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En revenant du marché de Saint Lô, CPA collection LPM 1900 |
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Le Normand 1842
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CAUSES DÉTERMINANTES DU CARACTÈRE NORMAND
Les rapports des Neustriens avec les Northmans envahisseurs n’eurent rien de semblable à ceux des Gaulois avec les Romains et les Francs. Les Romains s’installèrent dans les Gaules en dominateurs suprêmes et inflexibles, et les Bagaudes ou Armoriques reconnurent volontairement Clovis converti en qualité d’administrator rei militaris. Quant aux Northmans, ils ne furent ni des vainqueurs tyranniques, ni des auxiliaires acceptés contre un empire expirant. Ils opprimèrent pacifiquement, en vertu d’une concession royale ; et malgré le peu de sympathie qu’ils inspiraient, il fallut les subir sans murmurer. On les détestait d’autant plus qu’on était obligé de les tolérer, mais c’était une haine concentrée, qui se décelait moins par la violence que par d’artificieuses embûches, comme l’atteste Robert Wace, qui écrivait son roman de Rou en 1160. |
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« Les fourberies de France ne sont pas à cacher. Les Français cherchèrent toujours à déshériter les Normands, et toujours ils s’efforcèrent de les vaincre et de les tourmenter ; quand ils n’y peuvent parvenir par force, ils ont coutume d’employer la tricherie. Les Français qu’on vantait tant sont dégénérés ; ils sont faux et perfides, et nul ne doit s’y fier. Ils sont pleins de convoitise, et l’on ne peut les rassasier. Ils sont avares de présents et altérés de biens. On peut voir par les histoires et par les livres que jamais les Français ne se fieront aux Normands, quand même ceux-ci prêteraient serment sur les saints »
A la bataille d’Hastings, Rogier de Montgommeri, chef normand, crie à ses hommes d’armes :
Dans la célèbre tapisserie de Bayeux, présumée l’oeuvre de la reine Mathilde, le nom de Franci est donné aux soldats de Guillaume le Conquérant. C’étaient donc bien les Français de Neustrie qui résistaient par de sourdes manoeuvres aux empiétements des hommes du Nord. Non contents de calomnier ceux-ci, de leur faire mille reproches, de les flétrir des sobriquets de bigots, de mangeurs de drêche, de gent de North mendie, les seigneurs évincés qui se trouvaient à la cour de France ne cessaient d’exciter le roi à les combattre ouvertement.
Les vilains, se gardant bien de conseiller une guerre dont ils auraient payé les frais, étaient toujours sur le qui-vive, cherchaient toujours les moyens de nuire à leurs antagonistes sans se compromettre eux-mêmes, les observaient pour les prendre en défaut, et s’accoutumaient à la finesse et à la dissimulation. C’est en effet le trait le plus saillant d’un portrait des Normands tracé au douzième siècle par Geoffroi Malaterra, moine sicilien.
« Il est une nation très-rusée, vindicative, qui méprisa le champ paternel, dans l’espoir de trouver ailleurs plus de profit ; avide de richesses et de puissance, dissimulant toujours ; tenant un certain milieu entre la profession et l’avarice, quoique ses princes recherchent la renommée que donnent de grandes largesses. Ce peuple connaît l’art de flatter, il s’applique avec tant de soin à l’éloquence, que les enfants du pays pourraient passer eux-mêmes pour des rhéteurs. Cette nation est des plus effrénées, si on ne la contient sous le joug de la justice. Elle souffre, au besoin, sans se plaindre, la fatigue, la faim et le froid. Elle aime l’exercice du cheval, l’attirail militaire, et le luxe dans les habits, etc. »
CAUSES DE L’ESPRIT PROCESSIF REPROCHÉ AUX NORMANDS
Si, malgré toutes leurs précautions, les premiers possesseurs du sol étaient lésés par la race danoise, la sage prévoyance de Rou ne les avait pas laissés sans défense. Ils pouvaient traduire un Normand en justice, l’accuser d’utlagarie (pillage), demander le combat, et, en cas de refus de leur adversaire, se purger par serment ou en produisant des témoins. Le partage des terres aux nouveaux venus, le défaut de limites précises entre les propriétés, occasionnèrent infailliblement de nombreuses discussions d’intérêt entre les soldats transformés en agriculteurs, et les manants de la Neustrie. Les premiers, naguère pirates, s’étaient sans doute plus d’une fois façonnés à la chicane quand, après leurs expéditions, il s’était agi de la répartition du butin. Les seconds avaient la conviction de leurs droits et l’énergie de la faiblesse réduite au désespoir. Ils se cramponnaient aux procès comme à une branche de salut ; et leur génie avocassier était stimulé par les obstacles. D’un autre côté, les seigneurs féodaux, profitant de l’absence des ducs, occupés en Angleterre, en Palestine, en Sicile, dans le royaume de Naples, se rendaient indépendants, multipliaient les bailliages, inventaient chaque jour de nouvelles corvées, de nouveaux impôts, et ne manquaient jamais de prétextes pour lancer contre leurs vassaux des prévôts et des bedels. Les paysans se soulevèrent, en 996, sous le règne de Richard II, mettaient au premier rang de leurs griefs la multitude d’assignations dont ils étaient accablés. On leur intentait des procès au sujet des forêts, des monnaies, des chemins, de la réparation des biez, des moutures, des droits féodaux, des redevances, des corvées, du service militaire dû au seigneur.
Voilà certes assez de plaiz pour rendre un peuple plaideur jusqu’à la consommation des siècles. Aussi, quand Guillaume le Conquérant à l’agonie donnait à ses fils des renseignements sur le caractère de ses vassaux, il les représentait comme ardents à la chicane, tout en rendant justice à leurs qualités. « En Normandie, disait-il, il y a un peuple très-fier ; je n’en connais point de semblable. Les chevaliers y sont preux et vaillants, et victorieux partout. Leurs expéditions sont à craindre s’ils ont un bon capitaine ; mais, s’ils n’ont pas un seigneur qu’ils redoutent et qui sache les maintenir, on en est bientôt mal servi. Les Normands ne valent quelque chose que sous une administration sévère et équitable ; ils aiment à se divertir et à plaider, si on ne les tient en respect ; mais celui qui leur fait sentir le joug en peut tirer parti. Les Normands sont fiers, orgueilleux, vantards, fanfarons ; il faudrait avec eux être toujours occupé à tenir des plaids, car ils sont forts pour comparaître en justice. Robert, qui doit gouverner de pareils hommes, a beaucoup à faire et à penser. »
Il est donc bien constaté, par le témoignage de mestre Robert Wace, escholier de Caen, que les Normands étaient déjà processifs au temps de Guillaume le Conquérant. Voyez plutôt ce qui advint à la dépouille mortelle de ce prince. Les prélats et les barons s’étaient rassemblés pour l’enterrer pompeusement dans l’église de Saint-Étienne de Caen, qu’il avait fondée. Il y avait là Guillaume, archevêque de Rouen, Odon, évêque de Bayeux, Gislebert, évêque d’Évreux, Gislebert Meminot, évêque de Lisieux, Michel, évêque d’Avranches, Geoffroi, évêque de Coutances, Girard, évêque de Séez, et une multitude d’abbés et de hauts dignitaires. La messe des morts était achevée, le cercueil de pierre descendu dans la fosse, le cadavre au bord, sur un brancard, et Gislebert d’Evreux arrachait des pleurs à tous les assistants, en prononçant les dernières paroles de l’oraison funèbre : « Puisque ici-bas, nul mortel ne peut vivre sans péché, prions tous, dans la charité de Dieu, pour le prince défunt. Appliquez-vous à intercéder pour lui auprès du seigneur tout-puissant, et pardonnez-lui de bon coeur s’il vous a manqué en quelque chose. »
(1) M. F. Pluquet, éditeur de Robert Wace, avec cet orgueil national si familier aux écrivains normands, vantéors et bonbanciers, a traduit ce vers : |
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MÉFIANCE DU PAYSAN NORMAND.
Le paysan normand est questionneur. Li plus enquérrant en Normandie : Où aliax ? Que quèriax ? d’ont veniax ? Mais il ne répond point à la confiance qu’il semble désirer, et en vous méfiant de lui vous ne faites que lui rendre la pareille. Cachant la finesse du renard sous l’air de bonhomie du mouton, retors sous le masque de la simplicité, réservé et sur la défensive avec les étrangers, il semble leur supposer ou avoir lui-même une arrière-pensée. Il louvoie, ne dit ni vere ni nenni, et répond rarement avec une franchise catégorique à la question même la moins insidieuse. C’est pour lui que le conditionnel semble inventé. – J’ons t’y point neune tiaulée d’afants qu’y leux z’y faut d’ quoi leux z’y dounnai. D’ pis quand ch’ équiont t’y eune richesse, chinq afants tous grouillands ?
(1) S’abattre, mot de patois cauchois. |
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