LES PLANTES QUI TUENT
  IVRAIE ENIVRANTE
         
 

14. IVRAIE ENIVRANTE

(Lolium temulentum).

 

– Les Ivraies sont des graminées très communes à l’état sauvage ou à l’état cultivé. On les reconnaît facilement à leurs épillets aplatis, qui sont placés sur le même plan, à droite et à gauche de l’axe de l’épi. L’Ivraie enivrante, qui est la seule dangereuse, sera facilement distinguée des autres par la première feuille verte (glume) de chaque épillet, qui dépasse notablement celui-ci (voir notre gravure), tandis que dans le Ray-grass anglais (Lolium perenne) et le Ray-grass d’Italie (Lolium italicum), cette glume est plus petite.

La tige et les feuilles ne sont pas dangereuses. Le grain est au contraire vénéneux aussi bien pour l’homme que pour les animaux. Elle cause des empoisonnements nombreux par la facilité avec laquelle son grain se mélange au fourrage et sa farine à celle du pain.

 

On mélange quelquefois le grain de l’Ivraie énivrante à l’orge avant de faire de la bière pour donner du « montant » à celle-ci. A l’époque de saint Louis, cette pratique était, cependant, déjà défendue.

Nous ne possédons que peu de documents sur la quantité de graines nécessaire pour amener la mort. Cette quantité doit être élevée, car si les empoisonnements ont été relativement communs, surtout autrefois où la condition du paysan était loin d’être ce qu’elle est actuellement et où l’on ne s’attachait point à l’épuration des grains et des farines comme aujourd’hui, les cas où la mort en a été le dénouement sont fort rares.

 

 

              PLANCHE III 14 Ivraie énivrante

 

 
   
   
 

On en cite un où l’individu qui succomba avait consommé un pain fabriqué avec un tiers de farine de froment et deux tiers de farine d’Ivraie. Dans un autre exemple, un paysan avait fait moudre du blé et de l’ivraie dans la proportion de 1 du premier pour 5 de la seconde ; la consommation du pain fait avec la farine qui en résulta amena sa mort. La dose de 30 grammes de farine d’Ivraie parait être le maximum de ce qu’un homme adulte peut prendre sans ressentir de symptômes fâcheux ; au-delà commencent des accidents qui vont en augmentant proportionnellement à la quantité ingérée. Les ruminants et les oiseaux de basse-cour paraissent plus sensibles aux effets de l’Ivraie ; il faut aller jusqu’à 15 à 18 grammes de graines par kilogramme de poids vif pour produire des phénomènes de malaise : titubation, salivation, grincement de dents, arrêt d’appétit et de rumination chez le mouton. Les porcs sont très peu affectés par l’Ivraie ; les poules et les canards sont moins sensibles encore à ses effets, car Clabaud rapporte qu’il a nourri pendant cinq semaines des poulets, d’abord avec de l’Ivraie en grains, puis de pâte faite de farine, puis de son, puis de pain d’Ivraie et enfin de grains d’Ivraie fermentés, tout cela sans que les animaux aient présenté les symptômes spéciaux de l’empoisonnement ; il fait seulement remarquer qu’ils avaient beaucoup maigri à ce régime (Ch. Cornevin).

Chez l’homme, l’ingestion de l’ivraie amène du vertige, des éblouissements, de la raideur dans les mouvements, de la courbature, de la somnolence, qui dégénère bientôt en sommeil. Si la quantité ingérée est plus forte, il y a des vomissements, des troubles de la vue, des bourdonnements d’oreilles, puis des diarrhées douloureuses. Après celles-ci, si la quantité absorbée est mortelle, la respiration se ralentit, il y a des convulsions et du délire.

Chez les animaux intoxiqués par l’Ivraie, voici, d’après MM. Baillet et Filhol, ce qu’on observe :

Lorsque l’on fait prendre à des carnassiers (chiens ou chats) de l’Ivraie que l’on réduit en farine et que l’on associe à leurs aliments ordinaires, à la dose de 250 à 500 grammes pour le chien, et de 40 à 200 grammes pour le chat, on ne tarde pas à voir se manifester les effets de cette substance toxique. Un quart d’heure, une demi-heure ou une heure au plus, après l’ingestion, l’animal devient triste et cherche à se retirer dans un coin du lieu où on l’observe. En même temps, des tremblements apparaissent dans diverses régions du corps ; ces tremblements d’abord faibles, locaux et passagers, deviennent bientôt généraux, continus et d’une violence plus ou moins marquée. Le plus souvent ils sont accompagnés de contraction spasmodique des muscles, des membres, du cou, de la face et des paupières, de mouvements convulsifs, et parfois même de raideur tétanique momentanée du cou, des membres et de la queue. Souvent les animaux que l’on voit d’abord répandre une lave abondante et filante finissent par vomir, mais l’absorption des principes actifs est si rapide que le vomissement, même lorsqu’il est effectué fort peu de temps après l’ingestion du poison, ne suffit pas pour soulager le malade et pour le tirer de danger. Il est même ordinaire de voir les symptômes s’aggraver dans les instants qui suivent le rejet des matières contenues dans l’estomac. Lorsque les animaux qui sont sous le coup de l’empoisonnement par l’Ivraie sont abandonnés à eux-mêmes, ils cherchent à se coucher. Si on les fait lever et marcher, d’autres symptômes apparaissent. En général, on voit l’animal écarter les membres comme pour élargir sa base de sustentation ; sa démarche est embarrassante, chancelante, il pose ses pattes sur le sol avec hésitation, comme s’il éprouvait quelque douleur, et, le plus souvent les tremblements généraux et les contractions involontaires des muscles sont si fortes, que le malade pour se soutenir est obligé de s’appuyer contre le mur ou contre les corps voisins. Si, alors, on le force à marcher, il trébuche et parfois même, ses membres fléchissant brusquement, il s’affaisse sur le sol et ne se relève qu’avec difficulté. Quelques sujets, dans les intervalles des crises où les symptômes s’exagèrent, recherchent les boissons, mais ils ne boivent qu’avec beaucoup de peine, à cause des tremblements dont les mâchoires sont agitées. Il en est de même encore lorsqu’ils veulent prendre des aliments qu’on leur présente au moment où les symptômes commencent à se calmer.

Quelques vives que soient les douleurs qu’’éprouvent les animaux soumis à l’influence de l’Ivraie, la part d’intelligence que la nature leur a départie ne paraît nullement altérée. Ils entendent encore parfaitement les voix des personnes qui leur donnent des soins, répondent à leur appel en levant la tête, en agitant la queue, et parfois même, lorsqu’ils ne peuvent plus marcher, ils se traînent sur le sol pour venir chercher des caresses. Il semble néanmoins qu’à ce moment les sensations que l’animal perçoit par les yeux sont confuses. Presque toujours, en effet, les pupilles sont énormément dilatées.

Quand la dose d’Ivraie administrée n’est pas suffisante pour déterminer la mort, les symptômes se calment peu à peu. Le temps après lequel le calme survient est très variable. Le plus souvent, il est de trois à six ou huit heures. En général une période de somnolence et de coma succède à la violente agitation et aux convulsions qui se sont d’abord montrées. L’animal se couche et s’endort, et, pendant son sommeil, on observe encore des tremblements, et, de temps à autre, des soubresauts de tout le corps et des mouvements convulsifs dans les membres. Toutefois, ces derniers symptômes ne tardent pas à disparaître à leur tour, et c’est tout au plus si, le lendemain de l’expérience, on voit encore, à des intervalles de plus en plus rares, des tremblements partiels.

Lorsque la dose du poison est assez élevée pour déterminer la mort, les symptômes, au lieu de se calmer, s’aggravent. Les convulsions deviennent d’une violence extrême, et c’est le plus ordinairement au milieu d’une crise de convulsions que l’animal succombe.