QUELQUES BATEAUX
   
  LA "BISQUINE GRANVILAISE"
         
 

 
         
  Texte issu du site

Association des Vieux Gréements Granvillais

 

Les impressionnantes mensurations d'une bisquine du début du siècle vous rappelleront peut-être quelque chose : un peu plus de 18 mètres de coque, 340 mètres carrés de toile...

 

Mais oui, ce sont les mêmes chiffres qu'un 60 pieds Open actuel ! Fichtre, voilà un bateau "traditionnel" qui promet, au moins sur le papier ! Et qui tient ses promesses sur l'eau. Car il faut encore lui ajouter, devant, un interminable bout-dehors de 9 mètres et, derrière, une queue-de-malet de 4 mètres ! Au-dessus du pont, la démesure est également de mise : les trois mâts portent jusqu'à trois étages de voiles. Pas de doute, la bisquine est et restera comme le plus beau, le plus toilé, le plus puissant voilier de travail de nos côtes..

Histoire et évolution

Née au début du XIXe siècle dans le golfe de Gascogne - ou golfe de Biscaye -, la "biscayenne" des pêcheurs basques est pointue aux deux extrémités. Ce type de voilier essaime peu à peu le long de la côte Atlantique, évoluant au fil du temps et des caractéristiques locales.

 

Au milieu du XIXe siècle, la biscayenne devient bisquine et donne naissance, en Bretagne Nord et en Normandie, à une progéniture très variée, en taille comme en gréement.

 

Mais c'est dans la baie du Mont-Saint-Michel, entre 1890 et 1930, que les constructeurs vont lui donner ses lettres de noblesse. Il est vrai que, pour pêcher dans un coin aux conditions de mer si particulières, avec les plus grandes marées d’Europe entraînant des courants parfois violents, il faut un voilier fin et rapide, bon manoeuvrier, gagnant bien dans le vent.

 

Les constructeurs de Granville et de Cancale s'emploient à améliorer le type initial. Les formes avant s'affinent, le tirant d'eau augmente, la voûte arrière s'allonge, rasante, magnifique. Vers 1900, la bisquine est à son apogée...

La pêche : besoin de puissance

Chantiers et marins ont alors deux mots d'ordre : plus de puissance, plus de vitesse.

Il faut aller vite parce que les périodes de pêche - huîtres et coquilles saint-Jacques notamment - sont strictement réglementées et surveillées.

 

Il faut aller vite parce que, il faut être le premier à arriver sur les lieux de pêche, puis le premier à rentrer au port pour vendre sa prise. L'ahurissant spectacle de la "caravane" des 400 bisquines de toutes tailles au mouillage devant Cancale a été immortalisé par une célèbre toile du peintre-navigateur Marin-Marie.

 

Il faut de la puissance parce que, utilisées au chalut, à la ligne ou à la drague, les bisquines encaissent des efforts colossaux...

 

Il faut aller vite, enfin, parce que les régates locales sont devenues une institution, un rendez-vous annuel obligé, un motif de fierté et de discorde entre les deux principaux havres de la baie. Les Bretons de Cancale et les Normands de Granville mettent un point d'honneur à s'imposer. Et ne se font aucun cadeau...

Le gréement

Pour atteindre cette nécessaire puissance, il faut également un gréement à la hauteur. Les bisquines portent sept à huit voiles au tiers plus un foc sur trois mâts.

 

Ces mâts, sans étais, sont simplement maintenus par deux « bastaques », une sur chaque bord, et le grand mât est fortement inclinés sur l’arrière.

 

Neuf voiles, donc. Foc, misaine, taillevent et tape-cul occupent le premier étage. Le petit et le grand huniers, ainsi que le hunier de tape-cul, sont hissés au second. Enfin, petit et grand "rikikis" (à Granville, perroquets à Cancale) coiffent l'ensemble : ils culminent à 20 mètres au-dessus du pont, et ne servent qu'en régate, comme la bonnette.


"Des voiles délicates à régler, mais primordiales, expliquent les anciens. Le rikiki, c'est la plume qui fait voler l'oiseau...". Et la bonnette, c'est ce qui le fait planer : on établit cette voile au portant ... Pas étonnant qu'aujourd'hui encore, cette impressionnante envergure fasse s'envoler l'imaginaire et les rêves...

 
     
 

 

Voiles : Taillevent (grand voile) : 104 m² - Misaine : 61 m² - Tape-cul : 37 m²

- Petit Hunier : 30 m² - Grand Hunier : 46 m² - Petit Rikiki (perroquet) : 22 m²

- Grand Rikiki : 32 m² - Grand Foc : 53 m² - Moyen Foc : 33 m² - Petit Foc : 25 m²

 
     
 

Les régates

 

Si les premières régates officielles datent de 1845, il faut attendre 1895 pour qu'elles entrent dans leur âge d'or - qui durera jusqu'en 1914. C'est pendant cette période que sont construites les plus belles bisquines : Le Vengeur (G 15), La Rose-Marie (G 16), La Mouette (CAN 37) ou La Perle (CAN 55). Les courses ont lieu l'été, devant Saint-Malo, Cancale et Granville.

 

Quelques jours avant, les bateaux sont tirés au sec, carénés, passés au coaltar et suiffés. Les voiles qui ne servent qu'en course (bonnette, rikikis, hunier de tape-cul) sont sorties des greniers et soigneusement vérifiées... Une fois le départ donné, la lutte est impitoyable. Le fameux bout-dehors participe au spectacle, apportant une note chevaleresque à ces empoignades de manants : aux virements de bord, cette formidable lance balaie plus de 100 mètres carrés de terrain en quelques secondes !

 

Que deux bisquines se croisent, s'asticotent, et les manoeuvres prennent vite des allures de tournoi - où les montures atteignent 90 000 livres, et les rênes, plusieurs dizaines de mètres. Pour le reste, on est loin de l'esprit de la chevalerie : en course, les refus de tribord et les abordages sont fréquents - quand 47 tonnes de chêne et d'iroko décident de partir au lof, il est bien difficile de les ramener dans le droit chemin. Les équipages s'injurient, brandissent des avirons, voire des haches - et il n'est pas rare que des bagarres à terre concluent les distributions des prix. Il est tout à l'honneur des Cancalais et Granvillais de n'avoir pas, aujourd'hui, poussé le vice de la reconstitution jusqu'à conserver ces rudes coutumes...

 
         
 

Manoeuvre sur La Granvillaise

 

La marche d'une bisquine


Lorsque l'on découvre une bisquine à quai, l'inclinaison des mâts en impressionne plus d'un. La perfection des lignes, l'élancement de la voûte, son profil, la tonture du pont et la rusticité des équipements, nous démontre que nous sommes en présence d'un pur voilier qui, malgré la fâcheuse réputation dont on affuble trop souvent les vieux gréements, reste puissant, rapide et de plus, très manoeuvrant. Les voiles, avec tous les bras disponibles, sont envoyées rapidement et le moteur n'a pas longtemps voie au chapitre. Sur la "Granvillaise", le bon vieux Baudouin de 75CV à démarrage à air, n'est vraiment là que pour les manoeuvres portuaires. Nous avons pu constater qu'une bisquine est un voilier très fin et très puissant.

 

La barre franche de la belle dame normande approche les deux mètres cinquante et reste douce par brise modérée. Avec ses cinquante cinq tonnes, cette bisquine, dans ce qui nous a été donné de percevoir, obéit bien et il et évidemment toujours nécessaire d'anticiper.

 

Affiche de 1897, collection CPA lpm

 
         
 

Sans son "tape-cul", elle a, sans doute du fait du foc très avancé, tendance à abattre. Par contre, dès que cette toile est envoyée et réglée, cette tendance semble s'annuler et le bateau retrouve alors des composantes au lof plus logique pour le barreur de passage. Il n'y avait pas de voiles inutiles sur ces magnifiques navires de pêche. Dans le petit temps, pour les régates, l'équipage envoyait les fameux "rikikis" (perroquets) au-dessus du grand et du petit hunier. Ces deux bisquines nous donnent parfois l'occasion d'imaginer ce que pouvaient être les régates ou ces très nombreuses cathédrales de toiles aimaient à en découdre. Lorsque le temps fraîchit, on réduit évidemment la surface par les hauts et le barreur, pour contrôler la bonne bête, dispose de part et d'autre de son banc, de deux cordages que l'on appelle des garants. Il utilise, celui au vent, frappé à un point fixe en bas du pavois, lui fait faire un tour sur la barre franche et la contrôle ainsi par l'autre extrémité du garant, avec un effort acceptable.  

 
     
 

Granvillaise au mouillage, collection CPA LPM 1900

 
     
 

Installation du "moteur à vent"

 

La garde robe courante d'une bisquine est composée de 6 à 7 voiles. Sur le grand mat, le taillevent avec au-dessus le grand hunier. Sur le mat le plus avancé (mat de misaine) est établie la voile du même nom avec au dessus, le petit hunier. Le foc avec son point d'amure sur rocambeau. Le tape cul, avec ou sans hunier. La Cancalaise en possède un et la Granvillaise pas. En régates, par petit temps, on envoie les rikikis ou perroquets (au dessus des huniers) et parfois la bonnette (grand foc ballon). Les combinaisons sont nombreuses et le rendement impressionnant.


D'abord, sortir l'énorme bout-dehors de 27 cm de diamètre et de 12 m de long, lorsque le bateau est au port (si l'espace de dégagement le permet). Cette manoeuvre demande trois à quatre équipiers sur chaque bord et hisse eh ho...


La première voile à envoyer est le "taillevent" dans le jargon granvillais ou "grand'voile" dans celui de Cancale.

 

A envoyer le taillevent


3 Personnes sur le martinet (apiquage). 4 sur la drisse Ces deux manoeuvres se font simultanément en prenant bien soin de garder la vergue horizontale. Palan d'amure en tension. Le barreur maintient le bateau bout au vent. Lorsque la drisse est à fond, on reprend du martinet en apiquant plus que nécessaire de façon à creuser le guindant. On reprend le palan d'amure à fond à 4 ou 5 équipiers. La tension est si forte que cette énorme poulie est frappée (fixée) devant le grand mât sur le pont à un oeil relié aux fonds du navire par un rond d'acier de bonne facture pour éviter la déformation, voire l'arrachement des barrots concernés. Sous la tension, un pli transversal se forme, qui est résorbé par un relâchement adéquat du martinet. Ensuite on choque le palan d'amure pour avoir le guindant bien établi. Il est difficile, nous précise-t-on de hisser le taillevent au largue.

 
     
 

Granvillaise, collection CPA LPM 1900

 
     
 

A envoyer le foc


Un cercle de métal avec oeil et croc (le rocambeau) permet de crocher le foc à ce classique point d'amure mobile qui évite les exploits d'équilibristes sur cet espar de 10 m de porte à faux... Les écoutes sont passées tout à l'extérieur des bastaques (la bisquine n'a pas de haubans) et sont frappées sur le point d'écoute de la voile par deux noeuds de chaise. Le rocambeau est ensuite halé à l'extrémité du bout-dehors, par un filin (le hale-à-bord). Lorsque le rocambeau est à poste, le point de drisse est hissée au palan trois brins à trois équipiers et ces valeureux matelots sont priés de bien étarquer. Pour cette manoeuvre, les écoutes sont choquées en grand. Enfin, on borde à 2 ou 3 et on frappe l'écoute sur le point fixe sous le vent, le long du pavois, que l'on appelle le fileux.

 

A envoyer la misaine


La manoeuvre est la même que pour le taillevent mais demande moins de bras. Trois à la drisse et deux au martinet. Sur la misaine, il n'y a pas de palan d'amure comme sur le taillevent. Le point d'amure est frappé sur un croc situé en tête d'étrave.

 

A envoyer le grand hunier


Au près on commence par lui et au portant par le petit. Le hunier est envergué et à poste sur le pont. On capelle l'écoute sur le point d'écoute en vérifiant la bonne orientation de la poulie sur la vergue. La drisse est capelée au niveau du cuir de protection du point de drisse de vergue, à son tiers avant. D'où l'appellation contrôlée de gréement au tiers. L'amure sur le point d'amure en le passant à l'extérieur des haubans. La voile est envoyée la tête en bas (vergue en dessous) : 2 personnes sur l'amure, 3 sur l'écoute, 5 à la drisse. On choque à fond l'amure. On souque sur drisse et écoute en même temps. Quand la vergue de grand hunier est au niveau de la vergue de taillevent, on étarque à fond l'écoute. Ensuite on reprend la drisse à fond.

 

A envoyer le tape-cul


Cette voile est d'abord placée enverguée entre les palans d'écoute de taillevent. Auparavant la queue de malet, espar horizontal recevant à son extrémité le point d'écoute, dressée le long du mat est mise à poste. Rappelons que ce dispositif n'est pas une bôme, mais un prolongement fixe permettant d'établir et de régler une voile à bordure libre et de projeter son point d'écoute à l'extérieur du tableau arrière. Un palan réglable du bord permet de modifier l'amplitude de ce point d'écoute suivant les allures. Après fixation du point d'amure et d'écoute, on envoi par 2 à trois personnes au couple martinet / drisse avec la vergue horizontale, cette voile au maniement plus aisé. Ensuite comme sur le taillevent ou misaine on travaille au martinet l'apiquage jusqu'à l'obtention d'un creux satisfaisant. Suivant l'allure son réglage est une aide précieuse à la barre. Le tape-cul était le plus souvent utilisée en régate. Ce n'est pas ce que l'on peut appeler une propulsive mais sa présence comme j'ai pu le constater est un facteur d'équilibre important. Certains patrons, après la motorisation s'en servaient pour cela à la pêche. C'est étrangement sur certains navires, ayant avec la réforme perdu leurs ailes, la seule toile survivante...

 

A envoyer le petit hunier


Idem mais toujours envoyé au vent. Celui-ci stocké, envergué le long du roof est amené vers l'avant du pavois et un équipier libère la toile de son ferlage. La vergue est maintenue à l'épaule pour capeler le point de drisse à sa place et comme pour le grand hunier, il est envoyé à l'envers (vergue en bas) mais toujours au vent. Les points d'amure et d'écoute sont frappés. L'ensemble passe à l'extérieur des haubans et est hissé jusqu'au niveau de la vergue de misaine, ensuite celle du petit hunier rejoint sa place en tête. Sur les gréements au tiers, c'est vraiment l'action conjuguée -drisse-martinet / écoute amure qui rend toujours ces manoeuvres collectives si belles à voir et si stimulantes à faire.

 

La prise de ris


Cette manoeuvre, lorsqu'elle n'est pas correctement orchestrée s'apparente d'avantage à une "prise de risque"... Autant de bateaux, autant de patrons et donc autant de techniques spécifiques pour chacun. Sur "la Cancalaise" Yvon Georges utilise un autre système fort ingénieux dont il m'a très gentiment expliqué les principes dans le brouhaha des fanfares de Douarnenez 98. Mon brave magnéto n'a retenu que la musique et moi pas toutes les paroles de ce patron réputé et réservé mais au débit impressionnant dès qu'il s'agit de son bateau. Une rencontre dans le calme avec lui me permettra de vous reparler de la chose... La prise de ris sur "la Granvillaise" Contrairement à ce qui se passe parfois, la toile n'est pas affalée complètement. Par exemple, pour prendre le premier ris, on affale seulement jusqu'au second ris, ce qui permet de laisser un peu porter. On bosse au deuxième ris pour contrôler la toile, ce qui permet de travailler sur le pont tranquillement. On passe le palan d'écoute sur l'oeillet de premier ris, le palan d'amure idem. Le bas de la voile est ensuite ferlé et maintenu aux garcettes par des noeuds plats gansés. Détail important : prendre bien soin de ne pas serrer trop fort les extrémités, écoute et amure, sinon les risques de déchirures sont importants. Ronan me fait d'ailleurs observer que les garcettes correspondantes sont volontairement plus courtes pour décourager d'éventuels "matelots vaillants et trop zélés"... Cette manoeuvre bien organisée ne présente, me dit-il, aucune difficulté particulière.

 
     
 

Bisquines en pêche dit la « la Caravane », collection CPA LPM 1900

 
     
 

Le virement de bord


Les conseils sont les mêmes que sur d'autres voiliers. Au commandement "Paré à virer" tous les équipiers préparent la manoeuvre. L'équipe sous le vent largue les trois tours morts du point fixe le long du pavois. Chacun est à son poste -"envoyer"- Le barreur oriente fermement la barre franche de 4,50 m sous le vent - Le foc est largué d'un seul coup, mais personne ne souque sur l'écoute au vent. En effet, et c'est particulier à la réussite du virement, cette voile très en avant sur son bout-dehors, amurée à plus de 10m ne supporte pas une reprise immédiate comme on aurait tendance à le faire d'habitude. Contrarier un grand foc de bisquine, c'est s'assurer d'un cuisant manque à virer. La barre est à fond le long du pavois et le foc est laissé libre. Malgré leur déplacement important, les bisquines sont d'abord de puissants voiliers extrêmement manoeuvrant. Lorsque l'on arrive sous l'autre amure, trois paires de bras contrôlent l'écoute, la souquent et la blo- quent par trois tours morts et une boucle passant de . l'autre côté d'une jambette et revenant bloquer la manoeuvre sur les tours morts (Plus long à lire qu'à faire). On reprend la misaine pour ne pas avoir trop à forcer et le foc n'est bordé qu'à la fin. Pour affaler, l'ordre est bien sûr fonction de l'allure, mais en général, sous voilure de route on commence par le "tape-cul" puis le petit et le grand hunier, suivi de misaine foc et taillevent.

 

La mâture


Actuellement, on ne trouve plus beaucoup de bois de mâture. En effet, à l'époque les arbres étaient spécialement entretenus pour cela, émondés régulièrement, sans noeuds ni pétoches. Le plus souvent, le bois employé était du Pitchpin, maintenant introuvable dans ces longueurs. Les Charpentiers Réunis, qui ont fait le dernier mât de la. "Cancalaise" ont pris un épicéa d'altitude dans les Vosges. La "Granvillaise" était mâté en pin d'Oregon et le nouveau mât en "yellow pine" un nord américain qui est un bois de mâture peu connu en France dont la qualité se situe entre le Pitchpin et le Pin d'Oregon, avec une dureté proche du premier et la légèreté du second. Il n'y a bien sûr en ce domaine pas de solution miracle.

 

Prenez la barre


Ces voiliers que l'on appelait les "tracteurs des mers", tellement leur puissance au travail imposait le respect et leur beauté l'admiration, continuent, grâce aux adhérents et stagiaires heureux d'y séjourner, d'embellir par leur présence leurs côtes natales. Joie de la manoeuvre, approche des nombreux réglages, complicité du vent avec ces ailes majestueuses et souples. Puis tenir la barre, point d'émergence d'autres sensations, d'autres perceptions, pour mieux sentir vibrer la puissante et délicate demoiselle. Etre à son écoute sans trop s'imposer, la conduire seulement à faire son possible, du mieux que l'on peut. Et puis, même si l'on ne sait pas, ou pas bien, l'oeil vigilant et amical du patron ou de son bosco nous incite à oser nous faire plaisir. Apprendre, sentir, rêver, faire...bref, se faire du bien, être accueilli, être en mer, tout simplement. Ces deux magnifiques bisquines et bien d'autres batiments superbement construits, enchantent nos regards et donneront encore longtemps du corps à nos rêves.

 

Caractéristiques du bateau de pêche le plus voilé de France

 

Longueur de coque : 18,28 m

Surface de voilure pêche : 293 m2

Largeur de coque : 4,76 m

Tirant d'eau : 2,75m

Longueur hors tout : 32,30 m

Surface de voilure régate : 340 m2

Moteur Baudouin : 70 Cv

Déplacement : 55 Tonnes   

 
     
   
     
 

 
     
   
  QUELQUES VOILES                                                   3/10
  BISQUINE
         
 

La bisquine est un bateau de travail bien connu pour sa stabilité et puissant sous voiles pendant les régates entre les pêcheurs de Granville et Cancale pour la gloire et la renommée de leurs villes natales.

 

Elle est caractéristique de la région du Mont Saint-Michel située entre Saint-Malo et Granville en France au XIXe siècle. Ce type de bateau pratiquait le dragage des huîtres dans la Baie du mont Saint-Michel, la pêche au chalut, et pour les plus grandes, la pêche aux lignes.

 

Née au début du XIXe siècle dans le golfe de Gascogne (ou golfe de Biscaye), la "biscayenne" des pêcheurs basques est pointue aux deux extrémités. Ce type de voilier essaime peu à peu le long de la côte Atlantique, évoluant au fil du temps et des caractéristiques locales.

 

Au milieu du XIXe siècle, la biscayenne devient bisquine et donne naissance, en Bretagne Nord et en Normandie, à une progéniture très variée, en taille comme en gréement.

 

Mais c'est dans la baie du Mont-Saint-Michel, entre 1890 et 1930, que les constructeurs vont lui donner ses lettres de noblesse. Il est vrai que, pour pêcher dans un coin aux conditions de mer si particulières, avec les plus grandes marées d’Europe entraînant des courants parfois violents, il faut un voilier fin et rapide, bon manœuvrier, gagnant bien dans le vent.

 

Les constructeurs de Granville et de Cancale s'emploient à améliorer le type initial. Les formes avant s'affinent, le tirant d'eau augmente, la voûte arrière s'allonge, rasante, magnifique. Vers 1900, la bisquine est à son apogée... 

 

Dessin de H. Kérisit.

Bisquine de Cancale "L'Hirondelle"


   

Caractéristiques :

Longueur : 30 mètres

Longueur de coque : 18 mètres

Largeur : coque large

Tirant d’eau : 2,50 mètres

Déplacement :

Jauge:  entre 17 et 20 tonneaux

Surface de voilure :  350 M2 environ

Equipage : 4 à 6 marins.

 
   

Pêche : dragage des huîtres dans la Baie du mont Saint-Michel, pêche au chalut, pêche aux lignes.

 
   

Gréement: Les bisquines portent sept à huit voiles au tiers plus un foc sur trois mâts.

  Voiles : Foc, misaine, taillevent et tape-cul occupent le premier étage. Le petit et le grand huniers, ainsi que le hunier de tape-cul, sont hissés au second. Enfin, petit et grand "perroquets"

 
 
         
 

Les plans originaux de la Rose-Marie, construite en 1897 par le constructeur Louis Julienne

 
         
   
  HISTOIRE DE PECHES
  LE RETOUR DES BISQUINES
         
 

Les régates en 1906, collection LPM CPA 1900

 
         
 

Le Retour des Bisquines

Le Monde Jeudi 15 février 1996

Marie-Noëlle Hervé

 

Dans le soleil écarlate, les deux bisquines traçent leur double sillon d'écume. La Cancalaise et La Granvillaise remontant avec le flot, le Sund de l'archipel des Iles Chausey, cinglent dans une apothéose d'ailes blanches déployées vers le continent. La dame noire et la dame blanche prolongent, sur quelques milles, leur duel amical, avant de regagner leur port d'attache respectif. De part et d'autre de la baie du Mont-Saint-Michel, Cancale et Granville se contemplent. Cancale est en Bretagne; Granville en Normandie. Depuis des siècles, elles surveillent le Mont solitaire mouillé au milieu des sables. Des siècles durant lesquels les deux provinces ont convoité sa possession. Ce sont les Normands qui l'ont obtenue, et les Bretons ne s'en sont pas remis.

 

Au début du 19ème siècle s'entame entre le port d'llle-et-Vilaine et celui de la Manche une nouvelle rivalité. Un affrontement qui, souvent, tourne à l'aigre lorsque leurs flottes de pèche tentent d'outrepasser les limites de dragage sur les bancs d'huîtres sauvages qui abondent à l'époque dans la baie. C'était au temps des bisquines. Ces élégantes embarcations fortement toilées, originaires des côtes normandes et dérivées du lougre, présentent une étrave droite, une voûte arrière très élancée, sortant impertinemment de l'eau, et trois mâts à forte quête arrière portant au travail deux étages de voiles gréées au tiers. Une grandiose architecture de 246 m2 de toile.

 

Ces bisquines deviendront rapidement une exclusivité des quartiers maritimes de Granville et de Cancale. Péchant rarement en solitaire,elles se constituent en convoi. On appelle cela « la Caravane », maintes fois représentée par le peintre Marin-Marie. lnoubliable spectacle que cette cohorte d'une soixantaine de bateaux sortant en rangs serrés du port, puis, passé le môle, s'ouvrant en éventail avant de pointer toutes voiles dehors vers le large pour ratisser de leurs « fers » les pâturages marins de la baie. Au siècle passé, une quête fructueuse pouvait, par embarcation, rapporter jusqu'à 100 000 huîtres en une joumée. Au cours de l'hiver 1851-1852, la prise de Granville s'éleva à 73 millions d'huitres. Jusqu'au jour - c'était au lendemain de la guerre de 14-18 - où les bancs furent épuisés.

 
     
 

A bord d'une "Bisquine" en 1910, collection CPA LPM 1900

 
     
 

Cette activité prit fin, mais non celle des bisquines, qui se reconvertirent dans la pêche au chalut. Court sursis. L'avènement du moteur et la Seconde Guerre mondiale sonneront leur glas. Mais la concurrence entre les deux villes, à propos des zones de pêche, n'était pas leur seul sujet de querelles. Les affrontements se renouvelaient lors des régates que se livraient les équipages au moins deux fois l'an. Commencées en1848, elles se poursuivirent jusqu'à la fin des années 30. Quel enfant de ces ports n'a entendu plus tard raconter les joutes mémorables qui opposèrent, avant 1914, Le Vengeur et La Rose-Marie de Granville à La Mouette et à La Perle de Cancale. A ces occasions, pour augmenter la surface de voilure, on sortait le gréement de régates. Les perroquets ou rikikis, « la plume qui fait voler l'oiseau », étaient hissés au sommet du grand et du petit hunier surmontant la grand-voile et celle de misaine. On envoyait aussi la voile et le hunier de tapecul et, pour naviguer au portant, une bonnette amurée sur le long bout-dehors. Un total de 350 m2 de toile. Imaginez l'allure.

 
     
 

 
     
 

Presque cinquante ans ont passé. Le 18 avril 1987, après deux ans de chantier, La Cancalaise, copie exacte de La Perle, construite en 1905, a quitté son ber et glissé pour la première fois dans les eaux vertes de la baie.

 
     
 

Granville,  la bisquine "La Granvillaise"

 
     
 

La Cancalaise (2001-08-11) Au large de Port-Mer

 
     
 

Tout Cancale était en émoi. « Dans cette aventure, raconte Yvon Georges, initiateur du projet et patron de la bisquine, la ville entière nous a suivi. Le chantier s'est déroulé à découvert sur la grève de la Houle, autrefois lieu traditionnel des constructions navales. » Pour l'occasion, le « comité des casquettes », les vieux marins qui avaient navigué sur ces bateaux, s'est déplacé de son banc de causerie habituel du Plat-Gousset, sur l'autre bord de la criée, afin de s'installer face au chantier. « Ils discutaient entre eux, mais sans jamais se mêler du travail des charpentiers. Fallais donc les voir pour écouter leurs commentaires, et cela nous a beaucoup servi. » Granville fut piqué au vif. Pas question de laisser une bisquine du port d'en face naviguer seule dans le secteur. D'autant plus que La Cancalaise ne cessait de venir parader sous son nez. « Nous voulions les exciter ajoute en riant Yvon Georges, pour les forcer à venir un jour en découdre avec nous. » La tactique a marché. Daniel Denis, capitaine du port du Hérel, a pris les choses en main, avec d'autres Granvillais. « Ce fut, explique-t-il, un levier formidable que cette concurrence entre Cancale et Granville. Elle nous a poussé à relever le défi. »

 

La construction de La Granvillaise, reproduction des plans de La Rose-Marie, lancée en1900, est confiée au chantier Anfray en décembre 1988. Le 15 avril 1990, jour de Pâques, la grande coque est grutée et mise à l'eau dans l'avant-port où La Cancalaise, accourue dés le matin, tire des bords en attendant l'apparition de sa cadette. Sans être identiques, les deux bisquines sont bien du même tonneau. La noire fait18,10 m ; la blanche18,28m. Cela promet de belles régates. La première a lieu le 22 juillet. A la barre de La Granvillaise, François Bouchard ; aux commandes de La Cancalaise, Eric Tabarly. Granville emporte la première manche. Le 5 août, Cancale gagne la revanche. La tradition est renouée.

 
     
 

Reproduction des plans de La Rose-Marie

 
     
 

Les vieux marins qui ont, dans le passé, navigué sur les bisquines s'en sont presque tous allés. A Granville, François Bouchard était le demier. Bouchard est un nom de Cancale. En 1918, son père Henri a traversé la baie à bord de La Gloire, sa bisquine, pour venir s'établir à Granville. Le petit François n'avait que huit jours. Plus tard, devenu patron de pêche à son tour, il a toujours défendu avec panache, dans les régates, les couleurs de sa ville d'adoption. Puis la guerre est venue. Avec d'autres bisquines, La Gloire a coulé dans le port lors du bombardement allié de 1944. François l'a renflouée pour la conduire jusqu'à son dernier mouillage, au Plain, à Chausey, dans l'anse à la Truelle, sous le sémaphore.

 

Dans les années 70, on pouvait encore y admirer l'élégante découpe de ses membrures. Puis elle est retoumée lentement au sable, aux vents et aux marées. Le 26 novembre dernier, sous un de ces ciels d'huitre qu'il aimait tant, François Bouchard a «mis le cap à l'est ». C'est la direction du cimetière Notre-Dame, accroché sur la falaise face au large. il avait soixante-dix-sept ans. La Granvillaise, désarmée pour l'hiver, n'a pu venir lui faire sa parade d'honneur. L'équipage a envoyé une gerbe. Dans les ports, quand un marin disparaît, on salue sa mémoire avec respect.