| ||||||||||||
| ||||||||||||
LE POMMIER DU COIN F. de BIGORRE - Le pommier du coin (1863)
Au manoir de Fresnay, comme partout en France, les querelles qui opposaient le roi et les huguenots troublaient les journées du seigneur. Il se décida un jour à partir guerroyer en Aquitaine et confia ses deux filles, Gillone et Eléonore, à sa tendre et fidèle épouse.
Gillone ne parut pas s'émouvoir du départ de son père : fière, un peu garçonne, elle continua ses longues chevauchées à travers plaines et forêts. Elle poursuivait sans aucune gêne les parties de chasse avec les jeunes seigneurs du voisinage.
Eléonore était le contraire exact de son aînée : calme, elle ne vivait que pour les études et ses rares sorties la conduisaient au chevet des malades et au secours des miséreux. Quand elle apprit où son père allait, elle dirigea ses pas vers la chapelle du Thuit pour implorer la protection du ciel. A son arrivée dans ce lieu isolé, les portes s'ouvrirent d'elles-mêmes et les cloches carillonnèrent toutes seules. Pendant neuf jours, sans relâche aucune, Eléonore se rendît au même sanctuaire pour réciter les mêmes prières.
Ce pèlerinage étrange fut remarqué par "le baron". Cet homme, taciturne et ténébreux, habitait dans les environs, dans une espèce de demeure à l'abandon où personne ne se risquait. Comme on le soupçonnait quelque peu de pratiquer la sorcellerie, nul n'osait l'approcher, ni lui adresser la parole : son regard était sombre, sa voix caverneuse.
Quand il surprit le passage quotidien d'Eléonore, il imagina surprendre la prude demoiselle et la contraindre à... Il entreprit donc de se cacher derrière un arbre, sur le chemin encaissé qui mène à la chapelle, et il surgit subitement quand la jeune fille mit son pas dans l'ombre de l'arbre. Les cris aigus et stridents de la pauvre victime furent si perçants que les paysans se figèrent d'effroi dans tous les champs environnants, puis ils accoururent pour trouver Eléonore, appuyée contre un pommier, toute statufiée. Après quelques minutes sans fin, elle parvint à retrouver souffle et esprit et marmonna indistinctement : - le baron est sauvé !
Depuis ce jour, on ne revit plus "le baron" ; Eléonore vint de plus en plus souvent sous le pommier, témoin de son supplice : elle lisait, elle brodait, elle peignait. Jamais, elle ne parlait ; jamais, elle ne levait les yeux de son ouvrage.
Un jour de juin, l'arbre a fleuri pour la première fois !
Dès lors, Eléonore perdit ses forces, petit à petit ; elle s'éteignait progressivement et mourut subitement.
Les fruits que donna le pommier semblaient guérir nombre de maladies ; aucun mal, disait-on, ne pouvait lui résister. Aussitôt les paysans d'alentour ont cueilli des branchettes et les ont greffées dans leurs vergers. Ce sont certainement les descendants de cet arbre exceptionnel qui illuminent les prés dans la campagne, avec leurs pétales blancs et roses ... en juin, pas avant ! | ||||||||||||
| ||||||||||||
Le pommier du coin (1863) F. de BIGORRE
Au manoir de Fresnay, comme partout en France, les querelles qui opposaient le roi et les huguenots troublaient les journées du seigneur. Il se décida un jour à partir guerroyer en Aquitaine et confia ses deux filles, Gillone et Eléonore, à sa tendre et fidèle épouse.
Gillone ne parut pas s'émouvoir du départ de son père : fière, un peu garçonne, elle continua ses longues chevauchées à travers plaines et forêts. Elle poursuivait sans aucune gêne les parties de chasse avec les jeunes seigneurs du voisinage.
Eléonore était le contraire exact de son aînée : calme, elle ne vivait que pour les études et ses rares sorties la conduisaient au chevet des malades et au secours des miséreux. Quand elle apprit où son père allait, elle dirigea ses pas vers la chapelle du Thuit pour implorer la protection du ciel. A son arrivée dans ce lieu isolé, les portes s'ouvrirent d'elles-mêmes et les cloches carillonnèrent toutes seules. | ||||||||||||
Pendant neuf jours, sans relâche aucune, Eléonore se rendît au même sanctuaire pour réciter les mêmes prières. Ce pèlerinage étrange fut remarqué par "le baron". Cet homme, taciturne et ténébreux, habitait dans les environs, dans une espèce de demeure à l'abandon où personne ne se risquait. Comme on le soupçonnait quelque peu de pratiquer la sorcellerie, nul n'osait l'approcher, ni lui adresser la parole : son regard était sombre, sa voix caverneuse.
Quand il surprit le passage quotidien d'Eléonore, il imagina surprendre la prude demoiselle et la contraindre à... Il entreprit donc de se cacher derrière un arbre, sur le chemin encaissé qui mène à la chapelle, et il surgit subitement quand la jeune fille mit son pas dans l'ombre de l'arbre.
Les cris aigus et stridents de la pauvre victime furent si perçants que les paysans se figèrent d'effroi dans tous les champs environnants, puis ils accoururent pour trouver Eléonore, appuyée contre un pommier, toute statufiée. Après quelques minutes sans fin, elle parvint à retrouver souffle et esprit et marmonna indistinctement : - le baron est sauvé !
Depuis ce jour, on ne revit plus "le baron" ; Eléonore vint de plus en plus souvent sous le pommier, témoin de son supplice : elle lisait, elle brodait, elle peignait. Jamais, elle ne parlait ; jamais, elle ne levait les yeux de son ouvrage
Un jour de juin, l'arbre a fleuri pour la première fois !
Dès lors, Eléonore perdit ses forces, petit à petit ; elle s'éteignait progressivement et mourut subitement.
Les fruits que donna le pommier semblaient guérir nombre de maladies ; aucun mal, disait-on, ne pouvait lui résister. Aussitôt les paysans d'alentour ont cueilli des branchettes et les ont greffées dans leurs vergers. Ce sont certainement les descendants de cet arbre exceptionnel qui illuminent les prés dans la campagne, avec leurs pétales blancs et roses ... en juin, pas avant ! | ||||||||||||