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Les Joyeux Bocains Contes drolatiques en patois bas-normand Lé Chendres
Par Charles Lemaître, Le Chansonnier du Bocage A Monsieur Auguste Nicolas.
Y’avait un couvent d’Ursulines, Dans l’ temps jadis, aupreux d’ Bayeux, Où qu’ c’est qu’ lé nonn’s chantaient matines, Tous lé matins, à qui mieux mieux.
O’s avaient prins por domestique Un vieux qu’ nos app’lait Dominique ; C’était li qui faisait l’ couerti, lé commissions, Pendant qu’ lé p’tit’s nonnains disaient leux oraisons. L’ bouenhomme avait pas mal à faire, Et quand l’ sé arrivait, Il était bi lassé, D’aver rempli san ministère.
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Nos a chacun sé p’tits défauts, Faut dir’ que lé r’ligieuses Etaient un brin curieuses, Et quand o’s entendaient l’ custos, Fair’ la moindre sonn’rie dans l’ clocher du village, Y fallait qu’ Dominiqu’ lâch’ bi vite s’n ouvrage, Por en aller saver l’ motif ; Y’ avait un quart de lieue, sé gamb’s étaient mauvaises, C’est por cha qu’à chaqu’ v’yage, y maugréait à s’n aise, Trouvant qu’ c’était trop abusif.
Dans l’ moment dé jours gras, l’Eglis’ fait dé périères, Por réparer tout l’ ma Qui s’ fait dans l’ Carnava Et apaiser l’ bon Dieu, qu’ cha met bi’n en colère ; C’était por cha, qu’à tour de bras, Pendant qu’ no fêtait Mardi-Gras, Théodore l’ custos sonnait eune avolée, Qu’ arrêtit Dominique, en train d’ bère eun’ bolée ; L’ paur’ homm’ commenchait à dainner, Quand v’là qu’ Madam’ la supérieure L’i commandit d’aller d’mander Por qui dont qu’ no sonnait, à c’t’ heure.
Ah ! dame, j’ vos assur’ qu’i n’était pas content, Çu paur’ vieux Dominique, en sortant du couvent ; Pensez dont qu’i quittait l’ meilleu dainner d’ l’année, Et quand y r’viendrait d’ vaie l’ custos, P’t’êt’ bi qu’i n’en r’trouv’rait qu’ les os. L’i laiss’raient’i seul’ment un pau’ brin d’ terrinée ?
Aussi, por es’ vengi d’êtr’ dérangi d’ san r’pas, Il inventit un cont’ qu’eut dé gross’s conséquences Et qu’ por tout l’or du mond’ je n’ voudrais, bi sûr pas, Comm’ c’est qu’ no dit quiqu’fouais, avai sû la conscience.
Y fut p’t’ êt’ bi eune heur’ parti Et r’arrivit tout éfabi : « - Hélas ! Madam’ la supérieure, Qu’i l’i racontit en rentrant, Qui qu’ c’est qu’ no verra co à c’t’ heure ? J’ai ouï d’ qué qu’est bi révoltant. En entrant dans l’églis’, demander por qui faire Que no sonnait comm’ cha, si n’y avait quiqu’ malheur, J’vis qu’oll’ tait plein’ de mond’, moussieu l’ t’churé, en chaire, Lisait respectueus’ment un mand’ment d’ Monseigneur, Et j’ l’entendis lir’ cha : « Pour ne pas qu’ les impies, Qui tourn’nt en dérision Les chos’s de la r’ligion, Voient au front des fidèl’s les saint’s Cendr’s, je vous prie A l’avenir de les donner Sur le ventre, pour les cacher ; Je dois donc, mes chers frèr’s, avec obéissance, Exécuter les ordr’s de notre saint prélat, En conséquenc’, demain, vous voudrez bien, je pense, Recevoir les saint’s Cendr’s, pieus’ment, sû c’t endroit-là. »
« - Grand Dieu ! saint’ Vierge et saint’ Monique ! Et’s-vous bien certain, Dominique, D’avoir réell’ment entendu Ces parol’s-là, mon doux Jésus ? » Qu’ s’ébair’yit la bouenn’ dame.
« - J’en suis tell’ment certain, Qu’ j’en réponds, dit l’ gredin, Sur el’ salut de m’n âme. »
Sans perdre d’ temps, eune heure apreux, Lé nonnains s’ trouvir’nt tout’s mandées au grand chapitre ; La supérieur’, lé larm’s ès yeux, Leux racontit l’ mand’ment du saint porteur de mitre. « - Et bien qu’ notre pudeur en doiv’ beaucoup souffrir, Que dit la bouenne abbess’, nous devons obéir. » Lé pauvr’s petit’s nonn’s, tout émues, S’ minr’nt à gémir en chœur : « - Ah ! mon Dieu, quel malheur ! Sur notre ventr’, nous somm’ perdues !
Quiqu’fais qu’ dans la désolation, Arrive eun’ bouenne inspiration ; « Mes chèr’s fill’s, dit l’abbesse, il me vient une idée : Pour rec’voir décemment les Cendres consacrées, A notre rob’ faisons un trou, Large environ comme un gros sou, Par ce trou-là, sans aucun’ crainte, Nous recevrons la Cendre sainte… »
Por sauver leux pudeur, ah ! dam’, cha n’ traînit pas ! Dans l’étoff’ de leux rob’s, en avant lé cisiâx ! Et l’ lend’main au matin, d’avec leux mère abbesse, Brav’ment lé p’tit’s nonnains s’en allir’nt à la messe. A la saint’ tabl’, leux voil’ sû l’s’yeux, O s’ag’nouillir’nt d’un air bi pieux, La main sû la p’tite ouverture. Mais quand el’ t’churé s’aperchit, N’ véyant pas un bout d’ la figure D’ la supérieur’ qu’était d’vant li : « - Madam’, qu’i dit, le temps nous presse, Allons, voyons, découvrez-vous. » Montrant l’endroit : « - Voici le trou, Qu’ l’i répondit la mère abbesse, Nous en avons chacune autant, Le trouvez-vous point assez grand ? » « - Allons ! madam’, je vous en prie, Pourquoi tout’s ces cérémonies ? Que r’fit l’ t’churé ; finissons-en, Le reste des fidèl’s attend ; Allons ! découvrez-vous bien vite, Que je vous cendr’ selon le rite. »
Ah ! Dominiqu’, pas mêm’ la mort N’ te f’rait expier c’ qu’ eut lieu alors !
« - La volonté de Dieu soit faite, Que dit l’abbesse en gémissant. » Et aussitôt par sûr sa tête, Enl’vit sa robe et tout l’ restant.
L’ paur’ t’churé, véyant cha, en restit goul’ baîllie Et fut vit’ s’écapper au fond d’ la sacristie.
Enfin tout d’ même, no s’expliquit, Au pasteur no fit tout comprendre. Et y s’en r’vint, non sans rouégi, Es p’tit’s nonnains bailli lé Chendres.
Et quand à Dominiq’, çu profond scélérat, Y fut mins à la porte, et sans certificat !! |