L'ATTELAGE DES CHIENS EN FRANCE 1 | ||
Par René GANDILHON Inspecteur général des Archives de France
Né le 22 novembre 1907 à Bourges (Cher), mort le 1er° décembre 1990 à Paris (XVIe arr.) ; archiviste départemental puis Inspecteur général des Archives de France ; secrétaire général du syndicat des Archives de France à sa création en 1945, puis en 1948. | ||
Une curieuse caricature, parue au début de ce siècle dans un journal satirique, représentait un ecclésiastique, violemment projeté hors d'une petite voiture tirée par un chien. La raison de cet accident de la route était à n'en pas douter un chat que son ennemi héréditaire avait essayé de poursuivre. La légende illustrant la scène: « En attendant que ses ouailles lui paient un automobile, le ratichon de Champ guyort (Marne) se promène dans une voiture attelée d'un chien », résume à notre avis les raisons essentielles de la disparition de ce mode de locomotion si fréquent, en France, il y a encore quelques dizaines d'années : la découverte de nouveaux moyens de transports et l'élévation du niveau de vie.
L'emploi du chien de trait est très ancien, mais ainsi qu'on le constate en bien des faits communs, d'évidence pour ceux qui les frôlent tous les jours, peu de documents graphiques et même iconographiques en ont conservé le souvenir.
C'est pourquoi nous pensons utile, bien que sortant du cadre géographique que nous nous sommes tracé de rappeler l'existence de deux petits monuments de terre cuite, conservés au Musée du Louvre et ayant fait partie autrefois de la collection Campana. Trouvés en Italie et datant du IIeme ou du Ier siècle avant Jésus-Christ, ils représentent l'un une femme, l'autre un homme assis sur un char tiré par des chiens de Malte, à longue queue). |
En attendant que ses ouailles lui paient un automobile, le ratichon de Champguyon (Marne) se promène dans une voiture attelée d'un chien. 'La Lanterne, 23 février 1904) | |
Qu'en fut-il en France dans les siècles suivants. Nous l'ignorons, mais nous constatons déjà au XVIeme siècle sur des tapisseries la présence de voiturettes attelées de chiens transportant du gibier
La première mention rencontrée dans les textes sera l'usage fait dans la grande galerie du Louvre par le jeune dauphin, le futur Louis XIII, d'un petit carrosse tiré par deux dogues. Un siècle plus tard un règlement de police du bailli de Versailles du 6 mai 1721, interdisait dans cette ville l'usage des voitures attelées de chiens, sous prétexte que la nourriture de ces animaux pouvait « causer quelques mauvais airs ».Peu après ce sera une ordonnance du lieutenant de police de Paris (26 mars 1725) qui à la requête des « propriétaires du privilège des carrosses exposés sur les places et faubourgs de Paris » interdira à toute personne d'utiliser des phaétons tirés par des chiens et ceci sous peine de prison et de 50 livres d'amende. Suivant les dictionnaires, le phaéton est soit « une chaise roulante fort propre... et qui va fort vite »soit une « voiture légère à quatre roues dont la caisse comporte deux sièges transversaux orientés dans le même sens ».
L'interdiction ainsi prononcée visait tout d'abord à réprimer une concurrence jugée déloyale par les entrepreneurs de carrosses publics, puis de parer aux dangers encourus par les passants du fait des chiens« qui sont fort mauvais » et de la vitesse entraînant des accidents de circulation, enfin de mettre un terme aux « insolences, désobéissances et contraventions des particuliers conducteurs des phaétons tirés par des chiens ».
Un mois plus tard (20 avril) le Châtelet de Paris étend son interdiction: « défense de faire tirer des charrettes et des chaises dans les rues de Paris, au cours, aux Champs-Elysés et aux promenades publiques».
On peut assurer que l'usage d'atteler les chiens persiste malgré tout, car à intervalles assez rapprochés on voit publier des ordonnances similaires : 16 avril 1726, 25 janvier 1737, 3 avril 1762, 21 mai 1784,1er juin 1824, 25 mars 1830, 27 mai 1845, 14 juin 1851, 31 août 1897, enfin1911 ! Les motifs invoqués persistent: embarras de la voie publique, danger de morsures pour les passants, excès de vitesse d'où collisions et accidents.
S'insérant parmi ces ordonnances du préfet de police, une du 24 juin1822 mérite une mention spéciale. Nous la qualifierons de novatrice car elle ne procède pas par interdiction pure et simple de l'attelage, mais en le tolérant, prescrit des mesures intelligentes de police: muselière qui «devra être constamment attachée à la tête de l'animal et confectionnée de manière à lui laisser seulement la faculté de laper», collier solide garni d'une plaque en métal sur laquelle seront gravés les noms,profession et domicile de son maître, obligation pour le conducteur détenir en laisse les chiens attelés et à l'arrêt, d'attacher « le chien limonier » à une porte, enfin « défense à tout individu de monter dans une voiture attelée de chiens, et même, étant à pied de la conduire en courant! ». | ||
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Deux ans plus tard l'ordonnance du 1er juin 1824 revenait sur ces mesures. Considérant que l'excès de travail auquel l'on contraint ces animaux les irrite, que ces attelages sont une cause permanente d'accidents et «augmentent dans une proportion effrayante les dangers de la rage», que ces charrettes de petites dimensions se glissant entre les autres voitures, occasionnent fréquemment des embarras inextricables, le Préfet de Police interdisait totalement dans Paris, à compter du 1er octobre suivant «la circulation des charrettes, tombereaux et autres voitures tirées par des chiens, quelque soit la profession de ceux qui emploieraient ce moyen de transport».
Ce texte devait inciter les maires de Versailles et d'Amiens à prendre, quelques mois plus tard, des arrêtés similaires d'interdiction. Dans cette dernière ville des usagers au nombre de 18: charcutiers, bouchers, boulangers, etc., adressèrent une pétition au Ministre de l'Intérieur, arguant que si la mesure était possible à Paris, elle était pour le moins anormale à Amiens, ville voisine de deux villes: Arras et Lille où l'attelage des chiens était licite. Ils sollicitaient donc du ministre la faveur de leur accorder « l'ancien usage du transport de leurs marchandises par leurs chiens». Rien ne permet dans le dossier de savoir ce qu'il advint de cette réclamation mais comme il faut attendre la fin du siècle pour que le Préfet de la Somme prenne un arrêté d'interdiction, d’ailleurs transformé un an plus tard en un texte de réglementation, beaucoup moins rigoureux, il est à penser que les pétitionnaires eurent satisfaction tacite.
Dans diverses villes, les maires, en vertu des décrets des 16-24 août1790, 19-22 juillet, 28 septembre-6 octobre 1791, de la loi du 18 juillet 1837, et plus tard de la loi du 5 avril 1884, les chargeant de la police des rues,quais et voies publiques, ainsi que de la police rurale, prirent au cours du XIX° siècle des arrêtés d'interdiction des attelages de chiens. Ces arrêtés seront édictés dans un but de protection du public contre les dangers que ce mode de locomotion entraîne par sa vitesse, son peu de maniabilité et également pour obvier aux « cas spontanés de rage qui peuvent se déclarer chez les chiens, animaux qui ne sont point faits pour un travail de cette nature ». Bien entendu nous ne donnerons pas un relevé exhaustif de ces arrêtés, n'en citant que quelques-uns: Tours (2 mai 1842), Strasbourg (7 août 1845), Charleville (17 septembre1847 et 1' août 1869), Mutzig (8 juin 1850), Angers (18 septembre 1851), Bordeaux (il juillet 1852), Rouen (P' août 1864), Rennes, (25 juin 1868), Thouars (16 juin 1869), Le Mans (29 juin 1885), Marseille (27 avril 1889), Nîmes (1.r mai 1889), Lyon (11 juillet 1898).
Comme nous venons de le constater, la loi confiait aux maires la charge de veiller à la sûreté et à la santé de leurs administrés. En cas de défaillance, ou pour rendre plus efficaces les mesures nécessaires en les généralisant, les préfets étaient appelés à se substituer à eux (loi du18 juillet 1837, art.15).
De nombreux arrêtés préfectoraux au cours des XIXeme et XXeme siècles ont donc vu le jour, sur la question que nous traitons. Portés à la connaissance du public par insertion aux recueils des actes administratifs des préfectures, par voie d'affiches ou par publication à son de trompe ou son de caisse, ils ont été pris quelque fois sous la pression de la nécessité (cas de rage, par exemple dans les Vosges), mais le plus souvent par mesure préventive.
Antérieurement à 1894, il n'existe, à notre connaissance, aucun arrêté portant réglementation de l'attelage mais uniquement ordonnant des mesures d'interdiction totale. Celles-ci figurent sous deux formes, soit en un article inclus dans un texte général traitant des chiens et de leur divagation, soit en un arrêté spécial. C'est ainsi que nous avons recensé des arrêtés généraux pour 27 départements entre 1844 et 1903 et des arrêtés spéciaux pour 32 départements entre 1843 et 1925. Tous interdisent d'atteler des chiens, mais certains précisent « et de leur faire traîner ou porter des fardeaux» (Nord), «de quelque manière
Méfiant de l'esprit subtil de leurs administrés ajoutent que cette défense s'applique quel que soit le véhicule: « charrettes, brouettes ou voitures » (Charente, Charente-Inférieure), enfin certains préfets dont ceux d'Eure-et-Loir, d'Ille-et-Vilaine et de la Meuse augmentent la portée de leurs arrêtés en s'opposant également à l'attelage des chiens « à des voitures traînées à bras ».
Parmi les motifs avancés dans les attendus de ces textes, on relève tout d'abord la nécessité de veiller à la sécurité des usagers des voies publiques. Ces attelages ne sont-ils pas « de nature à effrayer les animaux employés pour les transports », « un danger pour les piétons ».Se déplaçant « à grande vitesse » (sic) ils gênent et entravent « la circulation des chevaux, voitures et automobiles ». D'ailleurs comment n'en serait-il pas ainsi puisque « leurs conducteurs sont dans l'impossibilité de les guider convenablement »
La protection de la santé publique figure également en bonne place parmi les raisons motivant l'interdiction des attelages de chiens.
L'expérience, assure le Préfet des Vosges, a démontré « que pendant la saison des chaleurs, ces animaux ainsi attelés et par courant avec une grande vitesse un espace plus ou moins long, sont plus exposés qu'en toutes autres circonstances à des accès de rage ». Cette idée alors reçue par la fatigue excessive entraînait la rage est explicitée par le Préfet de Seine-et-Marne qui assure « qu'en surexcitant le système nerveux le fait d'atteler les chiens à des petites charrettes peut déterminer l'hydrophobie ». D'ailleurs « la poussière qui s'attache à la langue de ces animaux peut occasionner des maladies de nature à compromettre la santé publique ». Malgré les découvertes de Pasteur, on peut lire dans un arrêté de 1925 du Préfet du Tarn que «la fatigue excessive à laquelle ces animaux sont soumis est de nature à développer chez eux des prédispositions à la rage, surtout pendant la période des chaleurs ».Tant il est vrai que les croyances erronées sont difficiles à extirper de l'esprit humain! | ||
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Les textes législatifs sur lesquels reposent ces arrêtés sont de trois sortes. Tout d'abord ceux traitant des pouvoirs des municipalités et des maires, de l'organisation judiciaire, de la police rurale, de l'organisation départementale et des pouvoirs des préfets: décrets des14-22 décembre 1789, 30 juin-2 juillet 1790, 16-24 août 1790, 19-22 juillet 1791,28 septembre-6 octobre 1791 ; lois des 28 pluviose an VIII, 18 juillet 1837, 5 avril 1884, 21 juin 1898 et décret du 9 octobre 1904; ceux réglant la police du roulage: lois du 30 mai 1851, décrets des 10 août 1852 et 31 décembre 1922; enfin deux lois sur les animaux, celle des 2-9 juillet 1850 et celle du 21 juillet 1881.
Nous nous arrêterons plus spécialement sur cette loi du 2-9 juillet 1850 dite loi Grammont. Relative aux mauvais traitements exercés contre les animaux domestiques, elle ne comporte qu'un article unique: « Seront punis d'une amende de 5 à 15 francs et pourront l'être d'un à cinq jours de prison ceux qui auront exercé publiquement et abusivement de mauvais traitements envers les animaux domestiques».
Ce texte admirable, car il était le premier dans la législation prenant la défense des animaux est en réalité le résultat d'un compromis avec un amendement présenté par le député Defontaine exigeant gravité et publicité pour que des poursuites puissent être entreprises, ce qui n'était pas prévu dans le texte original. Les chiens n'étant pas « des bêtes de somme et encore moins de trait », offrant au surplus trop souvent « le spectacle dégoûtant d'animaux haletants » certains préfets estimèrent que leur attelage était « une exigence abusive » rentrant dans la catégorie des mauvais traitements prévus par cette loi.
Mais la Cour de cassation, à qui avait été soumis par le Ministère public, des jugements de simple police de Castelmoron (Lot-et-Garonne)et de Château-Thierry (Aisne) acquittant des prévenus convaincus d'avoir attelé des chiens à des petites voitures, rejeta ces pourvois en constatant que le seul fait d'atteler un chien ne saurait constituer par lui-même et indépendamment de toute autre circonstance le mauvais traitement abusif que prévoit et punit la loi du 2 juillet 1850. C'est cette jurisprudence que le Ministre de l'Intérieur, dans une réponse à une question écrite posée par un député, Raoul Brandon, en 1936, reconnaissait comme légale. Seuls les abus, mauvais traitements, port de charges trop lourdes, hanchements défectueux seraient éventuellement des infractions répréhensibles. Et pourtant..., dans une circulaire du 26 janvier 1925 le Directeur de la Sûreté générale n'avait-il pas écrit aux préfets ces lignes: « Il m'a été signalé que plusieurs de vos collègues avaient pris des arrêtés en vue d'interdire dans leur département l'utilisation des attelages de chiens.
Je vous serais obligé de vouloir bien examiner s'il ne vous serait pas possible de prendre une décision analogue par application de la loi du 2 juillet 1850 qui réprime les mauvais traitements exercés envers les animaux ».
L'intention était louable mais le texte législatif conseillé certainement inopérant. Par contre, il était possible d'envisager la mesure mais en s'appuyant comme nous l'avons vu, sur les diverses lois chargeant les préfets et les maires de réglementer la circulation sur les voies publiques. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle cette fois la Cour de cassation,dans ses arrêts du 2 avril 1897, 7 mai 1898 et 6 juin 1908 considéra comme légaux des arrêtés des préfets du Nord et du Finistère interdisant ou réglementant l'attelage des chiens.
Ainsi que nous l'avons constaté la puissance publique avait été amenée à maintes reprises à interdire l'attelage des chiens, le plus souvent pour des raisons de préservation de l'ordre ou de la santé publique, mais seule la loi du 2 juillet 1850 s'était penchée sur le sort des animaux en vue de leur assurer une protection. | ||
Vers la même époque des hommes de coeur constituèrent un groupement qui prit le nom de Société protectrice des animaux.
Ses statuts furent déposés le 12 décembre 1855 et son action, qui se révéla bénéfique, s'exerça notamment dans la lutte contre les sévices, hélas fréquemment exercés à l'époque contre les chevaux. Bien que dans la première année de son Bulletin figurât un article traitant de l'attelage canin, il ne semble pas que jusqu'à la fin du siècle la Société se soit particulièrement préoccupée de cette question. Certains de ses membres émirent même, à titre personnel il est vrai, des opinions favorables au principe à ce type d'attelage. « Ne vaut-il pas mieux voir un animal robuste traîner un véhicule que de voir le même travail accompli par une femme exténuée ou par un jeune enfant » écrit l'un d'eux. De son côté un autre membre, Félix Sorel, estime « qu'il y a quelque chose d'élevé dans cette association du chien dans le travail de l'homme», (Nord); d'un jugement du Tribunal de simple police de Concarneau (Finistère); d'unjugement du Tribunal de simple police de Solesmes (Nord) (B. des arrêts de la Cour de Cassation, 1897, p. 186; 1898, p. 334; 1908, p. 451).
Par contre, en Belgique, peut-être d'ailleurs par le fait que l'utilisation des chiens était très répandue, | CPA Collection LPM 1900 | |
l'association soeur, la Société royale protectrice des animaux, traita fréquemment de cette question, instituant même un concours, en 1876, pour rechercher les améliorations à apporter au mode de traction par les chiens et à reconnaître les races de chiens les mieux adaptées à ce genre de service. Quelques années plus tard, le Congrès des sociétés protectrices des animaux, réuni à Bruxelles en1880 devait prendre une position précise sur l'attelage: « Le chien n'est pas destiné par sa nature à servir comme animal de trait le Congrès demande que l'on provoque lois et règlements pour empêcher ou atténuer les maux qui en découlent ».
Il faut remarquer que parallèlement des syndicats, groupements, sociétés prenaient des positions diamétralement opposées proposant de développer la traction canine en améliorant les modes d'attelage et plus spécialement les races de chiens. Un ouvrage d'un vétérinaire de ce pays, Ad. Reul, professeur de zootechnie à l'Ecole de médecine vétérinaire de 1'Etat, a fait, en 1899, la synthèse de ces idées, idées reprises en France au moins partiellement dans les premières années du xx siècle comme l'on été également les textes législatifs réglementant ces questions en Hesse, en Hanovre, en Wurtemberg et en Prusse rhénane. En effet dans les régions sud de l'Allemagne on préféra de bonne heure aux interdictions totales ayant cours alors en France une législation restrictive: interdiction au conducteur de s'asseoir dans les voitures, réglementation de la vitesse, enfin obligation du port de la muselière et d'un hanarchement correct.
Ce sont les exemples belges et allemands que divers tenants de l'attelage canin tels le vétérinaire militaire, E. Aureggio, Paul Mégnin, Cyrille de Lamarche proposaient aux autorités administratives. | ||
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Cependant la Société protectrice des animaux amplifiant son opposition à tout emploi de chien publiait, en 1909, sous la signature d'un de ses administrateurs, Paul Marmottan plus connu comme écrivain d'art et fondateur d'un hôpital - une brochure intitulée: La question de l'attelage des chiens en France, brochure diffusée plus spécialement auprès des préfets et sous-préfets.
En dehors des actions individuelles des membres de la Société, il y eut de nombreuses démarches auprès du Ministère de l'Intérieur dontmalheureusement il n'est plus possible de retrouver trace, les archives du 31 Bureau de la Direction de la Sûreté générale ayant été détruites avant tout versement aux Archives Nationales.
Cependant, une circulaire datée du 30 décembre 1913 et dont nous avons retrouvé un exemplaire, fait état de cette action de la Société,demandant «l'interdiction des attelages de chiens sur tout le territoire de la République». Le Ministre pourtant afin «d'examiner la question en connaissance de cause» prescrivait une enquête dans les départements à l'aide d'un questionnaire sur les points suivants: existence d'arrêtés interdisant l'attelage, observation ou non de ces prohibitions; d'arrêtés le réglementant; possibilité de suppression immédiate ou à temps. Le dossier groupant les réponses des préfets n'existe plus mais, fort probablement du fait des événements de 1914, l'enquête n'eut aucune conclusion.
Vingt-cinq ans plus tard, une circulaire du 20 janvier 1936, du Ministre de l'Intérieur, faisant état des protestations des sociétés protectrices des animaux précisait la position de son Administration sur la question: l'utilisation des chiens comme bêtes de trait ne peut avoir qu'un caractère exceptionnel, être «exclusivement réservée aux mutilés et aux infirmes » lorsqu'il s'agit de transport des personnes et n'être pratiqué pour le transport des marchandises «que par les personnes dignes d'intérêt par leur âge, leur situation de famille ou leur indigence,ou qui n'auraient pas d'autres moyens d'exercer leur profession». Il était enfin précisé que tout excès, mauvais traitements, fatigues excessives devraient être réprimés comme infraction à la loi de juillet 1850. | ||
Il était en outre précisé aux Préfets chargés de prendre les arrêtés nécessaires, de tenir compte des usages locaux. Ajoutons qu'un parlementaire ayant demandé au même Ministre de l'Intérieur, en cette année 1936, s'il ne croyait pas devoir prendre «par toute la France, des dispositions par voie d'instruction générale» pour faire cesser les abus regrettables de l'attelage canin, il lui fut répondu qu'il «s'agissait d'une question locale qui ne pouvait être réglementée que par les préfets et les maires en tenant compte des coutumes régionales».
Cependant le débat institué entre les tenants et les opposants de l'attelage, l'exemple des pays voisins, et en particulier de l'Allemagne,devaient porter leurs fruits. A partir de 1894 apparaissent les premiers arrêtés prévoyant non plus interdiction mais réglementation. Celle-ci portait en réalité sur le conducteur, tenant compte de sa situation de fortune, de ses infirmités et de l'exercice d'une industrie ou d'une profession utile. Des autorisations personnelles et révocables pouvaient donc, sur avis des maires, être accordées par les préfets, autorisations que l'on pourrait assimiler à des permis de conduire. Ce fut le cas pour les départements de la Loire-Inférieure (1894), de la Lozère et du Loiret(1895), des Côtes-du-Nord, de la Creuse, de l'Indre et de la Vienne (1896), de l'Aisne (1897).
Il est à penser également que dans bien des cas les | CPA Collection LPM 1900 | |
arrêtés d'interdiction plus ou moins observés étaient tombés en désuétude et que par le biais de cette réglementation on espérait aboutir à un meilleur résultat.
Il nous faut aussi constater que ces textes ne donnaient aucune protection aux animaux. Certes l'ordonnance du préfet de police de Paris, du 24 juin 1822, avait bien prévu pour la capitale l'interdiction pour les conducteurs de monter dans les voitures, l'obligation pour ceux-ci de conduire à pied par la laisse les attelages et de museler les chiens tout en leur laissant la possibilité de laper mais ce texte vite abrogé ne fut pas exemplaire... en France.
Par contre, ces prescriptions se retrouvent dans une ordonnance du roi de Hanovre de 1861, dans divers règlements de police de la ville de Kassel (1875, 1887) et en Alsace et en Lorraine alors occupées, dans des ordonnances des présidents des cercles de Haute-Alsace (1888) et de Lorraine (1896). | ||
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Ce sera seulement vers la fin du XIXeme siècle que tant en Belgique qu'en France on en vint à réglementer l'utilisation des chiens comme bêtes de trait. La plupart des textes pris en ce sens continuèrent cependant à exiger des futurs conducteurs la sollicitation d'autorisations personnelles, sauf dans quelques départements où cette formalité fut jugée inutile: Loir-et-Cher, Loiret (1900), Nord, Meurthe-et-Moselle (1903), Meuse, Pas-de-Calais (1905), Territoire de Belfort (1912), Doubs (1914).
Il est cependant significatif que cette mesure libérale fut rapportée dans le département du Nord par arrêté du 21 avril 1914 qui exigeait ces autorisations préalables. La Grande Guerre ayant fait mettre en sommeil son application, le Préfet pensa pouvoir le renouveler et même restreindre son champ d'application aux seuls mutilés, victimes de la guerre et du travail (29 juin 1925). Un mois plus tard il était obligé de revenir sur sa décision (24 juillet 1925) en incluant « les personnes qui font le transport du lait, des denrées d'alimentation et des journaux ».
Le premier arrêté réglementant l'attelage non tant en fonction des conducteurs, mais des chiens, a été pris par le préfet de la Somme le9 mai 1899, il fut suivi peu après de textes plus étendus dans les départements du Loir-et-Cher (1900), du Loiret (1900) et surtout du Nord (1903). C'est en définitive ce dernier arrêté qui servira de modèle, à quelques modifications près, aux autres préfets soit directement, soit indirectement. Ces prescriptions concernent les chiens eux-mêmes, leur harnachement, les véhicules et leur conduite.
Les chiens devront avoir une taille minimum de 50, 55 ou 60 cm, mesure prise au garrot ou à l'épaule, n'être ni malades, ni infirmes,ni trop jeunes, avoir plus de 18 mois est-il même parfois précisé, ni trop âgés. Seront écartées les chiennes en feu, pleines ou allaitant.
Le harnachement sera conçu de manière à éviter toute blessure et se fera à l'aide d'une selle ou sellette adaptée à ce genre de service, d'une bricole en tresse moulant le poitrail et retenue au garrot, d'une sangle ou d'une lanière en cuir souple d'au moins 5 cm de large, munie de deux traits ayant au moins un mètre de longueur, ceci afin de permettre au chien à l'arrêt de se coucher. La tête du chien dépassera seulement de sa longueur le timon ou le brancard et en cas d'emploi de plusieurs chiens attelés de front, d'ailleurs au nombre maximum de deux ou de trois, ceux-ci seront reliés par des chaînettes de0,30 m de longueur munies de porte-mousquetons à pivot fixés au collier.
Les charrettes devront comporter un frein et un support abaissable à l'arrêt, permettant ainsi aux chiens de se coucher. Une plaque sera fixée au véhicule indiquant le nom et le domicile du propriétaire. Le brancard gauche comportera à son extrémité un anneau auquel il sera possible d'attacher la chaîne ou la laisse pendant les stationnements.
Les conducteurs, en dehors des qualifications dont nous avons déjà parlé, devront être âgés de 14 et même 16 ans, ne pas battre ni maltraiter de quelque manière que ce soit leurs animaux, ne pas leur infliger de trop long parcours ni surtout ne pas leur faire prendre une trop grande vitesse. Ils devront ne pas laisser stationner leurs chiens au grand soleil, être munis d'une écuelle pour les faire se désaltérer et de couvertures, paillassons ou toute autre litière convenable pour, en cas de neige ou pluie, qu'ils puissent ne pas rester couchés dans la boue.
Il leur est rarement permis, à l'exception des mutilés et infirmes, de monter dans leur véhicule même vide et ils doivent, quand cette possibilité leur est accordée, prendre ou faire prendre dans les agglomérations la tête de l'attelage. Il est même spécifié en Loire-Inférieure que dans le cas d'utilisation par des invalides, le véhicule devra comporter trois roues afin que les chiens n'aient aucun poids à supporter sur leur échine. | ||
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La charge, lorsqu'il s'agit de charrettes à deux roues, devra être bien équilibrée, ne pas dépasser, en certains départements, 70 kg, voiture comprise, n'être pas, dans le département du Nord, supérieur à 50 kg lorsque le chien est attelé entre brancard et 250 kg dans les autres cas. Le préfet d'Eure-et-Loir avait même précisé que « le poids total du ou des chiens ne pouvait être inférieur au tiers du poids de la charge totale à véhiculer ».
Enfin l'attelage pourra être effectué à des brouettes ou à des voitures à bras. Celles-ci devront être munies de crochets d'attache pour les traits placés de manière à ce que les chiens ne puissent s'engager sous les roues ou être blessés par elles mais leur permettre de se coucher ou se relever au repos. La hauteur de ces véhicules devra être suffisante pour que le dos des animaux ne soit pas heurté, il y aura un frein et des supports basculants.
Le passage de l'interdiction à la réglementation ne s'effectua pas toujours sans des oppositions entre administrés et administrateurs. D'une manière générale les préfets auraient opté plus volontiers pour l'interdiction, sous toutes ses formes, alors que les populations et les conseillers généraux les représentant étaient pour la tolérance ou à défaut la réglementation. Il ne faut pas se dissimuler cependant que bien des arrêtés d'interdiction restèrent peu ou pas appliqués. Nous en avons rencontré maints exemples et nous n'en citerons que la Dordogne, le Morbihan où pratiquement l'arrêté même de réglementation de 1911 n'était pas appliqué, pas plus d'ailleurs qu'antérieurement l'arrêté d'interdiction de 1856. Le préfet de ce département n'écrivait-il pas au Commandant de gendarmerie de Vannes, en 1890, pour lui signaler que « les dispositions de cet arrêté semblaient avoir été perdues de vue ». Le préfet d'Indre-et-Loire de son côté répondait, en 1925, au Ministre de l'Intérieur que « pour tenir compte des habitudes invétérées existant parmi la population d'une certaine partie du département » il avait du recommander à la gendarmerie d'appliquer l'arrêté d'interdiction de 1894 « avec modération ». C'est pourquoi il est difficile de connaître dans la réalité l'existence ou l'inexistence des attelages et que là encore des nuances existent entre le pays légal et le pays réel! Les préfets donnent en cette matière d'autres exemples de souplesse en prenant des arrêtés soit d'interdiction, soit de réglementation, puis en agissant en sous-main tant auprès de la gendarmerie que des procureurs de la République, en leur demandant d'user « de tolérance temporaire »! Nous avons relevé des exemples précis en Haute-Saône,en Gironde, en Indre-et-Loire, dans l'Eure, etc., sans compter naturellement les interventions orales, n'ayant pas laissé de trace!
Les Conseils généraux à maintes reprises, de leur côté, intervinrent avec d'ailleurs beaucoup de jugement: « Ne vaut-il pas mieux faire travailler les chiens que de laisser s'éreinter les gens », s'écrie un conseiller général du Nord en 1902. Qu'on réglemente l'attelage, que l'on veille au bon équilibre du véhicule, que les brancards soient horizontaux, que les roues soient proportionnelles à la taille du chien, qu'il y ait un frein aux voitures, écrit le Directeur de J'Ecole nationale vétérinaire d'Alfort, E. Barrier, en 1900, au préfet du Loir-et-Cher qui lui avait demandé une consultation, mais à quoi bon « interdire le transport des personnes de telle ou telle catégorie »! Cette idée, qui fut appliquée en Allemagne, était exposée au Conseil général de Seine-et-Marne dans la séance du 28 septembre 1920 sous cette forme très claire : « Nous ne comprendrons guère comment les chiens appartenant à des personnes âgées ou infirmes pourraient seuls être attelés car il n'y a pas à apprécier l'état du propriétaire mais bien celui de l'animal »!
Lorsque dans certains départements, tel celui de la Vienne, il fut admis que certaines maladies facilitaient l'octroi des autorisations, il y eut floraison parmi les demandeurs d'emphysème, tachycardie, rhumatismes, arthrite, hernie! Ailleurs on fit valoir en outre d'autres considérations. Une autorisation n'est-elle pas accordée à un cultivateur d'Arbanats (Gironde) atteint de rhumatismes certes, mais « brave homme, un de nos vieux républicains »!
De son côté, comme nous avons pu le constater, le Ministère de l'Intérieur était, malgré les sollicitations de la Société protectrice des animaux et de la Ligue protectrice des animaux, favorable à la tolérance ou tout au moins à la réglementation. En 1895, il rappelle à l'ordre le Préfet de la Lozère trop zélé, qui ayant mal interprété un texte, a été amené à prendre un arrêté restrictif. Dans le département de la Marne, à la suite d'une plainte d'un sieur Galley, chiffonnier, à qui une dérogation avait été refusée, le Ministre de l'intérieur demande au préfet d'atténuer son arrêté d'interdiction, « par voie de permissions spéciales et individuelles lorsque l'exercice régulier d'une industrie ou d'une profession utile et la situation des intéressés justifient cette mesure ». Galley, plaignant et vainqueur, obtint son autorisation en 1904, c'est-à-dire l'année suivante mais jusqu'en 1909 on ne l'oublia pas Comme on dit familièrement la gendarmerie l'avait à l'oeil! A chaque fois qu'une infraction, la plus minime soit-elle, pouvait être relevée, un procès-verbal était dressé et la brigade triomphante signalait le fait au Commandant de gendarmerie de Reims, qui adressait la bonne nouvelle au sous-préfet de cet arrondissement qui, à son tour, transmettait à la Préfecture! Bel exemple de rancune administrative | ||
CPA Collection LPM 1900 | ||
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