Le voyageur à CHERBOURG en 1858
   UN MOT SUR CHERBOURG
         
 

Cherbourg vue générale prise de la Montagne du Roule ; Collection CPA LPM 1900

 
     
 

Le voyageur à CHERBOURG en 1858

Bedelfontaine & Syffert

Imprimeurs et éditeur, 1858

 

L'origine de Cherbourg a donné lieu à maints commentaires de la part de ses historiens. Les uns font remonter sa fondation jusqu'à César, d'autres lui donnent une date plus moderne

 

Quoi qu'il en soit de toutes ces origines, le vieux Cherbourg de César a disparu pour faire place à un nouveau Cherbourg rempli, lui aussi, des souvenirs du plus grand homme des temps modernes.

 

C'est le Cherbourg de Napoléon que le voyageur, attiré par le bruit de sa renommée, vient visiter. Quelques mots empruntés à l'excellent article sur Cherbourg d'un de nos plus célèbres écrivains, M. Alexis de Tocqueville, publié dans l'Histoire des villes de France, serviront à le faire mieux connaître que tous les récits de ses historiens.

 
 
   
 

« Les vieillards qui ont vu Cherbourg en 1780, dit M. de Tocqueville, ont bien de la peine à le reconnaître aujourd'hui. Une baie profonde de deux mille toises (3898 mètres), longue de trois mille six cents toises (7017 mètres) entre l'extrémité de deux promontoirs, ouverte depuis le commencement du monde à tous les vents qui viennent à l'ouest, de l'Océan, à l'est et au septentrion, de la mer du Nord ; au fond de la baie une petite vallée démantelée, peuplée de 8000 habitants, et un port de commerce incapable de contenir des vaisseaux de guerre ; à l'est de la ville une côte plate et sablonneuse où la mer n'a point de profondeur ; à l'ouest un long banc de rochers, au pied duquel il restait dans certains endroits cinq mètres d'eau à marée basse : tel était Cherbourg avant le commencement des travaux. Aujourd'hui cette large ouverture que formait la baie a été fermée par un île factice qui n'a pas moins de 150 mètres de largeur à sa base, 22 mètres (67 pieds) dans sa plus grande hauteur depuis le fond de la mer jusqu'à son sommet. Cette île contient des maisons, des forteresses, des habitants. On peut y faire près d'une lieue (3638 mètres) à pied sec. Pour la former plus de quatre millions six cent mille mètres cubes de pierres ont été accumulés ou maçonnés par la main de l'homme, sans point d'appui sur le rivage et au milieu d'une mer tourmentée par de si furieuses tempêtes, qu'on y a vu des vagues rouler avec facilité des pièces de 36, chasser devant elle, comme des galets, des blocs qui ne pesaient pas moins de quatre mille kilos, et quand enfin elle rencontrait un obstacle insurmontable rejaillir à 60 où 80 pieds dans les airs. Derrière cette île les eaux tumultueuses de la baie sont devenues presque insensibles aux mouvements qui agitent la mer au dehors.

 

Dans les rochers granitiques qui bordent le rivage à l'ouest de la ville, trois bassins ont été creusés à 19 mètres, 58 pieds de profondeur ; trois millions six cent vingt-un mille deux cent quatre-vingt-deux mètres cubes de rochers en ont été tirés. Ce sont les pyramides d'Egypte exécutées en creux au lieu de l'être en relief. Autour de ces vastes bassins s'élève une nouvelle ville composée de magasins, d'ateliers, de bureaux, de casernes et de cent autres édifices que réclament les besoins d'un grand arsenal maritime. Des forts fondés au milieu de la mer, des fortifications formidables sur le rivage, des redoutes sur les hauteurs assurent sa défense.

 

Quatre-vingts ans de travaux et plus de deux cents millions de dépenses, voilà le Cher-bourg de nos jours.

 
     
 

Cherbourg vue générale prise de la rade; Collection CPA LPM 1900