LE DONJON D'AVRANCHES
     
 ANALYSE DES VESTIGES DU DONJON
     

Avranches, CPA collection LPM 1900

 

Le donjon d'Avranches

Un mystère historique...

David NICOLAS-MÉRY 2002


6. L'analyse des vestiges et des photographies

 

Que reste-t-il du donjon à proprement parler? En fait, très peu de choses. Cependant le hasard a voulu que les aménagements réalisés suite à l'effondrement de 1883 aient préservé plusieurs mètres carrés d'appareil ancien, ainsi qu'un volume non négligeable de maçonneries. Il semble que jamais personne n'ait vraiment pris tout cela en considération.

 

Les pouvoirs municipaux de l'époque n'avaient bien évidemment pas de "conscience archéolo-gique". Après la catastrophe, ils veulent avant tout sécuriser le site. Un gigantesque mur de soutien va être plaqué contre la paroi interne du mur nord. Son but est de contenir l'important remblai de la propriété Bergevin, qui exerce une pression colossale sur la face extérieure du même mur.

 

Cette muraille imposante, toujours en place aujourd'hui (fig. 19), masque malheureusement beaucoup de détails sans doute très intéressants. La galerie de ce mur nord, visible sur PH3, a disparu. Le mur qui l'abritait a été arasé au niveau des jardins Bergevin.

 

Cependant, tout un ensemble de maçonnerie ancienne, passé totalement inaperçu, subsiste. Il se situe dans ces mêmes jardins Bergevin et surplombe le vide laissé par la disparition du donjon.

 

Ce "bloc" est composé de deux murs (fig. 20). L'un part en direction de l'ouest, dans le prolongement du mur nord arasé. L'autre, semblant appartenir au mur de refend, s'engage vers le sud, possède une ouverture aux jambages et au cintre de briques. Cette niche traverse ce mur de part en part et paraît bien être un ancien passage; du moins c'est ce que semble indiquer l'aspect tardif du muret qui l'obstrue (fig. 21).

 

À droite dans le passage, et dans l'épaisseur du mur, une autre galerie est ici intacte (fig. 22). Les claveaux de sa voûte ainsi que ses jambages comportent également de la brique. Ses parois semblent très anciennes au vu du mortier et de l'appareil très bien conservés. Ce couloir, étant donnée la proximité de la façade extérieure, devait mener à une ouverture face au nord.

 

Grâce à l'image PH3, tout cet ensemble très complexe a pu être identifié. Le mur partant vers le sud est bien ce qui reste de ce mur supposé "de refend". Le passage voûté qui le traverse correspond sans ambiguïté à l'ouverture visible, dans l'angle supérieur à gauche, sur la photographie de 1883. L'hypothèse du mur de refend trouve ici, avec ce passage menant sur le vide, un argument en sa faveur. Lorsque nous sommes dans les jardins Bergevin, face à cette porte, il nous faut faire un effort d'imagination et admettre que nous nous situons en fait à l'intérieur du donjon disparu.

 

Mur reconstruits apres 1883 pour retenir le remblai des jardins Bergevin (fig. 19)


Vue prise depuis le sommet de la courtine

vers le sud ouest (fig. 20)

 

     

L’ancien passage a travers le mur de refend

nord sud du donjon (fig. 21).

 

Couloir ouvrant sur le passage (fig. 22).

     

Si l'on quitte la propriété Bergevin pour se rendre au revers des maçonneries observées dans les jardins (fig. 23 et 24), nous nous retrouvons alors au pied de vestiges beaucoup plus évocateurs. Arrivés impasse du Télégraphe, environ 6 m en contrebas, nous découvrons l'angle formé par les deux murs fuyant respectivement vers l'ouest et le sud. Des traces de rubéfaction sont visibles sur les deux parois, les appareils semblent forts anciens.

 

Une photographie (fig. 25) prise en 1944 depuis le haut de la rue Neuve d'Office, à l'endroit de sa jonction avec la rue Chevrel, nous renseigne encore. On se rend compte que, après les bombardements américains du mois de juin, le mur de refend conservait une bonne partie de son élévation. Cette image réalisée par M. Le Noan, photographe à Avranches, présente la face occidentale du mur. Le passage, pas encore obstrué, y est parfaitement visible. Ce document apporte la preuve que les dommages de la libération n'ont pas épargné le donjon. Les bombes ne firent pas tomber directement ces vestiges essentiels, portant sans doute les traces des ouvertures observées sur PH3, mais le fragilisèrent, obligeant ainsi les autorités à le faire disparaître.

 

 

Vue depuis l’impasse du télégraphe, du mur

Nord du donjon et du mur de refend (fig. 23)

 

Les ruines du donjon, apres le bombardement de juin 1944 photographie (fig. 25)

 

Vue depuis l’impasse du télégraphe, du mur Nord

du donjon et du mur de refend (fig. 24)

     

Les images de Hodiesne nous livrent un élément fort intéressant: les parois internes de l'édifice étaient appareillées en opus spicatum. Or, en 1827, deux "antiquaires" font quelques observations qui corroborent ce détail architectural: Arcisse de Caumont et le dessinateur Charles de Vauquelin. Celui ci réalise un dessin (fig. 9), ensuite lithographié par N. Périaux, à Rouen, et intitulé "Les ruines du château d'Avranches". Cette œuvre, assez souvent reproduite, représente la portion de fortification comprise entre la tour Saint-Louis et le mur de courtine. Le rempart, même s'il est bien endommagé, se prolonge sans interruption entre ces deux ensembles. La rue Neuve d'Office n'est pas encore percée. Le point de vue est assez similaire à celui choisi par le chanoine Pigeon (fig. 13), à ceci près que la rue en question n'est pas encore percée lorsque de Caumont et de Vauquelin viennent à Avranches.

     

La perspective de ce dessin est assez perturbante. Elle semble faussée; la façon dont le mur oriental du donjon est figuré laisse perplexe. Il se divise en plusieurs pans. Deux sont convexes et se raccordent à un contrefort circulaire. En fait on ne comprend pas si ce dernier est adossé au mur ou s'il se trouve dans un angle. La portion de mur se raccrochant à la tour Saint-Louis est, à mon avis, à l'arrière-plan. Il s'agit probablement du mur de refend dégagé par la chute d'un partie de la façade orientale.

 

Dans sa notice explicative du dessin, très succincte il faut l'avouer, Arcisse de Caumont ne fait que noter les appareils en place. C'est sans doute ce qu'il y a d'essentiel à retenir ici.

 

Deux appareils bien distincts sont clairement relevés par l'auteur. L'un, en arêtes de poisson, est présent sur toutes les parois comprises entre la tour Saint-Louis et le mur de courtine. L'autre appareil, fait de moellons horizontaux, est justement celui de ces deux constructions. Cette différence d'appareil permet d'envisager deux phases de construction successives. Les maçonneries présentant de l'opus spicatum sont vraisemblablement les plus anciennes.

 

Le chanoine Pigeon mentionne lui aussi l'opus spicatum qu'il observe sur la face orientale du donjon, avant l'effondrement. Aujourd'hui, à plusieurs endroits, des traces de cet appareil ont été conservées. De ce fait, bien que l'édifice ait disparu, les observations faites par les deux antiquaires et par le chanoine restent en partie possibles: les moellons horizontaux de la tour Saint-Louis et du mur de courtine, toujours en place, contrastent avec plusieurs parties plus anciennes épargnées par le temps et éparpillées sur le site.

 

Il reste notamment, in situ, des pans importants du mur hypothétique de refend où subsistent des arêtes de poisson sur ses deux faces et sur presque toute sa hauteur (fig. 26 et 27). Des témoignages similaires des façades extérieures orientale et septentrionale du donjon sont également en place. Il en va de même pour les parois du passage et de la galerie murale identifiés précédemment.

 

Maçonnerie en Opus Spicatum dans

le mur de refend face occidentale (fig. 26)

 

 

Maçonnerie ancienne dans

la façade occidentale du donjon (fig. 27)

     

Un mur très spectaculaire, aux caractéristiques similaires, peut également être observé au sud de la zone (fig. 28). C'est dans ce même mur, à sa base, que l'on trouve les réemplois gallo-romains. Cette construction, jugée trop éloignée de l'emplacement présumé du donjon, a toujours été déconsidérée.

 

La grande homogénéité de ces vestiges est véritablement étonnante. D'autre part, tous ces indices, une fois positionnés sur un relevé actuel du site, révèlent l'ampleur du secteur où sont localisés les vestiges anciens. Ce secteur dépasse largement la stricte emprise au sol de l'édifice écroulé en 1883.

 

Mur bordant, au Sud, la rue belle Andrine (fig. 28)


   

En 1988, Alain Legrand, géomètre à Avranches, a effectué des relevés précis du site pour la Société d'archéologie d'Avranches. C'est sur ces relevés que je m'appuierai afin de proposer, après mes observations sur le terrain, une restitution du plan du donjon et des hypothèses quant à ses dimensions.

 

Une première remarque évidente porte sur les mesures données par le chanoine Pigeon dans ses notes, puis reprises par M. Levalet. Ils proposent une largeur de 8 m 60; cela nous semble inexact.

 

D'après mes observations reportées sur le plan, ce que les deux historiens considèrent comme la largeur de l'édifice, c'est-à-dire la distance entre la façade est et le mur lui faisant face à l'ouest, mesure 11 mètres hors tout. Pigeon a établi sa mesure depuis la terrasse du télégraphe, or la mienne est prise aux pieds des deux murs, sans doute inaccessibles au XIXe siècle; ceci explique sans doute une telle différence.

 

Cependant mon avis diverge de ceux du chanoine et de M. Levalet pour une autre raison fondamentale: grâce au positionnement des vestiges sur le plan de A. Legrand, je suis convaincu que leur mur occidental est bien un mur de refend: le donjon n'était pas de forme carrée et il ne s'étendait pas sur une dizaine de mètres seulement, vers le sud.

 

Je suggère que les deux murs, mur est et mur de refend, se prolongeaient jusqu'au mur, situé environ 30 mètres plus au sud, considéré depuis toujours comme la limite de la première enceinte. 

 

Emplacement des vestiges d’Opus Spicatum

et des maçonneries anciennes ;

orientation des principales photographies présentées dans cet article

     

Si l'on admet que l'espace, à l'ouest du mur de refend, était au moins égal à son jumeau situé à l'est, nous multiplions par six les dimensions du donjon d'Avranches!

 

Ce fameux mur sud est particulièrement "riche". Ses deux faces présentent de l'opus spicatum. C'est dans ses fondations, au pied de sa face interne, au nord, que d'impressionnants réemplois gallo-romain sont visibles. On peut donc bien affirmer que de tels réemplois existent dans les fondations du donjon.

 

Au revers de ce mur, c'est-à-dire sur la face extérieure du mur sud, on observe encore le même appareil (fig. 30)! Et cette fois-ci on constate la présence de moellons aux tailles sensiblement différentes: des rangées identiques à toutes les autres pour l'ensemble de la maçonnerie, puis des modules nettement plus gros à la base du mur. De ce côté du mur, exactement dans l'alignement et le prolongement du mur de refend qui aboutissait sur l'autre face, un bloc maçonné, visiblement ancien, fait saillie: un contrefort extérieur au milieu du mur sud (fig. 31)!

 

Notre bâtiment prend alors la forme d'un quadrilatère irrégulier. Il possède une vingtaine de mètres en largeur. La longueur de sa face orientale est d'environ 35 m, celle du mur de refend de 30 m, sa face occidentale, dont il ne subsiste rien, est un peu plus courte.

   

Face externe du mur Sud du donjon (fig. 30)

 

Contrefort adossé au mur Sud du donjon (fig. 31)