait de si belles recettes, car personne n'avait jamais vu d'escargots de mer si beaux et si appétissants.

 

On sut bientôt, dans le pays, le prodige qui s'était opéré et l'on appela la vieille maison le château des bigorneaux

 

Nos poètes ont souvent traité ce sujet si touchant et si naïf du soulier de Noël:

 

 
 

Ainsi qu'ils le font chaque année,

En papillotes, les pieds nus,

Devant la grande cheminée

Les bébés roses sont venus.

A minuit chez les enfants sages

Le joli Jésus qu'à genoux

On adore sur les images

Va, les mains pleines de joujoux,

Du haut de son ciel bleu descendre;

Et, de crainte d'être oubliés,

Les bébés roses, dans la cendre,

Ont tous mis leurs petits souliers.

 

Derrière une bûche ils ont même,

Tandis qu'on ne les voyait pas,

Mis, par précaution suprême,

Leurs petits chaussons et leurs bas.

Puis, leurs paupières se sont closes

A l'ombre des rideaux amis.

Les bébés blonds, les bébés roses,

En riant se sont endormis

Et jusqu'à l'heure où l'aube enlève

Les étoiles du firmament

Ils ont fait un si joli rêve

Qu'ils riaient encore en dormant

 
         
 

Nos enfants savent par coeur ces beaux vers d'André Theuriet:

 
         
 

 

Il est minuit, l'étable est sombre,

La Vierge rêve et Joseph dort;

L'Enfant repose dans cette ombre

Ayant au front l'étoile d'or.

Vêtu de satin et de moire,

Le front ceint d'un rayon vermeil,

A travers la grande nuit noire,

Jésus passe comme un soleil.

Glissant sur un rayon de lune,

Il pénètre dans les foyers.

Seul le grillon, dans la nuit brune,

Voit remplir les petits souliers.

Noël! Jésus vient de naître.

Souliers et sabots de hêtre

Sont rangés dans l'âtre noir.

Noël! Enfants, venez voir

Les merveilles qu'à la ronde,

Jésus, pour le petit monde,

Du haut des cieux fait pleuvoir!

 
 
         
 

Non moins gracieuse est la poésie suivante que nous envoie un de nos bons amis du Canada

 

 
 

Hier au soir, à l'Angélus,

Quand la nuit étendait son voile,

J'ai vu, de la plus belle étoile

Descendre le petit Jésus.

Sur le toit de chaque demeure,

Il s'arrêtait pour écouter!

Car à l'enfant méchant qui pleure

Il ne viendra rien apporter.

Celui qui manque sa prière,

Ou qui déchire ses habits,

N'aura qu'une verge sévère,

Avec un morceau de pain bis.

 

 

Mais Jésus, aux enfants bien sages,

Apportera de beaux joujoux,

Des livrets tout remplis d'images,

Et des bébés aux grands yeux doux.

Avec une plume éternelle,

En caractères triomphants,

Un ange écrivait sur son aile

Le nom des bons petits enfants.

Que ceux-là, dans la cheminée,

Mettent sans crainte leur soulier

Petit Jésus, dans sa tournée,

Saura ne pas les oublier.