LA REVUE ILLUSTREE DU CALVADOS    1911-1914 
   

En bicyclette - Septembre 1912
         
 

On m’a posé cette question fort actuelle, mais fort embarrassante : Une femme, une jeune fille peuvent-elles faire de la bicyclette ? Outre le côté hygiène, n’y a-t-il pas là, de leur part, une atteinte à la bonne tenue et, en quelque sorte, à la décence même ?

Oh ! Oh ! Voilà dès le début, des mots bien importants ! Examinons-les de concert :

Primo, on a parlé d’hygiène... Je sais, quant à moi des médecins qui déconseillent sévèrement le cyclisme à certaines de leurs clientes, mais j’en citerais d’autres qui le considèrent, sauf cas très particuliers, comme un exercice salutaire au premier chef. En second lieu, je connais beaucoup de femmes qui en font depuis longtemps et s’en trouvent très bien, et je n’en connais que quelques-unes qui aient dû cesser après essai malheureux.

Allez en Angleterre, spécialement dans nos îles anglaises de la Manche, Jersey et Guernesey : vous y verrez toutes les femmes, depuis l’âge de six à sept ans jusqu’à la quarantaine, chevaucher le gentil cheval d’acier. Il est vrai de dire que leurs machines paraissent merveilleuses de robustesse et de légèreté. Tout est là, probablement.

 

Fabiono Les CPA LPM n°45

 
 

 
 

A moins d’infirmités spéciales, une bonne machine munie d’une selle irréprochable est praticable à n’importe quelle jeune fille ou femme. Mais que l’on veille surtout à la selle !

Passons à la décence.

Quand la bicyclette s’est introduite dans nos moeurs, elle a suscité un type de femme odieux : la cyclist-women, qui, déguisée en homme, les mains dans les poches et la cigarette au bec – mais oui, j’ai vu beaucoup cela aux environs de Paris, moi qui vous parle – a réussi en un rien de temps à disqualifier la bicyclette en tant que sport féminin.

 

Aujourd’hui, cette horreur a disparu. Le costume s’est fait sobre, coquet et pratique à la fois. La femme qui le porte ne présente assurément rien qui puisse la désigner spécialement à la curiosité des passants ce qui est le gage certain d’une tenue irréprochable. Peut-elle, pour cela, épouser la liberté masculine, créatrice des «ballades »seuls ou à deux ?... Je ne pense pas.

 

A la mer où tout est permis, dans les villes d’eaux, parfois à la campagne lorsque le sentiment des paysans est bien connu, la jeune fille ou la femme cycliste peut impunément se livrer seule à ses courses et à ses promenades. Dans les villes, c’est tout autre chose. Il faut compter avec les rencontres de confrères de sport trop aimables, avec les chutes ridicules, avec la malignité des piétons mal animés. Et il faut compter aussi avec les appétits d’indépendance que donne la facilité des déplacements, appétits qui, introduits dans l’éducation de la jeune fille, risqueraient en certaines circonstances de gêner la tutelle des parents.

En ce cas, la compagnie d’un parent très proche résoud la difficulté. Il n’y convient que du tact et la crainte du petit cousin, crainte qui est, croyez-m’en, les mamans, le commencement de la sagesse. Moyennant ces précautions diverses, roulez gaiement, mes petites amies, et que la Sainte Panne vous soit légère !