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Dieppe, les grands parcs à huîtres. CPA Coll. LPM 1900 | ||||
DU COMMERCE
Après avoir parlé de la pêche et du parcage des huîtres, je dois donner quelques détails sur leur commerce. Ce sont les grandes villes et particulièrement Paris, qui en consomment le plus. Si elles demandent beaucoup de soins dans les parcs, elles n'exigent pas moins de précautions dans le transport. Les anciens avaient, pour conserver les huîtres, un moyen dont la connaissance n'est point parvenue jusqu'à nous. Apicius en envoya d'Italie en Perse à l'empereur Trajan, qui avaient encore toute leur fraîcheur. Nous ne connaissons aujourd'hui d'autre moyen que de les empêcher de perdre leur eau. On a observé qu'elles la conservaient mieux dans le transport lorsque la veille du départ on avait soin de les laisser hors du parc pendant trois à quatre heures et même toute la nuit si le temps était chaud. On les remet ensuite au parc jusqu'au moment qu'elles sont emballées ; on les place alors horizontalement les unes sur les autres, dans des paniers fortement ficelés.
Ces paniers, connus à Courseulles sous le nom de bourriches, au Hâvre et à Dieppe sous celui de cloyères, contiennent chacun vingt-cinq douzaines d'huîtres ou trois cents. Une voiture porte ordinairement cent vingt bourriches ou cloyères : ce qui fait trente milliers d'huîtres. Le transport de Courseulles à Paris a lieu en sept jours par des voitures ordinaires, et en trois seulement par des accélérés. Ces dernières voitures font le trajet de Dieppe à Paris en quarante heures. M. J. F. Jeanne, marchand d'huîtres à Caen, m'a fait observer que celles qui ont parqué peuvent être transportées et conserver leur bonne qualité pendant 15 et même 20 jours dans un temps froid, tandis que celles qui sortent directement de la baie de Cancale, ne sont pas 8 jours sans s'altérer [6].
La vente dépend de la concurrence de différents parcs, du caprice des consommateurs et des variations du temps. Il n'en est pas de ce comestible comme de plusieurs autres, qui sont de garde et ont un prix fixe. Qu'une forte gelée survienne pendant le transport, elle fait périr une grande partie des huîtres [7]. Il est impossible de calculer d'avance d'une manière certaine la perte ou le bénéfice. Tel jour on paiera 8 francs la cloyère qui, le lendemain n'en vaudra que la moitié. Mais, en général, le mille d'huîtres, qui se vend 3 à 4 fr. à Granville ou à Cancale, et qui coûte, au parc de Courseulles, 8 à 9 francs, revient dans Paris de 20 à 25 francs.
M. Hervieu-Duclos, dont j'ai déjà eu occasion de parler avec avantage, a beaucoup contribué à donner de l'extension au commerce des huîtres. Il a des parcs à Courseulles, au Hâvre et à Dieppe. Il entretient un dépôt général d'huîtres à Paris, d'où elles sont transportées dans presque toutes les grandes villes de l'est et du nord-est de la France, jusqu'à Strasbourg et à Lyon. Il en envoie même à Genève, à Bruxelles et à Liège. Avant M. Hervieu-Duclos, ce commerce était presque borné à la capitale et aux provinces de l'Ouest.
On varie sur la quantité d'huîtres qu'on pêche annuellement dans la baie de Cancale. Quelques personnes en font monter le nombre à plus de 100 millions. L'on évalue à peu près à 60 millions celles que l'on parque chaque année à Courseulles. Cette branche d'industrie s'accroîtrait peut-être encore, si l'on y exécutait le port de refuge projeté par M. Pattu, ingénieur en chef des ponts et chaussées du Calvados, et sollicité depuis longtemps par les habitants de nos côtes.
Je ne puis terminer ce mémoire sans faire observer combien la pêche des huîtres est avantageuse pour l'Etat. C'est une pépinière considérable qui fournit en temps de guerre d'excellents marins accoutumés à supporter les plus rudes fatigues. Outre les pêcheurs, si l'on calcule le grand nombre d'amareilleurs, de femmes, d'enfants, de rouliers et de marchands occupés au parcage et au transport des huîtres, on verra de quelle importance est cette branche d'industrie pour nos départements maritimes et pour toute la France.
Notes [6] J'ai entendu parler d'un projet de transporter les huîtres à Paris en remontant la Seine. C'est ce qu'ont fait pendant quelque temps les habitants de Saint-Vaast, qui en portaient plus de 600 mille à la fois. Mais la longueur du trajet nuisait beaucoup à la qualité des huîtres ; on les vendait à bas prix sous le nom d'huîtres de bateau. Actuellement le transport pourrait se faire à l'aide des bateaux à vapeur avec autant de promptitude que de facilité. Ce serait faire une application utile de cette ingénieuse découverte, qui sans doute ne tardera pas à se propager en France. [7] Il est cependant un moyen qu'on emploie avec succès pour dégeler les huîtres : c'est de les déposer dans l'eau pendant dix ou quinze minutes elles reprennent leur première qualité, mais alors elle ne sont plus susceptibles de se conserver longtemps. | ||||
La pêches aux huitres à Granville, CPA collection LPM 1900 | ||||