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Le glas © Eric Sutter et SFC, 2007
Quelqu'un vient de mourir !
Le glas est un cas particulier des sonneries de cloches dont l'usage a été introduit dès le VIe siècle par l'Eglise. Les premières attestations de la "cloche des morts" semblent remonter au VIIIe siècle. Au Moyen Age, la sonnerie spécifique du glas est unservice d'église bien établi qui fait partie des manifestations extérieures usuelles de la vie religieuse, dans les villes comme dans les campagnes, et peut apporter des revenus aux paroisses. Il est constitué d'un nombre fixe de coups, mais pendant l'Ancien Régime, ce nombre pourra varier avec lacondition sociale du défunt et donc avec les sommes payées par les familles. En vallée de la Vésubie, jusqu'au XIXe s., on sonnait différemment selon que le défunt était un notable ou était une personne de pauvre condition ; cette distinction fut abolie au XXe s. Mais la façon de sonner le glas varie selon les villages. La distinction entre les sexes existe dès le XIIIe siècle et semble avoir eu cours longtemps dans de nombreuses régions de France. L’usage subsiste encore dans plusieurs villages.
Dans les sociétés rurales traditionnelles, le glas est,en effet, un ensemble de signes déterminés qui a pour fonction sociale d'annoncer à toute une communauté la mort d'un de ses membres, et, le cas échéant, apporter des précisions sur le défunt (sexe, âge…) ou sur les étapes du processus conduisant de l'agonie jusqu'à l'enterrement. Exceptionnellement, il peut annoncer la mort d'une personnalité importante (pape, roi, président de la République…).
L'annonce du décès est effectuée peu après la mort par le curé ou le sacristain sur information donnée par la famille ou un membre du voisinage. Outre cettefonction informative, le glas est aussi invitation de la communauté à la prière. Dans certaines régions,il était sonné plus tôt, au moment où le prêtre portait le Saint-Viatique au mourant, conçu, comme diront certains auteurs, comme un "chant de marche" et symbolisant la marche du mourant vers la vie éternelle, la marche des fidèles qui sont invités à entourer le mourant de leurs prières et à réaliser leur propre cheminement vers la lumière. Le glas peut se faire entendre après la sonnerie annonçant la messe des obsèques ; il accompagne souvent le cortège funèbre qui conduit le mort du domicile à l'église et de l'église au cimetière. On retrouve ici le symbolisme d'accompagnement au "voyage" évoqué ci-dessus.
Dans le cas des grands édifices religieux comportant un nombre important de cloche, il était courant de dédier une cloche à cette sonnerie. Ainsi trouve-t-on une cloche des mortsà la cathédrale de Sens et une Malespèreà la cathédrale de Narbonne.
La sonnerie pour deuil pouvait porter des noms différents selon les “pays” : on parle definizouen Charente limousine, de Chantepleure ans les régions saintongeaise ou angoumoisine, du Padouan Saint-Porchaire, de Clars dans la vallée de la Vésubie. Dans d’autres régions, on dit sonner à mort ou annoncer le trépas(Pays de Bray). Dans plusieurs paroisses du pays de Bray, on donne le nom d'épreinte la volée des cloches sonnées en deuil. Avant la Révolution, à Lambesc, on sonnait l'Agonisante lorsqu’un malade était à l'agonie. A Gournay, en Normandie, on sonnait au siècle dernier le tint du regret lorsque le doyen de la paroisse avait rendu le dernier soupir (mais parfois aussi lors de son départ, lorsque son service avait été apprécié et qu'il était affecté à une autre paroisse). En Picardie et dans des régions voisines, il était parfois d’usage d’intercaler la sonnerie des pardons entre chaque glas : 1 cloche en grande volée et tintement sur les deux autres.
On peut constater des variations selon les lieux dans la manière de sonner le glas : la lenteur du rythme de frappe ou l'espacement entre les séries de coups, l'alternance plus ou moins systématique entre les cloches, le nombre de cloches utilisées introduisent ainsi des variantes régionales ou locales. Par exemple, à Saint-Maurice-des Lions, on sonnait trois fois trois coups puis la grande volée avec la grosse cloche pour les hommes ; pour les femmes deux fois trois coups puis la grande volée, et pour un enfant 3 coups puis la grande volée. Dans le pays de Bray, en Normandie, le nombre de coups tintés après la volée variait selon les villages : à Neufchâtel, l'annonce se fait par quinze coups de cloche pour un homme, douze pour une femme, six pour un enfant ; mais à Gournay, on l'annonce par douze coups pour un homme et huit pour une femme. En Aveyron, on sonne trois fois par jour jusqu’aux obsèques. A Saint-Pierre-Laval (Loire), on sonne la veille de l’office, avec l’angélus (trois fois trois coups puis l’âge est compté par dizaine sur la petite cloche, puis volée sur les deux cloches), le matin suivant à 7h30, l’angélus puis le glas ; à midi, l’angélus et le glas. A Aiguiez (Drôme), on sonne le jour de l’enterrement : sonnerie une heure avant, puis un quart d’heure avant puis au moment du départ pour le cimetière A Gournay, le glas se sonnait pendant trois quarts d'heure de chaque heure du jour, le quart d'heure restant étant employé au son de la volée de la troisième cloche. Pour d'autres défunts, on sonnait la "cloche perdue" : on sonnait à la volée la petite cloche, puis la deuxième, puis la troisième et enfin la quatrième, la plus grosse. Après avoir sonné les quatre cloches pendant quelque temps, on les arrêtait par intermittence, en commençant par la petite et en terminant par la grosse.
Occasionnellement, la sonnerie du glas peut être détournée de son usage initial et revêtir un caractère symbolique. Par exemple, le 20 mars 2003, comme dans plusieurs villes, le glas a retenti au beffroi communal et à la cathédrale de Boulogne-sur-Mer pour exprimer le rejet d'une guerre jugée injuste et illégitime en Irak . Une variante de la sonnerie du glas, signe de deuil et de tristesse, est la "volée romaine", signe d'espoir : les sonneurs se mettent d'un même côté de-là cloche, comptent jusqu'à dix et tirent sur la corde reliée au battant, et répètent ainsi l'opération tous les dix temps.
Sur le plan technique, il convient de noter une particularité de certains clochers de Normandie : certains sont équipés d'un système de "glas à marteau roulant", un dispositif qui permet à la cloche de volée de "heurter", au milieu de sa robe, un marteau roulant lors de son passage en position verticale pour produire un second son en tierce mineure, donnant ainsi l'impression d'entendre deux cloches sonnant en alternance. |
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