|
||||||||||
Le roi des Écrehou
par
Charles Frémine 1884
Je les guettais depuis longtemps mettant leur déchirure d'écueils, à moitié route, entre la plage de Carteret et l'île normande de Jersey.
Tantôt haussés sur la mer, tantôt au ras des vagues noirs ou bleus, rapprochés ou lointains, au jeu du temps et des marées, ils me tentaient depuis mon enfance, depuis ces jours d'été où je grimpais, pour mieux les voir, sur le mur du jardin de la mère Vigot, tout fleuri de criste-marines.
Les grandes îles de l'archipel de la Manche, Jersey, Guernesey, Aurigny, que visitent les paquebots, où il y a des routes tracées, des champs arables, des maisons, des hameaux, des cités, ne disaient rien à mon imagination, à mes instincts nativement sauvages. Il me fallait des Ecrehou. Je rêvais d'en être le Robinson. Les gens de la côte m'en racontaient des merveilles. C'étaient des pêches miraculeuses, des homards, des poings-clos, des étrilles sous toutes les pierres, des crevettes roses, des coquillages, |
||||||||||
Des floraisons étranges dans toutes les mares, des poissons argentés que le flot, au clair de lune, laissait tout frissonnants sur le sable mouillé. Les oiseaux qui viennent au rivage, les mouettes, les courlis, les pies de mer les goëlands, les chevaliers faisaient aux Ecrehou leurs nids. J'ouvrais de grands yeux. L'abord en était difficile.Quelle joie d'y faire naufrage, d'y rester seul, abandonné, d'y vivre de ma pêche, de ma chasse, tout le jour d'y courir dans les rochers et, la nuit venue, blotti dans un creux de caverne' d'entendre la grosse mer gronder bien fort autour ' de moi ! Je faisais ce rêve à dix ans ; il me hante encore aujourd'hui. Les meilleurs sont ceux qu'on garde toute la vie. Si insensé que le mien puisse paraître, je l'avais du moins échafaudé sur une base solide. Elle est de pur granit. J'y ai mis le pied. J'en arrive. Elle ne m'a pas gardé, mais j'ai vu l'antre de ma Chimère. Dam ! il m'a fallu attendre. Ne va pas aux Ecrehou qui veut.
Les navires passent au large de ces écueils redoutables. Seules, par les temps clairs, les barques de pêcheurs s'y hasardent. Aussi, que de projets, que de voyages rejetés par un coup de vent à l'année suivante ! Encore il y a deux ans - et l'ami Pommier doit s'en souvenir - nous sommes restés trois jours dans la baie de Portbail, le bateau chargé de vivres, sans pouvoir démarrer. Vent debout et une mer démontée.
"C'hest biau temps," nous cria le capitaine Perchard - en passant sous notre nez et en doublant la Caillourie. Mais le vieux loup de mer avait les planches d'un bon côtre sous les pieds et il filait droit sur Jersey.
Cette fois-ci, ç'a été la bonne. Encore ne fallait-il pas crier trop haut le matin. Non pas que la mer fût mauvaise. C'était tout le contraire. Le jeudi 7 août de la présente année et jour saint Gaëtan, la Manche n'avait pas une ride, non plus que le ciel un souffle. Tous les fronts ruisselaient. Une chaleur de four. Calme plat sur toute la ligne, si bien que nous nous demandions encore, passé midi, si nous pourrions partir à la marée du soir. Il s'éleva toutefois vers les quatre heures une petite brise de terre suffisante pour tendre la voile. Notre bateau était à l'ancre, au bout de la jetée, à l'entrée du chenal de Carteret. Un joli yacht non ponté, peint en jaune avec filet noir, d'une coupe élégante et portant bien la toile. J'ai oublié son nom ; qu'il me le pardonne - comme les jolies filles d'autrefois dont j'ai du moins gardé l'image. Et à Dieu vat !
Quatre à bord : patron Léonce Rachine ; propriétaire-armateur Foubert, major-docteur Demay, plus votre serviteur. Pour le reste, tous bas-normands et bons camarades.
Vent arrière, si faible qu'il fût et portés par le reflux d'une marée de pleine lune, nous eûmes vite gagné le large. De la pointe blanche d'Agon aux falaises roses de Flamanville, la côte qui se déployait derrière nous comme une écharpe, perdit peu à peu de sa vigueur, de sa coloration et bientôt le cap de Carteret avec son phare, les Moitiers-d'Alonne avec leur double église, la masse de Romont, Barneville avec sa tour carrée, les clochers et les moulins-à-vent de Saint-Jean, de Saint-Georges, de Portbail, les landes, les taillis, les bruyères, les croupes sauvages des collines lointaines de Sortosville s'effacèrent, disparurent dans les brouillards. Partout la mer, une mer unie et déserte. Le silence planait sur sa face bleue. Un cercle de brumes légères cernait l'horizon relativement très rapproché. A mesure que nous distinguions nettement les Écrehou. Ils apparaissaient dans l'ouest sur le fond rouge du couchant, comme une cité monstrueuse, cyclopéenne.
Rachine, la main à la barre et l'oeil sur la Pierre-aux-Femmes - un des formidables bastions qui semblent garder cette ville de la mer - gouverna de façon à prendre la Bigorne par les Deux-Mamelons, puis s'engageant hardiment dans un défilé d'écueils, laissa porter sur la Marmottière, où nous jetâmes l'ancre. Nous étions au coeur des Écrehou.
Pas de temps à perdre. La nuit tombait. La mer baissait rapidement. Nous embarquons dans le canot nos provisions : les vivres,le vin, l'eau, le bois, car il faut tout apporter aux Écrehou, et poussant de l'aviron, d'un coup de gaffe nous accostons le rocher.
Sur la crète se profilait une maisonnette. Foubert en avait la clef dans sa poche. Nous le suivons, chargés comme des ânes, par une ébauche de sentier taillé dans la roche vive. Il pousse la porte. Un intérieur de quatre mètres carrés : à gauche une lucarne, dans le fond deux alcôves superposées ; un banc, une table où traînent des assiettes, des boîtes de conserves éventrées et, contre les murs, dans les coins, des vareuses, des surois accrochés, une lanterne, une poêle à frire, des engins de pêche, des hottes d'osier, tout le pêle-mêle, tout le désordre poussiéreux d'un vide-bouteilles abandonné à la hâte - depuis longtemps. Une marmite est dans la cheminée, à cheval sur un tas de cendres de varech. Je fais du feu. Foubert, en sa qualité de propriétaire, a déjà saisi le balai et nettoie la place ; le docteur Demay témoigne de ses connaissances anatomiques par la façon toute spéciale avec laquelle il éventre et dissèque un énorme chou de Milan ; Rachine ratisse les pommes de terre, fourbit la vaisselle, taille le pain dans la soupière et bientôt je me trouve à même de dresser une maîtresse soupe à la graisse dont l'odeur alléchante embaume la cahute ; ce qui - soit dit en passant - n'était pas malheureux. N'empêche que nous allons manger dehors. La plate-forme du rocher nous sert de table. Nous soupons longuement, joyeusement, assis par terre, à la clarté de la lune dont la mer que nous dominons, que nous respirons, est tout illuminée ; renidet luna mari ! Et vin sur cidre, et le café, et les chansons !
- Si nous continuons, fit observer Foubert, nous allons réveiller le roi des Ecrehou. - Allons plutôt le voir, dit Demay ; à cette heure, il doit être chez lui ; la mer est presque basse ; nous pourrons aborder Blanque-Ile à pied sec. - Et emporter une bouteille de cognac pour être les bienvenus, appuya Rachine. Bien lestés, nous dégringolons tous les quatre des hauteurs de la Marmottière qu'une chaussée de galets, longue d'une centaine de mètres, que le flot submerge et découvre à chaque marée, relie naturellement à Blanque-Ile
Avec la Marmottière et Maîtresse-Ile, Blanque-Ile est le seul point de cet amas de roches, à peu près à l'abri des grandes marées d'équinoxe. C'est là que depuis trente-neuf ans vit maître Philippe Pinel, le roi des Ecrehou. Son habitation, posée de travers sur la crète de cet îlot farouche, se détache nettement, au clair de lune, sur l'horizon étoilé. Maître Philippe est Jersiais. Dans sa jeunesse il faisait la pêche, allait et venait souvent de Jersey aux Ecrehou. Il finit par s'y fixer. Un vrai sauvage, celui-là, et qui m'avait devancé dans mon rêve. Sa barque qui ne prendra plus la mer gît, la coque renversée, à quelques pas de sa cabane de galets. Des mauves gigantesques, les seules plantes qui croissent à Blanque-Ile, l'enveloppent de leurs hautes hampes défleuries. Elles mettent également leur pâle rideau devant l'ermitage du solitaire. Rachine, qui le connaît, frappe à la porte.
- Quê-che qu'est là ? - Amis !
Le logis s'éclaire. La porte, qui n'a ni gonds ni verrous, glisse sur ses rainures.
- Bonsoir, maître Philippe. - Faites excuse, Messieurs, j'étais couché, je dormais.
Le roi des Ecrehou nous reçoit en effet dans une tenue absolument sommaire. Pour tout vêtement, une chemise de laine noire qui lui tombe quelque peu au-dessus des genoux ; jambes et pieds nus. C'est un homme d'une soixantaine d'années, petit, nerveux, solide, le visage tanné, velu, la tête coiffée d'une crinière noire et rude, à peine rayée de quelques fils blancs. Ses yeux, qui ne gardent aucune trace de sommeil, luisent, grands ouverts, comme ceux des fauves et des oiseaux de proie.
Sans autrement s'étonner de notre visite, c'est avec beaucoup de politesse et surtout de simplicité qu'il nous fait accueil. Il s'exprime en jersiais, qui est la vieille langue normande. Du reste, point curieux et nullement questionneur. Nous n'aurions que des nouvelles de la terre à lui donner, et il y a longtemps qu'il est brouillé avec elle. Il en a toutefois gardé le goût du cognac. Pour être un solitaire, on n'en a pas moins ses faiblesses. Pendant que Rachine débouche le flacon et remplit les verres, j'examine ce nouvel intérieur qui n'est guère plus vaste que le vide-bouteilles de la Marmottière. Une aire sablonneuse, des murs de granit brut, pour plafond la toiture. Point de portraits et point d'images. Une cheminée, un fourneau de fonte avec quelques ustensiles de cuisine, deux escabeaux, une table de chêne où, près d'une croûte de pain, traîne un morceau de poisson fumé.
A droite de l'unique fenêtre, ouverte comme la porte au soleil couchant, et posés sur deux rayons, quelques ouvrages de liturgie, plus trois Bibles, dont une énorme, avec explications et commentaires. Maître Philippe est très fier de cette Bible : "Tout est là dedans", nous dit-il. Une grive, avec sa gorge perlée, l'oeil éveillé, nous regarde, perchée sur le barreau d'une cage d'osier, accrochée à la paroi. Il y a dix ans, un jour d'hiver, elle s'est abattue, fatiguée, sur Blanque-Ile. Maître Philippe l'a recueillie, c'est son unique compagne.
- Et votre femme ? lui demande Foubert ; comment se portre mistress Pinel ? - Ma femme est retournée à Jersey. Elle s'ennnuyait ; elle est vieille. Quand vous reviendrez, monsieur Foubert, amenez-m'en donc une jeune !
Je cherche des yeux la couche nuptiale où pourrait s'accomplir ce tardif hyménée. Il n'y aurait pas haut à monter. Deux rangs de pierres plates plantées debout dans l'aire et formant retrait ; un lit de varech et pour chevet la muraille : c'est alcôve.
- Mon matelas et ma couverture sont dehors, nous dit maître Philippe, qui a comme surpris mes réflexions ; je les ai mis au frais hier soir ; mais voilà le matin, je vais les rentrer à cause de la rosée. Toujours en chemise et toujours pieds nus, il prend sa lampe et nous sortons avec lui. Une fois dehors, il nous fait visiter son domaine, - édifié tout entier de ses propres mains. Deux constructions en pierre, dont on peut toucher le toit à la main, flanquent à droite et à gauche la maison d'habitation. Dans l'une est la citerne qu'alimente l'eau des pluies. Il n'y a pas de sources aux Ecrehou. Dans l'autre est le four avec le poulailler. Une douzaine de poules et de coqs superbes dorment rangés sur leur double perchoir. Maître Philippe est toujours approvisionné de pommes de terre, de grain et de farine. Il fait son pain lui-même. Le four est de son invention. C'est une grande caisse carrée, en tôle. Il l'emplit de pâte et l'entoure de varech, - son seul combustible. Le pain cuit à l'étouffée, sous la cendre.
- Du pain, monsieur, comme on n'en mange pas à terre. - Et vous n'y retournerez jamais, maître Philippe ? - Jamais, monsieur. Qu'irais-je y faire ? Voilà bientôt quarante ans que je suis ici ; j'y mourrai. - Vous êtes solide ; mais l'âge vient ; maintenant que vous voilà seul - si vous tombiez malade ? - Quand je suis malade, je me couche - comme les bêtes - et j'attends. (Ici le docteur Demay le regarda de travers.) Du reste, ajouta-t-il, les parents et les amis n'y font rien. On meurt seul.
C'est un mot de Pascal.
Tout en causant, il nous avait reconduits jusqu'aux grandes mauves sauvages qui forment la limite de son domaine. Là, nous lui serrons la main : Allons ! adieu, maître Philippe. Il resta quelques instants debout, auprès de sa vieille barque renversée, à nous suivre des yeux, puis chargeant son matelas et sa couverture sur son épaule, le roi des Ecrehou rentra dans sa tanière.
- Et maintenant, si nous allions nous coucher ? dit le prudent Rachine ; le vent peut fraîchir au petit jour, et puisque nous devons aller à Jersey, nous pourrions partir à la marée du matin.
La perspective d'aller me fourrer, pour y dormir, dans l'une de ces deux alcôves que j'avais entrevues à la Marmottière, manquant pour moi absolument d'attrait, je laissai mes amis s'éloigner en leur disant que je ne tarderais pas à les rejoindre et de me garder la place fraîche. L'aube, du reste, commençait à poindre. Une lueur rose émergeait dans l'est, du côté de la France. Après avoir rôdé quelque temps à l'aventure, je gravis l'escarpement d'une roche déclive dont la base trempait dans la mer, et le spectacle dont je fus bientôt comme enveloppé était bien de nature à tenir éveillés des yeux moins curieux que les miens.
J'étais au centre des Écrehou, les dominant de toutes parts. Les trois îlots qui en forment le noyau, Blanque-Ile, La Marmottière, Maîtresse-Ile, commençaient à frissonner sous les premières clartés matinales. Ils s'allongeaient du nord au sud, sur une longueur de plusieurs kilomètres, entourés d'une forêt d'écueils dont aucune description ne saurait rendre l'étrangeté. La mer remontait à peine, en sorte qu'ils se dressaient de toute leur hauteur sur un circuit de deux ou trois lieues.
Tous ces monstres de granit de toute forme et de toute taille, les uns vêtus de varech jusqu'à la ceinture, chauves, hagards, blanchis de fientes d'oiseaux, les autres cuirassés d'écailles, plongeant leurs pieds dans des vallons de fucus, fauves, chevelus comme de vieux Gaulois, les obscurs et les célèbres, ceux dont les noms imagés prennent dans les récits des pêcheurs je ne sais quels profils vivants et redoutables : l'Etau, le Moulinier, la Noire, la Plate, le Trépied, les Deux-Rousses, la Bigorne, les Deux-Mamelons, la Pierre-aux-Femmes, les Dirouilles, tous ces athlètes de la tempête, mâcheurs d'écume et damnés de l'abîme, dans l'air doux, dans l'aube qui les baignait, semblaient reprendre haleine, comme lassés, bénir le ciel qui leur accordait cet instant de répit, mornes, résignés, prêts à de nouveaux combats. Les belles eaux vertes, qui revenaient du large, couraient maintenant au travers de leurs rangs immobiles comme de grands fleuves marins, comme des torrents subitement déchaînés, les enveloppaient de circuits écumeux, creusaient des remous, des entonnoirs autour des brisants submergés, se ruaient dans les cavernes vomissantes, emplissaient ces solitudes farouches des bruits profonds et tumultueux de l'Océan en travail. Une double lumière jouait, en le colorant, sur ce paysage d'une sauvagerie inoubliable : celle du soleil qui se levait rouge et sans rayons à l'Orient brumeux ; celle de la lune qui se couchait toute blanche à l'Occident encore illuminé par la clarté stellaire. Comme je regagnais la Marmottière, couronnée d'un groupe de maisonnettes que je n'avais pas remarquées la veille à notre arrivée, à cause de l'obscurité, je ne fus pas peu surpris de lire au dos d'une de ces constructions récentes et à gauche de la fenêtre unique dont la muraille est percée :
Au nom de
L'inscription s'arrêtait là. Les lettres en étaient toutes fraîches. Une échelle appliquée contre le mur indiquait qu'on était entrain de les peindre. A droite de la fenêtre, on lisait encore et en énormes caractères :
Madagascar House
Et plus loin, sur un écriteau fiché dans une roche :
Messieurs les pêcheurs Signé : LEMPRIÈRE
Connétable de Saint-Martin DE QUELLEVILLE. Enfin cette autre enseigne s'étalait sur une bicoque à peine blanchie d'un torchis de chaux :
HOTEL DE LA MARMOTTIÈRE On donne à boire et à manger.
Ironie ou naïveté ? En tout cas, jamais cheval n'est venu ni ne viendra aux Ecrehou. L'hôtel était, du reste, parfaitement désert.
Et voilà de quelle façon, avec quelles inscriptions baroques, rédigées en français de Jersey, les Anglais mettent tout doucement la main sur ces rochers regardés jusqu'ici comme une zone neutre. On m'avait parlé à Carteret de cette prise de possession, qui n'est pas, du reste, définitive. L'affaire est pendante au ministère des affaires étrangères, où nous avons, hélas ! d'autres Chinois à fouetter. En attendant que la question soit vidée, nos pêcheurs n'en ont pas moins été prévenus, au mois de mars dernier, par le commandant de la station de Granville, qu'en allant pêcher aux Ecrehou, ils y allaient à leurs risques et périls. C'est un commencement d'interdit. Tous ces braves gens ne sont pas sans inquiétude. J'apporte ici leurs doléances. Les Ecrehou aux Anglais, c'est pour les Jersiais le droit de pêche exclusif dans ces parages. C'est pour nos pêcheurs la fermeture de ces bancs poissonneux ; les Basses de Taillepied, les Bancs fêlés, le Banc de l'Ecrévière, les Dirouilles, etc., où ils avaient l'habitude de travailler, de mener leurs barques, de père en fils.
Les Anglais sont nos bons amis : ils ne nous perdent pas de vue, nous suivent partout, prêts à nous couper l'herbe sous le pied - sans doute pour nous faire la voie plus nette : on cite l'Egypte, Madagascar, la Chine etc.. Il faut y joindre les Ecrehou.
Quand j'entrai dans la maison de la Marmottière, mes trois amis ronflaient comme des chantres ; un bruit joyeux les réveilla, celui d'une friture de lançons que je faisais sauter dans la poêle pour le déjeuner.
Rachine courut jeter un coup d'oeil sur la mer. - Pas de vent ! dit-il en rentrant. Impossible de gagner Jersey ; c'est à peine si nous pourrons être à Carteret ce soir.
Pour sortir de la passe, il nous fallut, en effet, jouer de l'aviron. Nous restâmes neuf heures en mer. Comme incidents de voyage : pris, à la ligne, un superbe colin et rencontré un bataillon de méduses, gouvernant contre le courant : à étudier au point de vue de la navigation aérienne.
Comme nous approchions des côtes, un goéland vint se poser à une centaine de mètres en avant du yacht. Il nous accompagna, gardant sa distance, pendant près d'une heure, jouant, plongeant, faisant rouler l'eau sur ses plumes, puis, à un mouvement de manoeuvre, s'envola à tire d'ailes vers les Ecrehou : il allait retrouver maître Philippe.
Carteret, Août 1884. |
||||||||||