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Les Biards CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
ISIGY LE BUAT La Ville des Biards Hippolyte Sauvage 1858 Légendes normandes recueillies dans l’arrondissement de Mortain | ||||||||||||
Nulle localité ne renferme plus de légendes que la paroisse des Biards. Forteresse importante au moyen âge, son château féodal a disparu depuis bien des siècles déjà, et la tradition en conserve le souvenir. Il était situé sur un mamelon escarpé, dont l'une des faces, taillée à pic, baigne ses pieds dans un magnifique et large cours d'eau. De là, l'horizon est délicieux. Au milieu de verdoyantes collines, que couvrent de riches moissons et d'abondantes ramées, circule la Sélune, lente et majestueuse en son cours. Ses eaux servent à alimenter un grand nombre de moulins, dont les échos répètent au loin les stridents accords. Un pan de mur est seul resté debout, près d'un if séculaire dont les branches le protègent de leur ombre ; il appartenait à un ancien oratoire dédié à saint Nicolas. Auprès est un champ cultivé. Son nom rappelle l'ancien château-fort, et tout autour l'oeil ne voit que bruyères, ajoncs, solitude et dévastation. En effet, si la pioche vient à frapper le sol, elle rencontre une terre rougie qui a évidemment subi l'action du feu, ou bien quelques fragments de charbon qui ne peuvent laisser aucun doute dans les esprits. Là, ont passé les mains dévastatrices des hommes, et peut-être même la colère de Dieu. Quelques sentiers conduisent à la ville des Biards : la plupart ont même le nom de rues. Tous arrivent au point central de la colline.
C'est là que vécut un saint ermite, à une époque excessivement reculée.
Il était venu apporter la foi dans cette contrée. Les habitants, peu zélés, avaient fui d'abord à son approche. Quelques-uns cependant écoutèrent sa parole, en recueillirent les bienfaits, se convertirent aux principes de l'Evangile et prirent soin de pourvoir à sa subsistance.
L'apôtre tomba un jour malade des suites de ses fatigues, et il se vit bientôt délaissé par ceux auxquels il avait porté autrefois des consolations.
Mais, les besoins se faisaient sentir. Il laissa alors partir pour les hameaux voisins son coursier paisible, un âne, seul compagnon d'infortune qui lui restât. L'animal fut se présenter de lui-même aux portes où le conduisait journellement son maître, et chacun le chargea, qui de pain, qui de légumes, un autre de fruits, un quatrième de laitage, un dernier de miel, de pain et de ce qui pouvait être utile au solitaire.
Cela dura ainsi quelque temps.
Un jour cependant, les méchants enlevèrent sa charge entière à ce malheureux quadrupède, puis ils y substituèrent un fardeau si lourd de pierres que celui-ci, haletant, gravit avec peine le rocher et vint expirer à la porte de la cellule, aux pieds mêmes de son maître.
Peu après, l'ermite quitta la contrée, en y laissant sa malédiction ; et, depuis cette époque, chaque jour on a vu la cité des Biards, sous le poids de cet anathème, abandonner et perdre tout espoir, même lointain, de prospérité. Aussi quand, dirigeant vos pas vers la ville, vous prenez un guide et que vous lui demandez pourquoi, sur votre passage, vous apercevez tant de maisons en ruines, tant de lambeaux d'habitations, tant de restes désolés et sans vie, qui attestent que les hommes se sont retirés loin de ces lieux pour y laisser le calme de la mort, il vous répond invariablement par le proverbe qui forme comme la conclusion de cette légende, et qui se conserve dans un rayon de dix lieues :
La ville des Biards Décadit tous les jours d'un liard | ||||||||||||