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CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
LA MONNAIE DE SORCIERS Léon de VESLY Légendes et vieilles coutumes (1905)
L'imagination des paysans a fait d'une ancienne carrière le séjour du démon. La galerie, à laquelle on ne peut accéder, recèle des armes, des bijoux, des trésors et fut jadis le lieu de réunion de tous les sorciers de la contrée. Chaque samedi ils s'y rendaient de dix lieues à la ronde pour y tenir leur sabbat.
Or si l'accès de l'Enfer était facile pour les devins de la rive droite de la Seine, il n'en était pas de même pour ceux habitant la rive gauche du fleuve qu'il fallait passer. Et voici ce que nous apprend la légende pour cette partie du voyage.
Les sorciers des environs d'Elbeuf et du Pont-de-l'Arche se rendaient tous à Criquebeuf, et, détachant une barque, traversaient la Seine. On remarqua que le canot qu'ils empruntaient était toujours celui de Doubet, car, tous les dimanches, il y trouvait des excréments. Donc, un jour, Doubet voulut s'assurer des mécréants qui s'amusaient à lui faire un si vilain tour. A cet effet, il se cacha, un samedi, sous la levée de son bachot et attendit.
Il était là depuis quelques minutes, lorsque, vers minuit, il entendit venir les sorciers. C'était de petits hommes à la figure chafouine et lestes comme des écureuils. Ils sautèrent vivement dans le bateau et si légèrement qu'aucun bruit, aucune oscillation ne furent perçus. Dès que les sorciers furent installés, la corde qui retenait le bateau se dénoua d'elle-même, et, sans voile ni avirons, l'esquif prit la direction de Freneuse.
Arrivés à un endroit du rivage, voisin du parc du château, les passagers abordèrent et Doubet les vit se diriger vers le Trou d'Enfer et pénétrer dans la caverne. Retenant son haleine et n'osant remuer, il attendit ainsi deux longues heures que les sorciers eussent achevé leur sabbat. Enfin, il les vit revenir vers la barque et sauter avec la légèreté des sylphes, puis de nouveau voguer sans le secours de la toile ou de la godille.
Cependant, arrivés vers le milieu du fleuve, les lutins firent sauter les boutons de leurs braies** et se mirent à l'aise. Doubet, toujours plus mort que vif, assista à cette scène répugnante. Lorsque les ventres furent soulagés, on accostait à Criquebeuf et les sorciers, encore plus lestes qu'au départ, sautèrent à terre, fixèrent la barque sur ses amarres et regagnèrent leurs demeures. Dès qu'ils se furent éloignés, le pauvre Doubet put respirer et compter le prix du péage.
Voilà pourquoi, lorsqu'une immondice tache les bords fleuris qu'arrose la Seine, on dit : c'est de la monnaie de sorcier.
On raconte en effet dans la vie de saint Ouen que ce saint prélat se rendant à Clichy, près du roi Thierry III, passa non loin de la rivière d’Eure, en un lieu où deux chemins s’entrecoupant formaient une espèce de croix. Les deux mulets qui portaient sa litière s’arrêtèrent tout à coup avec tant d’opiniâtreté qu’on ne put les faire avancé d’un seul pas.
Ceux qui accompagnaient saint Ouen attribuèrent l’accident au caprice des animaux, mais le saint en jugea autrement : il descendit à terre et se mit en prières. À peine avait-il commencé d’élever son cœur à Dieu qu’il aperçut en l’air une croix brillante de lumière, et apprit par inspiration que le lieu où il était serait la demeure d’un grand nombre de solitaires qui, sous l’étendard de la croix, pratiqueraient les plus nobles et les plus laborieux exercices de la milice chrétienne. Aussitôt le prélat fit faire une croix avec un morceau de bois dont se servait un laboureur qui cultivait la terre près de là.
Il fit placer cette croix rustique sur une petite base faite de pierres et de gazon, y attacha de saintes reliques et poursuivit son chemin. Pendant plusieurs nuits les peuples de la contrée virent une nuée lumineuse se reposer sur cette croix, ce qui attira un grand concours de pèlerins, et plusieurs malades y furent guéris. | ||||||||||||