LES GRANDES PECHES

   
 

LA PECHE A LA MORUE

LE PERSONNEL

         
 
 
         
 

LA PECHE A LA MORUE

 Par

M. BRONKHORST 1927

 

LE PERSONNEL

 

Le commandement

 

La question du commandement des navires de Grande Pêche a soulevé et soulèvera encore pendant quelques années, nombre de difficultés dont la solution ne laisse pas que d'être délicate et dont les rapports des commandants des croiseurs de surveillance se font les échos (1),

   

(1)

L'état major des premiers morutiers comprenait :

1° Un capitaine au long cours ;

2° Un pilote hauturier qui avait passé les mêmes examens que les capitaines au long cours mais n'avait pu justifier au moment de l'examen que de trois années de navigation au lieu de cinq exigées ;

Un maître d'équipage ;

4° ...un chirurgien.

 
 
     
 

Ces difficultés résident dans la dualité des intérêts en présence, intérêt de l'armateur d'une part, qui le pousse à confier la direction de la pêche à un pêcheur éprouvé, vrai praticien du banc ; intérêt public d'autre part, dont l'Administration de la Marine a la sauvegarde, et qui s'oppose à ce que l'on confie le commandement d'un voilier ou d'un chalutier de grande valeur, et surtout la vie de trente hommes et plus à un marin inexpérimenté qui, expert en l'art de trouver la « tache» de morue ou de « bulot» est, le plus souvent, incapable, non seulement de faire le point, mais, même de lire une carte.

 

Jusqu'à la promulgation du Décret du 20 juillet 1914, il n'existait, en France, aucun titre de commandement s'appliquant spécialement aux navires de grande pêche, si l'on excepte le brevet de patron pêcheur d'Islande, institué par le Décret du 15 janvier 1852, en exécution de la Loi du 22 juin 1851. La loi du 21 juin 1836 avait autorisé les capitaines au cabotage à commander les navires morutiers soit à Terre Neuve, soit à Islande ; quelques rares voiliers et la majorité des chalutiers étaient, par exception, commandés par des capitaines au Long Cours et des officiers de la Marine Marchande.

 

Toutefois, si excellents marins et manoeuvriers qu'ils puissent être, ces brevetés, empruntés à la Marine Marchande et passant d'un engagement commercial à un engagement à la Grande Pêche,'ne présentent pas toujours aux yeux des armateurs toutes les qualités requises d'un bon pêcheur, d'un « maître de pêche» ; d'où une tendance de l'armement à confiner le capitaine dans la conduite des navires jusqu'aux lieux de pêche, et à confier la direction effective des opérations de pêche au « maître» ou « patron de pêche», embarqué en qualité de « subrécargue».

 

Arrivé sur les lieux de pêche, c'est ce dernier qui prend la direction des opérations, règle le travail, ordonne les changements de mouillage, décide des réparations à faire effectuer au cours de la campagne ; le capitaine, lui, travaille comme un simple matelot, souvent il fait fonction de « trancheur » ; on en a même vu qui étaient employés à la pêche des bulots on comme simples dorissiers. Quels peuvent être dans ces conditions, leur prestige, leur autorité sur l'équipage

 

Trop souvent, d'ailleurs, loin de se borner à leur rôle de maître de pêche, les subrécargues annihilent complètement le capitaine, commandent la manoeuvre à sa place, tout en lui laissant la responsabilité de leurs fautes nautiques. Il en résulte une dualité de commandement très regrettable à tous les points de vue. Le rapport sur la campagne de pêche 1914 signale que l'un des sinistres survenus « présente ce trait particulier qu'il est dû à un abordage au cours d'une manoeuvre où le subrécargue, tenait la barre, occupant ainsi la place du capitaine qui travaillait avec ses hommes ». D'ailleurs, c'est le subrécargue, homme de confiance, parfois associé de l'armateur, qui recrute l'équipage et parfois le capitaine lui-même ; il est payé plus que ce dernier, souvent beaucoup mieux logé et, enfin, c'est lui qui détient les clefs de la cambuse, du coffre à médicaments, de l'armoire contenant les apparaux de sauvetage ; toutes causes de nature à augmenter son prestige au détriment de celui du capitaine. En outre, en correspondance suivie avec l'armateur, c'est lui qui le renseigne, non seulement sur la pêche, mais encore sur le capitaine et ses hommes. Les armateurs n'embarquent donc, trop souvent que dans le seul but de se mettre en règle avec la loi, ces capitaines dont le rôle est à peu près nul et que l'on désigne dans les ports de Grande Pêche sous le nom de ^'capitaines porteurs», titre qui indique suffisamment leur situation secondaire.

 

Bien souvent, d'ailleurs, à l'exception de jeunes brevetés désireux de s'initier afin de pouvoir commander effectivement plus tard, ces porteurs sont des incapables, qui ne trouvant aucun embarquement, sont contraints d'accepter cette situation secondaire pour gagner leur vie.

 

C'est dans le but de faire disparaître cette dualité de commandement entre capitaines « porteurs» et maîtres de pêche que la réglementation nouvelle a prévu la création de brevets spéciaux, permettant de commander les navires de Grande Pêche. Ces brevets dits de « capitaines de pêche» sont délivrés aux candidats ayant fait preuve des connaissances nautiques nécessaires pour la conduite des bateaux et des connaissances techniques indispensables pour la pratique rationnelle du métier de pêcheur. Les armateurs auront ainsi à leur disposition un personnel de capitaines brevetés, spécialisés dans la recherche et la capture du poisson et possédant en même temps, une véritable technique de la pêche. D'ailleurs, comme l'a dit si bien M. Le Danois, le distingué Directeur de l'Office Scientifique et technique des pêches maritimes : « le bon capitaine est celui qui, laissant de côté des récits basés sur l'empirisme saura manier avec précision et conjointement un thermomètre et un sextant».

 

Le commandement des voiliers et chalutiers Terre-Neuvas peut donc être indifféremment confié à un marin titulaire soit du brevet de capitaine au Long Cours, soit du brevet de capitaine de la Marine Marchande, soit du brevet de capitaine au Cabotage, soit, enfin, du brevet de capitaine de pèche, spécialement institué dans ce but.

 

I1 est piquant, à ce sujet, de remarquer que la charte partie type des chalutiers et voiliers prévoit dans son article 6 la participation (pour ne pas dire plus), du subrécargue à la direction des opérations de pêche. « Le capitaine a la direction de la navigation, et s'il y a un subrécargue, la direction de Ja pêche, d'accord avec ce dernier» ; il vaudrait mieux lire : « s'il y a un subrécargue, ce dernier a la direction de la pêche».

 

Le commandant de la Ville d'Ys, reprenant cette éternelle question dans son rapport sur la campagne 1924, demande, afin de prévenir les abus signalés plus haut, que les bâtiments qui navigueront encore avec des patrons de pêche, les embarquent sur le rôle à ce titre, et non comme seconds, car ils «sont les véritables commandants du navire». Cette situation ne cessera qu'à la longue quand les capitaines de pèche seront assez nombreux, et auront pu s'imposer tant à l'armement qu'aux pêcheurs eux-mêmes.

 

A cet égard, la suggestion présentée par cet officier supérieur, d'attirer dans les écoles de navigation, l'attention des élèves sur les situations que peuvent se créer les capitaines des chah)tiers de Grande Pêche, mérite d'être retenue et appliquée.

 
     
 

Boulogne sur Mer, CPA collection LPM 1900

 
     
 

Les Officiers

 

A bord de tous les navires de Grande Pêche, il doit être embarqué un second soit possédant un brevet lui permettant de commander le navire, soit à titre transitoire, et pour pallier à la pénurie de brevetés, ayant exercé pendant deux campagnes, les fonctions de second sur les navires de Grande Pêche, antérieurement au 31 décembre 1912.

 

En fait, il est permis de se demander si le second qui cumule souvent ces fonctions avec celles de trancheur, serait à la hauteur de la situation, si la conduite du bateau venait à tomber entre ses mains. Toutefois, le nombre des seconds titulaires des brevets de capitaine au cabotage, de capitaine de pêche ou de patron de pêche, ira en augmentant pour le plus grand bien de l'armement.

 

Quant au lieutenant, ce n'est trop souvent qu'une fiction, ("est fréquemment, le saleur qui en assure les fonctions ; d'ailleurs, il n'est exigé de lui, comme référence, que d'avoir fait, à un titre quelconque, deux campagnes de grande pêche. Il serait bon que les jeunes brevetés, lieutenants ou capitaines au long cours, capitaines ou patrons de pêche, recherchent ces emplois dans lesquels ils pourraient acquérir, en deux ou trois campagnes, les connaissances qui leur permettraient d'obtenir mêmes le commandement de chalutiers et de s'affranchir de la tutelle des maîtres de pêche.

 

En outre, 1 chef mécanicien, breveté el deux chefs de quart (Sur les grands chalutiers où la machine a toujours une puissance au moins égale à 700 C.V., l'un des chefs de quart doit être titulaire du brevet de mécanicien pratique.) complètent le personnel officier du bord.

 

Il conviendrait de faire une place à part à l'opérateur de T. S.F., tard venu sur les navires de Grande Pêche, mais qui est appelé'à jouer un grand rôle dans la recherche des bancs de poissons, maintenant surtout que les capitaines dont la mentalité a heureusement évolué à cet égard, ne répugnent plus à donner leur position quand ils ont découvert des fonds favorables.

 
         
 

Composition des équipages

 

Quartiers d'origine

 

Les chalutiers ont un équipage de 40 hommes environ se répartissant comme suit :

 

   
 

1 capitaine ;

1 second ;

1 lieutenant ;

3 mécaniciens ;

3 trancheurs ;

2 saleurs ;

3 ramendeurs ;

1 cuisinier :

2 novices ;

2 mousses ;

23 matelots sans spécialité, chauffeurs et soutiers ;

1 T. S. F.

 

Sur certains d'entre eux, comme le Maroc de Bordeaux, on compte jusqu'à 53 hommes. Dans ces effectifs sont compris parfois les hommes affectés à terre lorsque les armateurs arment avec sécherie.

 
 
     
 

Si l'on excepte Fécamp qui, jusqu'à cette année, assurait pour les 4/5 l'armement de ses navires de Grande Pêche, chalutiers et voiliers, et Saint-Malo qui est la pépinière des terre-neuvas, on peut constater que les armateurs des autres ports morutiers sont obligés pour constituer ou, tout au moins, compléter leurs équipages et recruter leurs spécialistes, de s'adresser aux réservoirs inépuisables en marins éprouvés et en pêcheurs habiles que sont les quartiers bretons.

 

Les Boulonnais n'ont pu se faire aux conditions pénibles de la Grande Pêche et, particulièrement à la longueur des campagnes et sur le seul chalutier qui arme encore dans notre grand port du Nord, on ne rencontre que quelques Boulonnais parmi des Fécampois et des Bretons.

 

A Fécamp même, il a fallu pour assurer l'armement des nouveaux chalutiers devant participer à la campagne 1926, faire appel aux quartiers bretons qui ont pu, d'ailleurs, fournir et amplement, l'appoint que l'on attendait d'eux, évitant ainsi aux armateurs l'obligation de faire appel à la main-d'oeuvre norvégienne, ainsi qu'ils l'avaient primitivement envisagé. Tout le personnel chauffeur provient également des quartiers bretons. Il en est de même des officiers mécaniciens à l'exception de quelques-uns d'entre eux, originaires du Havre.

 

Il n'est guère, avons-nous dit, qu'à Saint-Malo où l'armement trouve sur place ou dans les environs immédiats —Granville, Cancale, Dinan, Saint-Brieuc, les spécialistes et autres qui lui sont nécessaires. C'est dans ces mêmes quartiers que viennent recruter leurs équipages les capitaines des chalutiers armant au Havre, à Rochefort, Bordeaux et Arcachon.

 

L'équipage des voiliers qui varie de 24 hommes sur les goélettes à 36 hommes et plus sur les 3 et 4 mâts, comprend :

 

   1 capitaine ;

   1 second ;

   1 lieutenant ;

   2 novices ;

   I mousse ;

   1 cuisinier ;

   Des dorissiers et bulotiers dont le nombre varient suivant le tonnage du bateau.

 

Les fonctions délicates de saleur et trancheur sont toujours remplies par des officiers, lieutenant, second, même capitaine.

 

De même que les chalutiers, les voiliers de Fécamp comprennent dans leur effectif une grande majorité, environ les 4/5 de marins originaires du quartier, particulièrement du Syndical de Saint-Pierre-en-Port, le 1/5 restant est composé d'inscrits de Granville, Saint-Malo, Dinan et Saint-Brieuc.

 

Ce sont ces mêmes quartiers qui, concurremment avec Cancale et Paimpol assurent l'armement de tous les voiliers de Granville, Cancale, Saint-Malo, Saint-Servan, Saint-Brieuc, Paimpol, Lorient, La Rochelle et Bordeaux.

 
     
 

Dieppe Le trois mâts Ville de Dieppe, CPA collection LPM 1900

 
     
 

Ce sont eux qui fournissaient également les équipages des goélettes coloniales et les graviers du French Shore et de Saint-Pierre-Miquelon. Il est à remarquer, en fait, que les seuls quartiers bretons qui fournissent les équipages de Grande Pêche sont eux-mêmes des quartiers d'armement, exception faite, toutefois, de Dinan, dont les inscrits sont cependant renommés. Par contre, les marins du Finistère viennent peu à la Grande Pêche, dont la technique diffère trop de celle à laquelle ils sont accoutumés ; ils ne lui fournissent que des chauffeurs ou soutiers, des ramendeurs et quelques patrons ou avants de doris

 

On ne s'improvise pas terre-neuvas ; le métier exige un long apprentissage, un sang-froid, une endurance et une accoutumance peut communs; c'est pourquoi on ne saurait trop s'exagérer la gravité de la crise de main-d'oeuvre qui menace, actuellement, d'arrêter l'essor magnifique de notre industrie des grandes pêches. Ce n'est un secret pour personne et l'on se rappelle, à ce propos, les polémiques suscitées par l'intention prêtée aux armateurs fécampois de recruter des équipages norvégiens, que les capitaines ont éprouvé cette année, de graves difficultés dans la formation de leurs équipages. Il a fallu, sur certains chalutiers, en particulier sur ceux qui arment à Bordeaux, faire appel, dans une très faible proportion, il est vrai, à la main-d'oeuvre étrangère (anglaise, belge ou Scandinave) ; et il est à craindre que l'on soit obligé de persévérer dans cette voie.

 

N'a-t-on pas vu, également, en 1926, les armateurs de Saint-Malo, Saint-Servan et Cancale, limiter de la façon suivante le nombre de leurs équipages pour la prochaine campagne :

 

Les navires d'une jauge brute supérieure à 450 tonnes, 36 hommes.

Les navires jaugeant entre 400 et 500 tonnes, 34 hommes.

Les navires jaugeant entre 350 et 400 tonnes, 32 hommes.

Les navires jaugeant entre 300 et 350 tonnes, 30 hommes.

Les navires jaugeant entre 250 et 300 tonnes, 28 hommes.

Les navires jaugeant entre 250 et 200 tonnes, 20 hommes.

Les navires jaugeant moins de 200 tonnes, 16 hommes.

 
     
 

Le Havre Le trois mâts Saint-pierre, CPA collection LPM 1900

 
     
 

En vue de former des avants de doris, chaque navire a le droit d'avoir, en plus de son équipage normal, deux hommes supplémentaires, à condition que ces deux derniers soient âgés de moins de 18 ans.

 

On ne peut que déplorer cette désaffection du métier de pêcheur que professent trop souvent les fils de marins. Les pères eux-mêmes sont responsables de cet état d'esprit, qui poussent leurs enfants vers de vagues professions libérales, en font des fonctionnaires vivant chichement et grossissent sans cesse la foule des déclassés et des mécontents.

 

La condition du marin banquais s'est, cependant, nettement améliorée; les lois de 1907 et 1911 ont imposé aux armateurs l'obligation de faire construire des navires mieux aménagés et présentant toutes les garanties de réussite désirables ; les nouvelles chartes parties ont réglementé d'une façon très explicite les conditions du travail et précisé les obligations réciproques des armateurs et des marins.

 

En outre, la vie est moins pénible à bord des chalutiers, de plus en plus nombreux maintenant et qui, dans un prochain avenir remplaceront les voiliers ; enfin, nous verrons en son temps que les dernières campagnes ont été particulièrement fructueuses pour les équipages.

 

Des conditions d'engagement

 

Le principe même du contrat qui lie armateurs et équipages de pêche est celui d'une véritable association avec participation aux charges et aux bénéfices. Tous les membres de l'équipage, du mousse au maître de pêche, sont intéressés à la réussite de l'expédition et ne négligent rien pour l'assurer ; les nombreux accidents qui surviennent chaque année sur le banc (doris trop éloignés partis en dérive ou chavirés par suite d'un excédent de chargement) n'en fournissent que trop la preuve.

 

Cette participation aux risques et pertes de l'entreprise n'était pas toujours complète et certaines chartes parlies contenaient des dispositions garantissant aux pêcheurs un minimum de salaire, quel que fut le résultat de la campagne ; la part leur revenant, en outre, sur le produit de la pêche les intéressant au résultat de l'expédition.

 

Jusqu'en 1911 les conditions d'engagement entre armateurs et équipages variaient suivant l'usage établi dans les ports d'armement ; bien plus, il arrivait que des bateaux armant dans le même port adoptassent des chartes parties différentes.

 
     
 

Nantes Trois mâts descendant la loire, CPA collection LPM 1900

 
     
 

Les principales modalités étaient : « l'engagement au cinquième usité à Fécamp, l'engagement au cinquième mitigé pratiqué à Saint-Malo, l' engagement au tiers net de Saint-Brieuc, l' engagement au quintal de Saint-Malo, l'engagement au mille, etc..

 

Dans l'engagement au cinquième, qui comportait lui-même des modalités (engagement au cinquième de la pêche et au fret, au cinquième et an pot de vin) on déduisait les avaries ou mieux les dépenses communes du produit brut de la pêche ; cette déduction opérée, l'armateur retirait les 4/5 et l'équipage partageait le 1/5 restant. La capitaine recevait de 2 à 3 lots, suivant que le gain du voyage dépassait ou non 300 francs au lot ; il avait, en outre, 2 % de pratique sur le produit brut de la pêche, escompte et commission déduits et 15 francs par 1.000 morues pesant 2 kilos 250 sur l'excédent de 50.000 morues, ramenées à ce poids moyen. Le second et le saleur recevaient chacun un lot et demi, plus 1/2 % de pratique sur le produit net de la pêche ; les patrons de doris, 1 lot et 60 francs de patronage, les avants de doris lot, les novices 3/4 de lot et les mousses 1/2 lot. En outre, il était institué en faveur des trois doris qui avaient fait la meilleure pèche, 3 primes de 100, 60 et 40 francs, prises sur le cinquième de l'équipage. Dans l'engagement au cinquième et au pot de vin, les hommes recevaient, au moment de leur inscription au rôle, une somme fixe, nommée « pot de vin » qui venait s'ajouter au produit des lots.

 

L'engagement au «cinquième mitigé» comportait l'attribution de gratifications prélevées sur le cinquième de l'équipage. Avec l'engagement « au tiers» qui était surtout usité pour la pêche d'Islande mais que l'on a pratiqué à Saint-Malo et, plus récemment encore, à Saint-Brieuc, l'équipage recevait comme rémunération le tiers du produit de la vente nette de la pêche, après déduction de tous les frais généraux. Dans l'engagement au mille, le patron de doris touchait 50 francspar mille de morues pêchées, l'avant de 35 à 40 francs, mais le poids du mille était stipulé par l'armateur avant le départ pour les bancs. Dans l'engagement « au quintal» les armateurs donnaient au marin 4 fr. 75 par quintal de 55 kilos de morue pêchée.

 

La charte partie, conclue à la suite d'un conflit entre le syndicat des armateurs de Saint-Malo et celui des inscrits terre-neuviens, était plus complexe encore. Aux termes de son article 13, « la morue, quelle que soit sa grosseur, était ramenée à 30 quintaux au mille et l'équipage de chaque doris recevait sur les mille pêchées par lui, 7 francs par franc de vente nette du quintal. »

 
     
 

Saint Malô Trois mâts Terreneuvier CPA collection LPM 1900

 
     
 

On peut se rendre compte des difficultés que ne pouvaient manquer d'engendrer à l'usage ces contrats archaïques et compliqués à plaisir ; des conflits naissaient lors de chaque règlement de comptes touchant le calcul des pénalités, des frais généraux, les salaires des hommes restant à bord pour conduire le navire à son port d'hivernage, les salaires des blessés ou malades, etc.. Le Département de la Marine se trouvait en quelque sorte désarmé, son droit se bornant à prascrire les clauses contraires aux dispositions déclarées d'ordre public, il ne pouvait intervenir que par voie de conseils ou de suggestions et en usant de son influence sur les armateurs et les marins pour obtenir la suppression ou la modification des clauses et conditions estimées obscures, imprécises ou peu équitables. Ces clauses débattues librement entre les intéressés et dérivant, suivant les régions, de lois économiques différentes, donnaient aux différentes conventions en usage des modalités très variées. Il importait, certes, de respecter des habitudes fortement ancrées dans les moeurs ; mais, d'autre part, l'Administration de la Marine se devait d'obtenir que les engagements se. fassent dans des conditions qui réduisent, dans la mesure du possible, les sources de difficultés et de conflits. L'occasion lui en fut donnée à la suite des incidents violents qui survinrent, à la fin de 1911, dans la région de Saint-Malo et de Cancale au sujet des engagements pour les Grandes Pêches.

 

M. l'Administrateur en chef Delacour, auquel nous nous permettrons d'adresser ici un souvenir ému, réussit à conclure entre le syndicat des armateurs et la Fédération des Syndicats d'Inscrits maritimes un accord dont le résultat fut l'adoption d'une charte partie unique pour les ports de Granville, Saint-Malo, Saint-Servan et Paimpol.

 

A la suite de cet accord, les chartes parties pour Terre-Neuve se réduisirent à trois types essentiels qui se distinguaient les uns des autres par les méthodes adoptées pour la rémunération des équipages :

 

   1° L'armement au cinquième (Fécamp);

   2° L'armement au quart net (Granville, SainL-Malo, Saint-Servan,Paimpol) ;

   3° L'armement au mille de morues avec réduction au quintal (Cancale).

 

Enfin, un navire de Saint-Brieuc armait au tiers net comme les Islandais.

 

Il nous semble utile de consacrer quelques lignes à l'étude des clauses principales de ces divers contrats.

 
     
 

Les Sables D'Olonne, CPA collection LPM 1900

 
     
 

Engagement au cinquième

 

La rémunération des pêcheurs se compose de deux éléments :  a) une partie fixe dénommée « pot de vin» et qui, différence essentielle avec les avances payées dans les autres ports, n'est pas « à valoir» sur la campagne, mais constitue un premier[salaire et se cumule avec]le produitjde la pêche; et b) une part du produit de la vente de la pêche ; le cinquième de ce produit étant partagé entre les  ommes de l'équipage. Nous nous trouvons donc en présence d'une participation aux bénéfices mitigée, chacun recevant un salaire minimum invariable et une part dépendant du résultat général de la campagne à la réussite de laquelle il se trouve, par suite, intéressé. Ces parts sont égales et non proportionnées à la pêche de chacun. Les dépenses communes fixées à forfait à un chiffre déterminé sont connues d'avance et invariables, d'où une grande simplification et la disparition d'une source permanente de conflits.

 

Toutefois, il pouvait sembler peu équitable de prélever sur la part de l'équipage les primes accordées aux meilleurs pêcheurs (clause survivante des anciennes chartes locales) et d'imputer sur ce même cinquième les frais de remplacement des morts, déserteurs, etc..

 

Il convient de remarquer que le soin de prononcer les pénalités pécuniaires était remis à une sorte de Conseil arbitral composé du capitaine, du second et de deux patrons de doris, qui ne pouvaient rien toucher de la somme retenue, non plus que l'armateur, cette somme étant partagée entre le restant, de l'équipage.

 

Outre le « pol de vin» et la « part» ou « lot», il ne semble pas sans intérêt de rappeler que, suivant un antique usage, les marins recevaient lors de leur engagement, parfois bien longtemps avant le commencement de la campagne, un « pur don » que leur versait de la main à la main le subréeargue ou capitaine chargé de former l'équipage. C'était un moyen pour l'armement de s'assurer les meilleurs pêcheurs, aussi le faux de ce « pur don» variait-il suivant la réputation de l'homme ; cette allocation ne figurait pas au rôle d'équipage et était payée en dehors de toute intervention de la Marine.

 
     
 

Bordeaux, CPA collection LPM 1900

 
     
 

Engagement au quart net

 

La charte partie de la région bretonne se caractérisait par la participation directe de l'ensemble de l'équipage aux bénéfices de la campagne et la rémunération de chaque homme en particulier proportionnellement à son travail personnel.

 

Ici pas de rémunération fixe ; les avances payées en deux fois lors de la revue d'armement et 10 jours après le départ aux ayants droit du marin étaient tout entières à valoir ; en outre, au moment de l'engagement il pouvait être accordé des « deniers à Dieu » à déduire du paiement de la «première partie des avances». Ces avances restaient toujours acquises, même au cas où, par suite de circonstances exceptionnelles, il se trouvait des hommes qui ne les avaient pas effectivement gagnées ; la charte partie stipulait qu'il n'en serait autrement qu'en cas d'abandon volontaire du navire, d'abandon du voyage avant le départ par suite de force majeure et de débarquement d'un homme avant le départ pour cause d'appel pour le service de la flotte, de maladie cachée, d'inconduite, etc..

 

Au retour de la campagne, il était fait une totalisation des produits de la pêche, comprenant la vente (nette d'escompte et de commission) de morues, huiles, rogues, des frets de passagers et de toutes autres recettes. 11 en était déduit le montant des divers frais communs (boette, allocation pour huile, frais de déchargement, de pesage, de conduite en fin de campagne) et le reste divisé, par le nombre de morues pêchées donnait le prix d'une morue. L'équipage de chaque doris recevait alors le quart de ce prix multiplié par le nombre de morues pêchées par lui.

 

L'armateur payait, en plus, sur les trois quarts lui revenant, les gages des marins n'embarquant pas dans les doris ou « chauffaudiers» capitaine, second, saleur, novices, mousses.

 
     
 

Bordeaux navires morutiers, CPA collection LPM 1900

 
     
 

Engagement au mille de morues avec réduction au quintal

 

Cette charte fut maintenue et adoptée par les armateurs et les inscrits de Cancale sur la proposition de la Fédération des Syndicats d'inscrits maritimes. A côté de certaines dispositions heureuses touchant, par exemple, l'établissement des comptes de pêche, la tenue des carnets de doris, la rémunération des dorissiers affectés à la pêche de la boette ou maintenus à bord, elle maintenait un système de décompte archaïque et certainement inintelligible pour les trois quarts des pêcheurs. Ce système consistait à prendre pour base non pas le nombre réel de morues pêchées, mais le nombre obtenu en considérant fictivement toute la pêche du navire comme exclusivement composée de morues pesant 27 quintaux au mille. Les morues pêchées par chaque doris étaient payées à son équipage 140 francs le mille sur la base de vente de 20 francs le quintal. Autrement dit, chaque équipage recevait 7 francs par franc de vente nette du quintal sans que le prix ainsi payé puisse être inférieur à 140 francs par mille morues, c'est-à-dire au prix de base de 20 francs le quintal.

 

Engagement au mois avec pourcentage sur la pêche

 

Cette charte partie était spéciale aux chalutiers armés pour Terre-Neuve ou Islande.

 

A l'inverse de ce qui avait lieu sur les bateaux à voiles, les équipages étaient fort peu intéressés aux bénéfices de la pêche. Ils touchaient un salaire fixe variant entre 80 et 100 francs par mois et 1 à 2 francs pour 1.000 francs de vente du poisson à titre de pourcentage dans les bénéfices de la pêche. Les trancheurs et saleurs recevaient, généralement, un supplément mensuel de 20 francs sur les autres hommes. Sur certains boulonnais, le pourcentage ne résultait que d'une clause verbale entre l'équipage et l'armateur, ce dernier étant libre de payer ou non cette gratification suivant la façon dont il était satisfait de son personnel. A Fecamp les seconds touchaient 300 francs plus 3 % ; les lieutenants, les saleurs et les trancheurs, 225 francs plus 2 % ; les matelots, 100 francs plus 1 %.

 
     
 

Bordeaux, CPA collection LPM 1900

 
     
 

Les chartes parties de 1920

 

Telles quelles, les trois chartes parties types — et, encore, la charte partie de Cancale ne s'appliquait-elle qu'à bien peu de navires — marquaient, certes, un progrès appréciable sur le régime antérieur. Certaines dispositions archaïques et draconiennes en avaient disparu et, exception faite de la charte cancalaise, leur interprétation et, par suite, les règlements de comptes devenaient plus faciles.

 

Toutefois, à l'usage, il apparut qu'il était encore possible de supprimer ou de modifier certaines dispositions critiquables, d'apporter des simplifications ou des précisions à des clauses encore obscures. Il fallait également tenir compte d'un fait nouveau très important, l'entrée en service des chalutiers à vapeur, plus nombreux d'année en année, et sur lesquels les conditions du travail, comme aussi la rémunération des hommes supposaient des conditions d'engagement totalement différentes de celles adoptées par les voiliers. En outre, depuis 1919, la loi de huit heures avait été rendue applicable à la marine marchande et il convenait, également, d'adapter les clauses relatives à l'organisation du travail à bord, au principe qu'elle venait consacrer.

 

Une commission fut donc chargée, par arrêté du 8 janvier 1920, d'élaborer une charte partie type de travail et de recrutement des navires de Grande Pêche. La présidence en fut confiée à M. le Conseiller d'Etat Jules Gautier.

 

Grâce à la bonne volonté et à l'esprit de conciliation dont ne cessèrent de faire preuve les représentants de l'armement et ceux des inscrits maritimes, l'accord se fit rapidement au sein de cette Commission et, le 3 mars 1920, étaient notifiés trois contrats types qui, malgré la date tardive de leur promulgation devinrent, dès la campagne 1920, la charte des armements pour Terre-Neuve et Islande.

 

Tous les armements sont donc, actuellement, faits suivant l'une des chartes parties suivantes :

 

   l°4Charte partie des chalutiers à vapeur (Terre-Neuve et Islande) ;

   2°JCharte partie des voiliers de Terre-Neuve ;

   3°JCharte partie des voiliers d'Islande.

 

Nous n'étudierons ici que les dispositions essentielles des deux premières, renvoyant pour l'examen des clauses de la troisième, à la partie de notre ouvrage consacrée à la pèche d'Islande. Voir Les cahiers de vacances N° 51 du 25-08-2013

 
     
 

Le Havre Le vapeur Saint-François d'Assise. CPA collection LPM 1900