LES MEUBLES NORMANDS
   
  ARMOIRES LOUIS XVI
         
 

LA NORMANDIE ANCESTRALE

Ethnologie, vie, coutumes, meubles, ustensiles, costumes, patois

Stéphen Chauvet.

Membre de la Commission des Monuments historiques

Edition Boivin, Paris.1920

 
         
 

Armoires Louis XVI.

 

Les armoires Louis XVI sont assez semblables, dans l'ensemble, aux précédentes. Encore plus élégantes et plus galbeuses, — les plus belles se rencontrent dans le Cotentin, — elles ont deux grandes portes divisées en deux par un panneau oblique recouvert de sculptures.

 

Les motifs décoratifs qui ornent l'encadrement des portes de ces meubles sont : la perle, le ruban torsadé, les entrelacs, les raies de cœur, ou de simples cannelures. Ceux qui ornent, en relief, le panneau oblique, représentent souvent une corbeille de fleurs d'où partent des rubans onduleux. Le fond du panneau est parfois quadrillé ou piqueté. Le montant vertical qui sépare les deux portes est orné de fleurs, de branchages ou d'imbrications de feuilles de lauriers stylisées.

 

A la partie supérieure de ce montant vertical ou pilastre se trouve généralement un motif décoratif, qui s'applique en partie au devant de la corniche et qui représente tantôt une corbeille de fleurs, tantôt deux pigeons entourés dune couronne de feuillages.

   
         
 

La corniche, qui a moins d'étages que celle des armoires Louis XIV, est généralement cintrée et sculptée. Autour de chacune des serrures de chaque porte, est appliquée, dans la plupart des cas, une longue bande de cuivre jaune ajourée et ciselée. Les pieds sont cintrés et parfois adornés de volutes. Les montants latéraux de l'armoire sont souvent arrondis et sculptés.

 

Les armoires Louis XVI sont souvent ornées, au niveau du petit panneau intermédiaire [oblique], de flambeaux entrecroisés. Parfois aussi, sur ce petit panneau médian des portes se trouvent des accessoires champêtres : chapeau de paille à grands bords, râteaux, flûtes, etc.. ou bien une corbeille de Heurs; celle-ci peut être remplacée par une corbeille d'où s'échappent des épis de blé. Certaines armoires portent aussi, soit au-dessus des portes, soit sur le panneau médian de chacune d'entre elles, un ou deux cœurs accolés. Nous avons dit qu'il se trouve parfois sur les armoires Louis XV, à la partie interne du bord supérieur des portes • un pélican », c'est-à-dire un motif de sculpture saillant, qui dépasse la limite supérieure de la porte et qui représente soit un bouquet de fleurs, soit un panache de feuilles d'acanthe. Ce « pélican » qui est très inconstant sur les armoires Louis XV, est presque de règle pour celles de style Louis XVI. Enfin, dans le bas de l'armoire, on rencontre, assez fréquemment, des draperies sculptées. Les diverses caractéristiques énumérées ci-dessus sont, en général, particulières aux armoires Louis XVI. Il faut savoir, cependant, qu'il est bien souvent très difficile, sinon impossible, de dire si une armoire est de style Louis XV ou Louis XVI. A fortiori, il est tout à fait impossible de savoir si une armoire est de l'époque Louis XV ou Louis XVI.

 

En effet, outre l'imbrication des styles, il est certain que, pendant la période dite Louis XVI, les vieux artisans des petits centres ont continué à construire des armoires d'après des cartons de dessins Louis XV qu'ils avaient dessinés dans leur enfance.

 

Quoi qu'il en soit, il importe de se rendre compte que les motifs de sculptures ci-dessus signalés ne sont pas figurés au hasard. Ils sont d'un symbolisme charmant et il y aurait une étude fort intéressante à faire sur ce sujet. L'armoire, qui était le meuble le plus important du nouveau foyer qui venait de se fonder, représente tantôt les attributs du mariage (flambeau de l'hyménée, carquois et flèches, cœurs entrelacés, colombes se bécotant), tantôt les symboles de la prospérité agricole qui était souhaitée et nécessaire au nouveau foyer (corbeilles de fleurs, épis de blé , accessoires des travaux champêtres : chapeau, outils, flûtes, etc..)

 

En outre, certaines armoires portent une date qui est celle de la fabrication et, parfois, des initiales qui sont, soit celles des nouveaux époux, soit celles de l'artisan qui construisit l'armoire sur commande, pour les futurs mariés, lorsqu'ils n'étaient « qu'accordés ». Lorsque les initiales de l'artisan sont suivies d'un cœur et d'une date, cela signifie que cet artisan a construit l'armoire « de tout son cœur » pour les nouveaux époux, en l'année indiquée.

 

Enfin, les pentures qui ornent l'entrée des serrures des armoires Louis XVI et les gonds, sont généralement en cuivre, qui est plus facile à travailler que le fer.

 

On peut remarquer que, d'une façon générale, le XVIII e siècle fut le siècle des armoires en Normandie. Pendant ce siècle, l'armoire était devenue le meuble le plus courant de tout intérieur normand, et il n'était pas d'intérieur paysan, si modeste fût-il, qui n'eût son armoire plus ou moins belle. L'époque Louis XVI marque l'apogée et la fin des belles armoires normandes.

 

Il est à noter que pendant ce siècle et même au cours du siècle précédent, il existait également dans de nombreux intérieurs, d'autres meubles, assez proches parents des armoires. C'étaient ce qu'on pourrait appeler « des placards-armoires ou placards-buffets », c'est-à-dire des enfoncements pratiqués dans l'épaisseur des larges murailles et « qui étaient clos par des portes d'armoires ou de buffets retenues par un encadrement de bois fixé autour du placard ».

 

Enfin, pour en revenir à la fin de l'époque de Louis XVI, il faut rappeler qu'à ce moment, on commença à construire les premières commodes; mais celles-ci ne furent guère adoptées dans les campagnes normandes. Elles furent plutôt des meubles de ville. Elles n'avaient d'ailleurs aucun caractère normand particulier, même lorsqu'elles étaient faites en Normandie, et présentaient toujours le style général de cette époque.

 

Cependant, au début du XIX e siècle, on a construit, dans la Manche, un assez grand nombre de petits meubles spéciaux qui sont comme des demi-buffets, munis de pieds cintrés et de portes ornées de moulures et de sculptures rappelant le style fin Louis XV. Ces meubles sont parfois munis de deux tiroirs supérieurs et peuvent être alors désignés sous le nom, assez impropre d'ailleurs, de Buffets commodes. La traverse inférieure de ces petits buffets, est découpée en arcades moulurées, et porte, de plus, des sculptures fort simples. Ces meubles, qui ne sont pas spéciaux à la Normandie, sont généralement en chêne ou en hêtre, rarement en noyer.

 

Au début du XIX e siècle, on fabriqua, en outre, dans le bas Cotentin, de grandes armoires plates, fort simples au point de vue des sculptures et munies de gonds et de pentures en cuivre. Ces armoires, très souvent construites en hêtre ciré, ont deux grandes portes, formées chacune d'un seul grand panneau dont les limites supérieures et inférieures sont obliques. Il n'y a pas de traverses sculptées, obliques, à la partie médiane.

 

Après la Restauration, survint une véritable décadence dans les meubles normands en général, et l'armoire en particulier. Le genre : armoire normande, à proprement parler, armoire de chêne, sobrement, mais harmonieusement sculptée, ne doit donc comprendre que : les armoires Louis XIII, Louis XIV, Louis XV et Louis XVI. L'Empire a, par conséquent, marqué la fin des véritables armoires normandes à styles caractéristiques.

 

D'une façon générale, l'armoire et le rouet étaient les deux meubles principaux que la nouvelle mariée apportait dans son foyer. Comme nous l’avons déjà dit, on les transportait vers la ferme qui devait être occupée par les nouveaux époux, dans une charrette, un tombereau ou un « charreti ». La jeune mariée prenait place dans le véhicule, à côté de ses meubles. Le mari conduisait l'attelage. Les parents et amis caracolaient ou marchaient à côté de cet attelage, L'armoire renfermait tout le trousseau dont la mariée et le ménage pouvaient avoir besoin pendant toute leur vie : robes de droguet, châles de toile imprimée ou de soie, bonnets, chemises de toile de lin, draps, mouchoirs (par douzaines), etc.. Cette abondance de linge explique que les vieilles Normandes ne faisaient leur lessive qu'une ou deux fois par an. Le linge était lavé et tapé au « douit » ou à la rivière et mis à sécher au soleil, sur les prés. Puis il était repassé et plié clans l'armoire. Quelques bouquets de lavande abandonnaient leur odeur suave et fraîche à ce beau linge, lavé sans produits chimiques, et qui avait gardé de son séchage sur l'herbe, une délicieuse odeur de prés ou de fenaison.