VIVRE NORMAND
   
  LA NOURRITURE DES NORMANDS
         
   
         
 

LA NORMANDIE ANCESTRALE

Ethnologie, vie, coutumes, meubles, ustensiles, costumes, patois

Stéphen Chauvet.

Membre de la Commission des Monuments historiques

Edition Boivin, Paris.1920

 
         
 

La Nourriture des Normands.

 

Il y a deux et trois siècles, les paysans normands se nourrissaient surtout de légumes, d'œufs, de laitages et de beurre. Ils ne mangeaient que bien rarement de la viande. Quand ils tuaient un porc, ils en vendaient les bons morceaux et se réservaient les tripes, le cœur et la courraie (poumons) dont ils faisaient une soupe spéciale que l'on prépare encore, actuellement, selon certains rites. Ils fabriquaient enfin des andouilles, qu'ils mettaient à fumer dans l'âtre et se réservaient, parfois, un jambon. Ils faisaient, aussi, grand usage de bouillies de diverses céréales: avoine, orge, seigle, sarrasin, etc.. Cette dernière était si répandue qu'on appelait, par ironie, les paysans de chez nous » les Normands bouilleux ». Les bouillies se préparaient dans des casseroles de cuivre, spéciales, munies d'un long manche de fer et d'un petit pied, simple ou bifurqué, qui permettait à ce manche de s'appuyer sur l'âtre. La bouillie était sans cesse remuée, pendant la cuisson, avec une cuillère de bois (mouvette). Quand la préparation était terminée, on donnait la mouvette à lécher à un des enfants. Cet usage a créé le dicton populaire que les Normands appliquent à quiconque embrasse une femme un peu longuement.

 

« Y la reliche comme une mouvette à bouillie ».

 

Actuellement l'alimentation des Normands est toute différente. Ils mangent plus de viande qu'au temps passé. Cependant ils sont encore très loin de l'alimentation par trop carnée, des citadins. Ils ne mangent guère, en effet, de la viande fraîche que le dimanche à midi ou le lundi. Sous semaine, ils n'utilisent que la viande de porc salée et encore en petite quantité. Voici le schéma général de leur diététique :

 

Dès le réveil, les Normands mangent un « guichon » de soupe à la graisse. Cette soupe paysanne délicieuse, est faite avec des pommes de terre et les légumes verts de la saison [choux, poireaux, haricots « mange-tout » normands (ou « pois de mai »), etc.]. Elle tire son parfum de la fameuse graisse normande préparée une fois par an et dont on ajoute une certaine quantité dans le chaudron où bout la soupe. Au moment de la verser dans les guidions, la maîtresse met dans chacun de ceux-ci, un certain nombre de languettes de pain. La soupe normande représente ainsi un aliment complet aux parfums délicieux.

 

La soupe est prise entre 6 et 7 heures du matin, selon la saison. A 9 h. 30, a lieu la « collation ». Les paysans mangent, à ce repas, soit un reste d'un repas de la veille, soit des légumes à la crème, un peu de lard, du pain et du beurre. Le tout est arrosé soit de pur jus (c'est-à-dire de cidre obtenu par écrasement des pommes, sans addition d'eau), soit, chez les fermiers moins aisés, ou quand la dernière récolte de pommes n'a pas été bonne et qu'il faut vivre sur les réserves de l'année précédente, de cidre dit « mitoyen », c'est-à-dire coupé d'eau dans une certaine proportion. A 1 heure de l'après-midi, a lieu le déjeuner composé d'un plat de viande ou de poisson, d'un plat de légumes et de galettes de sarrasin, beurrées ou non. Autrefois, ce repas était arrosé de cidre uniquement. Depuis quelques années, malheureusement, ce repas se termine par une tasse de café additionné d'eau-de-vie de cidre. Vers 4 heures de l'après-midi, quand ils ne font pas de travaux par trop fatigants, les paysans se reposent pendant une demi-heure et ne boivent que du cidre, emporté dans les pièces où ils travaillent à l'aide des cruchons de grès précédemment décrits. Quand le labeur est pénible, pendant « les foins » ou les moissons, ils font, en outre, un goûter soit avec des tartines de pain beurré, soit avec une omelette et du pain.

 

A 7 ou 8 heures du soir, rentrés à la ferme, les fermiers et les ouvriers mangent une « guichonnée » de soupe normande. Un grand guichon d'adulte contient environ quatre à cinq assiettes de soupe. Puis ils boivent un peu de cidre et vont se coucher.

 

Le vendredi et parfois le lundi, jour de marché à Coutances, le repas du midi comporte du poisson. Quatre espèces de poissons ont la prédilection des Normands : le hà, ou grosse anguille de mer ; le chien de mer ; la morue salée et le flétan (sorte de morue salée et fumée).

 

Le dimanche ou les jours de fête, ils mangent, au repas du midi, soit du bœuf bouilli, soit du veau rôti ou quelquefois, maintenant, de la volaille.

 

Enfin, le jour où l'on fait le pain, comme ce pain demande un certain temps pour être cuit, le fermier prend un peu de la pâte à pain, l'améliore [« l'amende »] parfois avec des œufs et du lait, et en fait une galette plate qu'il met à cuire à l'entrée du four lorsque tous les pains ont été enfournés.

 

C'est ce qu'on appelle « la gâche ». Cette gâche est rapidement cuite, si bien que le fermier qui, dès le matin s'est mis à boulanger, peut en offrir, toute chaude, à la collation. Elle est mangée, en guise de pain, telle quelle, ou enduite de bon beurre frais.

 

Après ces généralités sur la nourriture des Normands, il est indispensable de dire quelques mots tout d'abord, de quelques préparations culinaires spéciales à la Normandie, puis de décrire très brièvement la préparation de la graisse normande; la récolte du sarrasin (dont la farine sert à la confection de la traditionnelle galette); la fabrication du cidre et de l’ eau-de-vie de cidre.

 

Quelques spécialités culinaires.

 

Dans certaines régions, surtout le long de la côte, le poisson, au lieu d'être cuit dans l'eau, est cuit dans du cidre et mangé avec du pain beurré.

 

De même le jambon salé et fumé, une fois découpé en tranches, est très souvent cuit dans du cidre, puis rissolé dans la poêle.