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Préjugés et superstitions en Normandie
On fait sur les revenants des histoires de toute espèce, plus effrayantes les unes que les autres, mais toutes à peu près calquées sur un même type. Ces récits, faits souvent à l’enfance docile par la vieillesse respectée, obtiennent beaucoup de confiance et doivent puissamment contribuer à augmenter la poltronnerie, à affaiblir les facultés intellectuelles, et à consolider de plus en plus l’influence de cette tourbe de charlatans qui compromettent si scandaleusement la santé et l’existence, ou qui pour le moins escroquent l’argent des dupes, tributaires constants et jamais désabusés.
A la fin des automnes et pendant les hivers, dans les longues veillées, les paysans se rassemblent autour du foyer. Là, un conteur, c’est souvent une vieille fort crédule, fait le récit, d’autant plus sûr d’être cru qu’il est plus absurde, de quelques histoires de revenants. Historiographe scrupuleux, le conteur détermine le lieu de l’événement, l’époque et les témoins. Ces récits, qui inspirent de l’intérêt à proportion de l’horreur qu’ils font naître, se transmettent de race en race, et sont toujours censés arrivés à une époque peu éloignée ; le narrateur, pour inspirer plus de confiance, assure même qu’il a vu, ce qui s’appelle vu, de ses propres yeux vu. Ces récits sont tous fort effrayants, et les accessoires du lieu où cette espèce de drame est joué ne contribuent guères à rassurer les auditeurs. Le vent qui souffle sur les toits ébranlés, qui agite les arbres du voisinage, et qui se prolonge en sifflements aigus à travers les parois entr’ouvertes et les portes mal jointes ; la lueur sombre d’une lampe obscure ou d’une noire chandelle de résine de Mélèze, la disposition à la terreur de la part de l’auditoire, la crédulité persuasive du conteur pénétré, la peur naïve des petits enfans, le coup de tête si éloquent des vieillards, les réflexions morales de la maman, les auditeurs qui se serrent par degrés, à proportion de l’effroi qui va croissant : tout cela dispose merveilleusement l’assemblée ; le conteur a moins de frais à faire ; et lorsque on a le courage de se retourner, il n’est pas certain qu’on ne voie rien d’épouvantable sur les murailles où se jouent, en reflets douteux, la lumière et l’ombre. L’Anglais Thompson et notre Saint-Lambert nous peignent tout cela avec beaucoup de vérité, d’énergie et de grâces.
Souvent on apercevait une main qui enlevait des morceaux de pain, qui emportait le beurre et d’autres objets. Avait-on la négligence de laisser les portes ouvertes après le coucher du soleil, le revenant ne manquait pas de disperser et d’entraîner dehors les meubles, les habillements et tout ce qui lui plaisait ; | ||||||||||
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Un revenant avait, pendant sa vie, déplacé la borne de son champ, et empiété sur celui de son voisin. Il revenait toutes les nuits à l’endroit même où il avait commis son crime, et criait d’une voix lamentable : « Où la remettrai-je ? où la remettrai-je ? où faut-il la remettre ? » Ce malheureux réprouvé hurlait ainsi depuis fort longtemps, et on n’avait pu trouver le moyen de faire taire cette voix questionneuse et cesser ces importunes visites. Enfin un étranger, qui se trouva là par hasard, plus habile ou plus heureux, s’avisa de répondre : « Remets la borne au lieu où tu l’as prise. » A cette réponse si simple, la borne fut replacée, l’âme obtint repos et l’accorda par conséquent (1).
On voit encore revenir d’autres objets non moins épouvantables. Ce sont des esprits malins qui se donnent rendez-vous dans ce chêne jadis si cher aux Druides. Là, réunis en sabat nocturne et bruyant, des matoux âgés de sept années font un effroyable charivari. Il est aisé de reconnaître la cause de cette superstition. Les chats, pendant leurs amours, font en effet beaucoup de bruit ; et les matoux, comme les mâles de toutes les espèces animées, n’obtiennent parfois l’objet de leurs désirs que par une victoire vivement disputée sur leurs rivaux : ce qui assurément n’offre rien de surnaturel. | ||||||||||
Mais les paysans ne voient pas comme tout le monde. De là vient pour eux l’idée que le chat est l’image du diable ; que le diable se déguise souvent en chat noir ; que certain os de la tête d’un chat noir rend invisible. De là, bien entendu, dérive la persécution souvent atroce qu’éprouve de la part des brutaux cet aimable, utile et malheureux animal qui eut jadis en Egypte, par une exagération opposée, des autels, des prêtres, des tombeaux et des embaumeurs.
Dans le département de l’Orne on appelle Mère Harpine, chasse Artus ou chasse Hennequin une troupe de prétendus esprits infernaux qui traversent les airs en jetant des cris aigres et prolongés. La Mère Harpine est le chef de la bande redoutable. Si, lorsque on l’entend, on a le malheur de dire : « je prends part à la chasse », on reçoit des lambeaux de cadavres ; car la Mère Harpine, comme les Goules des Orientaux, ne se nourrit, ainsi que ses associés, que de corps morts qu’ils ont déterrés pour leurs provisions et qu’ils promènent dans les airs. Sa rencontre offre encore de plus grands dangers, auxquels pourtant il n’est pas impossible de remédier. Lorsque on entend au-dessus de sa tête la chasse funeste, il faut se hâter de tracer un cercle autour de soi avec un bâton ou simplement avec le bras. A l’abri de ce rempart aussi assuré que celui dans lequel l’arabe du désert place ceux auxquels il accorde l’hospitalité, le plus timide devient brave, le faible est fort, le danger disparaît, et l’empire du malin n’est plus désormais qu’une puissance pour rire. Les démons essaient en vain de franchir la ligne insurmontable qui les arrête tout court. Pour qu’ils puissent partir, ils sont forcés de venir à résipiscence et de demander honteusement leur grâce. Le voyageur, qui n’a rien de plus pressé que de se débarrasser de cet infernal voisinage, trace un nouveau cercle à l’inverse du premier, et tout aussitôt la huaille noire s’échappe avec de grands cris.
Ces esprits dont on nous fait peur
Tout le monde connaît ces exhalaisons de gaz inflammable qui brillent quelquefois dans les endroits marécageux et qui effraient tant les enfants et les vieilles. Ces feux sont appelés dans nos campagnes la Fourlore, le feu follet ou le feu errant. Ce sont des âmes damnées ; et, suivant quelques personnes, ces âmes sont celles de prêtres criminels ou libertins. Elles cherchent à éblouir les voyageurs, à les entraîner dans les précipices et à les jeter dans l’eau. Quand le feu follet, esprit d’ailleurs fort jovial, est venu à bout de son entreprise, il quitte sa victime avec de grands éclats de rire, et il disparaît.
NOTES | ||||||||||
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