LES ILES ANGLO-NORMANDE
   
  AURIGNY
         
 

Aurigny

 
         
 

À 12 kilomètres des côtes françaises, Aurigny, la cousine anglo-normande de la Hague, paraît si proche qu’on pourrait presque la toucher. Mais c’est une autre paire de manche que d’y débarquer : si la mission est impossible en hiver car les liaisons sont interrompues, elle est difficile à la belle saison en raison du nombre de peu de rotations: Diélette (45 minutes). Guernesey (60 mn).


La ville de Beaumont-Hague est jumelée avec Aurigny depuis le 14 juillet 1989

 

Elle fait 5 km de long et 3 de large, ce qui en fait, par son étendue, la troisième île de l'archipel.

 

La seule paroisse d'Aurigny est la paroisse de Sainte Anne. Traditionnellement les habitants sont surnommés les lapins à cause des nombreux garennes.

 

Aurigny posséde un aéroport (code AITA : ACI).(en été) : Bournemouth (35 mn), Southampton (40 mn) et Brighton (1 h).

 

La langue aurignaise, langue normande, a disparu pendant le XXe siècle avec la mort des derniers locuteurs. On en retrouve des traces dans la toponymie.

 

Aurigny est la seule île à posséder un chemin de fer, qui tient plus aujourd’hui de l’attraction populaire que du moyen de transport, il est vrai. Le train d'Aurigny relie le port à la carrière de granit de Mannez, sur la côte nord-est.

 

Le petit train qui la longe en période estivale est tracté par une locomotive diesel, et ses wagons ne sont autres que ceux du métro londonien, qui ont trouvé là un bon moyen de se recycler

 

D'abord conquise par les Romains, Aurigny devient normande. Passée sous la tutelle du roi d'Angleterre en 1204, elle est reconquise par les Français pendant la Guerre de Cent Ans, puis déclarée neutre par le pape Sixte IV.

   
       
     
       
     
     
 

En 1584, Elizabeth d'Angleterre donne l'île à Jean Chamberlain. Le comte d'Essex en prend ensuite possession, puis George Carteret se la voit offrir.

 

En 1792, plusieurs prêtres de la Manche, inquiétés par la Révolution, se retirent dans l'île.

 

En 1940, pendant la Seconde Guerre mondiale, sentant l'avancée allemande inéluctable, la population d'Aurigny décide d'évacuer totalement l'île.

 

Les Allemands s'y installent effectivement et transforment Aurigny en un impitoyable camp de concentration, où s'entassent juifs, républicains espagnols, Russes et Polonais. De nombreux prisonniers trouvent la mort au cours des travaux de renforcement des défenses de l'île.

 

Le 30 septembre 1945, les Aurignais retrouvent leur île, dévastée.

 
     
 

Fichier:Alderney - Inner Harbour.jpg

Le Port du Braye

 
     
 

Le phare de Mannez

 

Le phare, construit en 1912, est situé à l'extrémité orientale de l'île à Quesnard Point.

 

Il a été construit à agir comme un guide pour avertir les navires des eaux perfides autour de l'île. La tour de phare s'élève à 32 mètres et est peinte en blanche avec une bande noire centrale pour le rendre plus visible à la navigation pendant le jour. Son faisceau de quatre flachs blancs toutes les 15 secondesest visible jusqu'à 12 milles en mer.

 

Automatisé en 1997, le phare est maintenant surveillé et contrôlé à partir de la Trinity House planification Unité centrale à Harwich dans l'Essex. Le directeur actuel organise des visites effectuées tout au long de l'été. La montée abrupte vers le haut de la tour est très exigeant, mais les efforts

 
     
 

Le phare de Mannez sur l'ile d'Aurigny
 
     
 

Le train d'Aurigny

 

Le seul chemin de fer dans les îles anglo-normandes est un autre rappel de l'escalade militaire à l'époque victorienne. Le chemin de fer Aurigny a été construit dans les années 1840 par le gouvernement britannique dans le but de transporter les pierres de l'extrémité orientale de l'île pour la construction de la digue et des forts.

 

Il a été le premier chemin de fer nationalisé gérée par l'Amirauté. La voie à été ouverte en 1847 et est l'une des plus anciennes lignes dans les îles britanniques. Les premiers passagers officiels, la Reine Victoria et Prince Albert,  eut lieu le 8 août 1854. Le chemin de fer a continué dans le transport de minéraux pour le reste du XIXe siècle.

 

L'année 1985 voit l'arrivée du Vulcan Drewry 0-4-0 diesel locomotive Elizabeth, qui a plus de 20 ans. En 2001, le chemin de fer Aurigny a acquis deux voitures de 1959 (ancien tube de remplacement du métro de Londres).

 

Le chemin de fer circule les jours fériés et week-ends le tempd de la saison estivale, il parcour le long d'un itineraire panoramique côtier du port jusqu'à la côte nord-est, coupant à travers le pays vers la carrière de Mannez et le phare de Mannez à proximité.

 
         
 

Le train d'Aurigny

 
         
 

L'église Sainte Anne

 

Situé dans le centre de St. Anne et entourée d'un cimetière bien soigné, cette très belle église est souvent appelée comme "The Cathedral of the îles Anglo-Normandes".

 

L'église de St Anne, consacrée en 1850 et construite par M. George Gilbert Scott. Elle est reconnue comme l'un des plus beaux bâtiments victoriens dans les îles anglo-normandes. Scott a été un des architectes des plus prolifiques du XIXe siècle, et hormis une quantité considérable de travaux de restauration sur les constructions ecclésiastiques, y compris de l'abbaye de Westminster, il était également responsable de l'Albert Memorial à Londres (récemment restauré), le ministère des affaires étrangères et la St Pancras Station Hotel.

 

L'église est souvent appelée 'l'église cathédrale des îles anglo-normandes' en raison de sa taille, mais l'intention originale était qu'elle devait servir non seulement comme une église paroissiale de l'île, mais aussi comme la garnison église pour les militaires en poste ici dans le milieu du XIXe siècle ; un temps lorsque l'île était étant fortifiée contre toute menace potentielle d'invasion par la France, seulement a quelques kilomètres.

 
         
   
 

Eglise Sainte Anne

 
         
 

Aurigny; un camp de concentration nazi

D’après " Résistance Unie ", le journal de l’ANACR (Association Nationale des Anciens Combattants de la Résistance) en Gironde.

 

Les îles anglo-normandes ont été occupées par les armées allemandes à partir de 1940.

Dès l’invasion allemande, l’entière population d’Aurigny fut évacuée, à l’exception d’un seul paysan qui préféra rester sur place.

 

En 1943, deux membres du parti nazi, numérotés 6 et 8 dans la hiérarchie, Adam Adler et Heinrich Evers furent désignés pour commander le camp ; les ordres leur étaient transmis par celui de Neuengamme.

 

Ainsi, c’est un commando lointain d’un des premiers camps nazi, créé en 1938 en Allemagne, qui était établi dans l’île. Il était composé de plusieurs milliers de Russes, de Français (dont plusieurs centaines de juifs, maris d’ "aryennes "), de Républicains espagnols, d’Allemands, de Nord-Africains venant de Marseille (dénommés ZKZ), de trois Chinois, d’un Italien,

 

La présence de civils russes dans l’île (la plupart jeunes), semble trouver une explication dans le besoin de main-d’œuvre civile transférée à Aurigny après les conquêtes territoriales de la Wehrmacht jusqu’en 1942.

 
         
 

Les Allemands condamnés de droit commun ou "associables " portaient tous des pyjamas ; les Républicains espagnols le brassard R.S. (Rott Spanien = Rouge espagnol), les autres, en particulier les Français, une bande de peinture blanche sur les coutures du pantalon, signe qui se révéla, par la suite, lourd de conséquences ("à abattre systématiquement en cas d’insoumission ") 687 Russes moururent dans des conditions atroces : dépaysement, humiliation continuelle, nutrition à peu près inexistante, coups, travaux forcés ; ils furent enterrés sur place. D’autres, Espagnols, Arabes, Français, subirent des sorts analogues.

 

Il faut signaler que, par manque d’eau potable, beaucoup de déportés ont été atteints de fortes fièvres ; pour les Russes, notés par les Allemands comme atteints de typhus, la maladie n’était qu’un prétexte à de très mauvais traitements.

   
         
 

Tour à tour, le cheptel humain était "loué ", par une importante firme de Coblence, aux services de l’organisation Todt, à la Deutschestrasse…, d’où la diversité de commandos de travail.

 

N’ayant ni chambre à gaz, ni crématoire, ils transformèrent un tunnel où les déportés du camp seraient "murés " en cas de rébellion ou de débarquement des armées alliées.

 

Celui-ci existait avant la création du camp puisqu’il permettait l’accès à la mer. Un matin, tout au début d’avril 1944, une équipe fut contrainte, par les SS, de murer l’une des extrémités (côté mer) et d’obstruer les bouches d’aération qui s’y trouvaient afin de laisser sur le devant (côté camp), une ouverture permettant le passage d’un ou deux hommes à la fois. A l’intérieur de ce "tunnel ", des ballots de paille avaient été entreposés.

 

Deux essais sous forme d’alerte, ont été expérimentés pour estimer le temps de remplissage avec tous les détenus du camp. Par ailleurs, des socles en ciment armé, pour nid de mitrailleuses, avaient été placés à l’entrée, non pas contre un éventuel agresseur mais dirigés vers l’intérieur du tunnel. C’était le lieu de leur extermination !

 

Heureusement pour tous, un ordre d’évacuation précipité survint le 7 mai 1944.

 

Il s’agissait de transférer les déportés en Allemagne, sans doute à Neuengamme, via la France.

 

Entre Cherbourg, Lille et Hazebrouck, un grand nombre de déportés s’évadèrent du train, grâce aux cheminots français (certains repris ont été fusillés) : tous les autres furent internés dans le Nord de la France, à Boulogne-sur-Mer et aux environs, puis libérés à Dixmude grâce à la Résistance belge. Ce transfert avait duré 13 jours, en wagons à bestiaux et plombés.


 

Ce n’est que dans la nuit du 26 au 27 juin 1944, immédiatement après la libération de Cherbourg, que les derniers déportés quittèrent l’île d’Aurigny (sauf environ vingt déportés Républicains espagnols, affectés à des travaux spécialisés). Ce n’est que vers le 10 août 1944 que les 20 Républicains espagnols furent transférés à Jersey au Fort Régent, où ils prirent très vite une part active dans toutes les actions de sabotage contre les nazis. La libération ne vint pour eux que le 9 mai 1945

 
     
 

 
     
   

 

Located in the centre of St. Anne and surrounded by a well cared-for churchyard, this beautiful church is often referred to as "The Cathedral of the Channel Islands".

The church of St Anne, consecrated in 1850 and built to the design of Mr George Gilbert Scott, is acknowledged to be one of the finest Victorian buildings in the Channel Islands. Scott was one of the most prolific architects of the 19th century and apart from a considerable amount of restoration work on ecclesiastical buildings, including Westminster Abbey, he was also responsible for the Albert Memorial in London (recently restored), the Foreign Office and the St Pancras Station Hotel.

The church is often referred to as 'the cathedral church of the Channel Islands' because of its size but the original intention was that it should serve not only as a parish church for the island but also as the garrison church for the military stationed here in the mid 19th century; a time when the island was being heavily fortified against any potential threat of invasion by France, only a few miles away.

The Island is justly proud of its church and we very much hope that you have enjoyed your visit.

Further Information

St Annes Church Download



 
 

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Promenades et rencontres

Charles Frémine 1905

Aurigny

 

Les steamers ont singulièrement rapproché du continent le groupe des Iles anglo-normandes. Bien que le détroit, creusé entre Jersey et la terre ferme par le cataclysme de 709, n'ait guère plus de six lieues de largeur, il paraissait un fossé redoutable au temps de la navigation à voiles. Tout cet Archipel, couché, brumeux et louche, de l'autre côté de la Déroute, inquiétait il avait une réputation détestable on n'y allait pas sans besoin on ne le visitait pas, on s'y réfugiait.

 

Aujourd'hui, Jersey semble une simple halte entre Normandie et Bretagne et les jetées, d'ailleurs charmantes, de Saint-Hélier sont aussi familières aux Français et-aux Anglais qui voyagent, que les Boulevards où Piccadilly. La gloire de Hugo auréole à jamais Guernesey. Beaucoup plus que sous la coupole du Panthéon, si lugubrement délaissé, on te cherche là-bas, sur quelque cap rougi par le couchant, aux pointes de Jobourg et de Pleinmont. Scik même, Serk l'inaccessible, a ses pèlerins.

   
         
 

Épaulée par ses gigantesques falaises, elle domine si bien l'Océan, elle apparaît si tentante au-dessus des vagues que l'on se risque, que l'on aborde au Creux, quitte à réfléchir sur le profil de certaines roches, pendant la traversée.

 

Si Jersey, Guernesey et Serk sont terres connues fréquentées par les Parisiens et les Londoniens excursionnistes, on n'en saurait dire autant d'Aurigny. Et cependant, il semble anormal, à première vue, que les prétendants en exil n'y. convoquent pas leurs fidèles, car trois lieues de mer seulement l'isolent de la côte française, alors que, de Saint-Hélier à Saint-Malo ou à Granville, il n'y a pas moins de cinquante-six kilomètres. En décrivant Aurigny grands traits, nous ferons facilement comprendre la raison de cette exclusion et pourquoi peu de gens touchent cette île, la troisième du groupe, comme étendue, et qui ne représente rien moins qu'une forteresse anglaise, bâtie tout contre la France, à moins de dix lieues dans l'ouest de Cherbourg.

 

Aurigny, l'ile la plus septentrionale de l'Archipel, n'est peut-être pas l'antique et mystérieuse Thanit mais elle est certainement l'Aurica du géographe Anlonius. Les Anglais la nomment Alderney. C'est une table granitique s'étendant de l'est à l'ouest, haute de deux cent quatre-vingts mètres, longue d'une lieue et demie, large de trois kilomètres. Les ̃parages qui l'avoisinent sont terribles. Sur son flanc est court le Raz Blanchart, resserré qu'il est entre d'énormes falaises et la pointe de la Hague. A l'ouest et au nord, entre l'île principale et deux îlots bas, Ortach et Burhou, le passage du Singe (Swinge, courant rapide) roule ses flots verts. A la moindre brise, le Raz et le Singe écument. Quand s'élève une tempête, la mer se démonte tout à coup, les vagues blanchissent, se, jettent à l'assaut des falaises et des caps; les vents hurlent dans les détroits comme en des corridors de pierre, les milliers de brisants aboient des hardes de nuages passent au-dessus de l'île qui apparaît et disparaît tour à tour dans les brouillards et les embruns. Au-delà de Burhou et d'Ortach surgissent les roches tragiquement fameuses des Casquets. Un phare s'y dresse, haut de quatre-vingts pieds. Telle est cependant la puissance des vagues poussées les unes contre les autres et projetées en l'air par la rencontre des courants et les ressacs sous-marins, qu'elles sautent souvent par-dessus la lanterne du « ligh-house ». Là, sombra en 1744, le vaisseau anglais la Victoire, qui s'engloutit avec l'amiral Balcher, l'état-major d'une grande flotte revenant de Gibraltar, et onze cents hommes. Des carcasses de navires obstruent partout le fond de l'abîme. Ce fut longtemps, en ces parages sinistres, une industrie de repêcher des canons. Cela dit, on ne saurait s'étonner si les paquebots de la Royal-Mail passent à gauche des Càsquets, filant tout droit sur Guernesey et Jersey. Deux fois par semaine, un petit vapeur part de Saint-Pierre-de-Guernesey et apporte la' correspondance à Aurigny, qui, l'hiver, reste parfois un mois sans nouvelles,

 

Les rois d'Angleterre firent souvent un lieu d'exil de l'Archipel normand. La reine Élisabeth s'y intéressa, tout particulièrement, l'affectionna. Les Iles jouèrent même un rôle actif dans la façon dont elle traita ses favoris. Elle envoya Raleigh, un grand homme, en disgrâce à Jersey. Avant de faire exécuter le comte d'Essex, elle lui donna Aurigny où une vieille ferme et un fort moderne gardent son nom. Plus heureux qu'Essex, Raleigh rentra en faveur, mais il fut décapité par Jacques VI, fils de Marie Stuart décapitée elle-même par Élisabeth.


Après d'autres vicissitudes, Aurigny appartint pendant plus d'un siècle à une vieille famille de l'Archipel, lés Le Mesurier, qui, moyennant une modeste redevance annuelle de 13 schillings envers la Couronne d'Angleterre, y jouit paisiblement de tous les privilèges féodaux, encore florissants dans les autres îles. Cet état de choses cessa en 1825. A cette époque, Wellington, que la France empêchait de dormir, même après Waterloo, indiqua au Parlement anglais Alderney comme le point où il était urgent de construire une place forte et de créer un port capable de paralyser et de menacer Cherbourg.

 

Le gouvernement racheta aux Le Mesurier tous leurs droits seigneuriaux, ce qui affranchit Aurigny d'un seul coup, puis l'on se mit à la besogne.'

 

La pierre ne faisait pas défaut, l'île n'étant qu'un bloc de granit. Des centaines d'Irlandais arrivèrent, s'installèrent comme ils purent. Les forts et les casernes, s'élevèrent rapidement; La difficulté c'était le port. La baie de Sainte-Anne, qui s'ouvre au nord-ouest, ne manquait pas de profondeur et pouvait être creusée, mais la création d'une jetée puissante, s'amorçant à la côte et se prolongeant dans les lames, s'imposait pour abriter les navires et briser l'action des courants qui sillonnent la, baie, particulièrement le Raz Blanchart.

Les ingénieurs conçurent hardiment le projet d'une digue' immense,' digne de rivaliser avec celle de Cherbourg. Ils s'y acharnèrent quarante ans ils y dépensèrent soixante-dix-huit millions, la mer défaisant à tout moment le travail de l'homme qui cependant faillit vaincre. Un jour, la jetée apparut presque terminée, longue de deux mille cinq cents mètres, large de quarante pieds avec des parapets hauts de cinquante. Alors, le Raz se fâcha tout blanc. Avec l'aide, d'une tempête et d'une marée d'équinoxe il s'ouvrit un passage de deux cents mètres à travers la digue, la cassa en deux. Ce fut fini.


L'Angleterre ferma, sa bourse: ingénieurs et ouvriers partirent. Du moins, laissaient-ils derrière eux une série de forts et de redoutes ayant un développement de près de deux lieues, du fort Clanque au fort Essex, avec deux cent cinquante pièces de canon en batterie. Les gens d'Aurigny, que personne ne menace, sont donc bien gardés mais la flotte qui devait se rassembler sous ces ouvrages, pour s'élancer à l'attaque, qui devait s'y réfugier en cas d'échec, où mouillerait-elle après la rupture de la jetée- abri ? Donc le Gibraltar anglo-normand a avorté.

 

Ç'a été, certes, un grand malheur pour l'île, moins grand cependant que la ruine de la fraude qui a suivi la ruine de la course. La course, au temps des anciennes guerres entre l'Angleterre et la France, la fraude avant, pendant et après, telles sont les deux mamelles d'où toutes les fortunes de l'Archipel ont coulé. Or, par suite de sa plus grande proximité de la côte française, Aurigny était la capitale de la contrebande qui y avait ses magasins, ses gîtes, ses auberges tout au fond de la baie Sainte-Anne, ses cotres fins voiliers amarrés aux môles du vieux petit port toujours blotti à droite de la pointe de Braye. C'était le bon temps. A l'encontre de Vidocq, qui fut fait chef de la police de sûreté après avoir été voleur émérite, souvent les fraudeurs débutaient dans la douane qu'ils lâchaient un beau jour, pleinement instruits de son service et de ses ruses. Ce furent les traités de libre-échange qui tuèrent la grande contrebande sur les laines, les soieries, les sucres, les dentelles, le tafia. A la fin, il ne lui restait plus que le tabac. Après 1870, la douane et la régie françaises se montrèrent draconiennes, vendirent champs et maisons des affiliés; il fallut retourner à la terre. Aujourd'hui, les vieux fraudeurs achètent leur chique au bureau et Aurigny qui a compté quatre mille âmes et n'en a guère plus de quinze cents, non compris, il est vrai une garnison de cinq cents hommes

 

Lorsque l'on arrive dans la baie Sainte Anne, en rangeant à droite la digue coupéé en deux tronçons, l'île apparaît toute verte. C'est comme le versant d'une grande falaise descendant à pentes douces et vallonnées vers la mer. Ces pentes décrivent un arc de, cercle ayant un fort à chaque extrémité: à gauche, le fort Albert à droite, le fort Turgis. Sur la hauteur, et dominant la baie qui porte son nom, la petite ville de Sainte-Anne, unique agglomération de l'île, se groupe autour de son église en granit rouge, à clocher massif. Une route y monte de la mer, escaladant doucement la colline, en tournant, bordée çà et là par des maisons percées de fenêtres à guillotine, couvertes en ardoises, uniformes, proprettes, bien anglaises. Pas une toiture en chaume. Les rues de la ville sont bien pavées. Il y a des quartiers commerçants, des quartiers agricoles, des quartiers de rentiers, tout' cela rigide, silencieux. Comme dans le reste de l'Archipel, les chapelles abondent. A côté des Anglicans, il y a les Méthodistes, les Méthodistes Wcslayens, les Presbytériens, les Calvinistes, etc., etc.; les Catholiques se comptent.

 

On est très religieux et très démocrate à Aurigny.

 
     
 

 
     
 

Dans une petite rue où l'herbe pousse entre les pavés, j'ai logé deux jours dans la maison calme et minutieusement nette de M. Jean Le Bair, qui travaillait chez un maître menuisier du voisinage il n'en était pas moins procureur des pauvres et ministre libre de je ne sais plus quelle secte.

 

Dans le nord de Sainte-Anne, à l'entrée d'un ravin profond où s'abritent des jardins et quelques plants de pommiers, on aperçoit une des plus intéressantes habitations des iles. C'est l'ancienne demeure seigneuriale des Le Mesurier, le Manoir, où réside le gouverneur militaire d'Aurigny. Ce logis dû XVIIeme siècle, bâti tout en granit, a grand air avec ses hautes cheminées, ses larges fenêtres, ses épais murs gris. Mais ce qui étonne, c'est l'énormité et la vigueur végétale des hêtres rouges et des chênes verts dont les ombrages superbes couvrent le parterre entouré d'une grille à fers de lance dorés, qui s'avance en coin sur une petite place d'une solitude et d'une paix toutes monacales. On se rappelle tout à coup que non seulement les chênes verts, mais les figuiers, les myrtes, les lauriers roses, les orangers, les citronniers poussent en pleine terre en ces contrées marines que le Gulf-Stream baigne, deux fois par jour, de ses tièdes ondes, et font, comme le dit Victor Hugo, de « ravissants intérieurs » à ces rochers dont les abords sont si redoutables.

 

Tous les insulaires connaissent la langue anglaise, mais ils la parlent plus ou moins. Bien que cette population soit rattachée à l'Angleterre depuis la conquête normande, c'est-à-dire depuis plus de huit siècles, l'élément anglais y figure à peine pour un vingtième. Toutefois, de meme qu'il est nul à Serk, cet élément a acquis plus d'importance à Aurigny, par suite du long séjour des ouvriers qui élevèrent les fortifications et construisirent la digue. Beaucoup d'entre les fils des maçons et des terrassiers irlandais, par exemple, sont restés dans l'île où ils s’occupent à :divers travaux, allant surtout en journée chez les cultivateurs. On les reconnaît à leur nez singulièrement aquilin, leur figure pâle, émaciée, à leurs yeux et à leurs cheveux noirs, alors que les. hommes de race normande ont le teint clair et chaud, le corps replet, les cheveux blonds, les yeux bleus.

Comme il convient, les meilleures terres d'Aurigny avoisinent le Manoir. Ce sont des herbages renommés dans l'Archipel des murs, en pierre sèche et des fossés plantés de haies d'épines les clôturent. Les eaux des sources, soigneusement recueillies et aménagées, remplissent, au coin des champs, de frais abreuvoirs, et se réunissent, au bas de la colline, en un allègre ruisseau assez abondant pour faire tourner la roue unique d'un petit moulin dont on entend avec surprise le tic-tac au bord de la baie Sainte-Anne.

Une vaste étendue de mer, un longylénlé des côtes de France apparaissent du haut du plateau d'Aurigny. Il est couvert de belles récoltes que varient les saisons, admirablement cultivé, sans habitations, presque sans arbres. Un gras bétail y paît à l'attache, tandis que des bandes de moutons, à la chair exquise, broutent en liberté l'herbe rase et le serpolet qui poussent dans les friches et les landages de la région de l'ouest. Il y a là de superbes et sauvages falaises où les fleurs dorées des ajoncs et les fleurs violettes de la bruyère, capricieusement entremêlées, déroulent, à cette heure, aux lianes des caps, de véritables tapis d'Orient. A cette heure encore, en ces parages déserts, on entend, avec la rumeur des vagues, les cris rauques et tapageurs de milliers d'oiseaux marins. De tous les points des côtes voisines, ces maraudeurs de l'abîme accourent et se rassemblent pour faire leurs nids à Aurigny, vieux nid de corsaires et de contrebandiers.