DUCHESNE-FOURNET,

Pierre (1880-1965)

En Afrique Occidentale :

Sénégal Soudan

Niger - Basse-Guinée :

Conférence faite à la Société

de Géographie Commerciale

par M. A. Duchesne-Fournet (1909).

 

Notre distingué concitoyen, M. Pierre Duchesne-Fournet, a fait le mardi 17 novembre, à la Société de Géographie Commerciale, une remarquable conférence sur sa mission récente eu Afrique Occidentale.

 

D'intéressantes projections ont permis aux auditeurs de suivre les différentes péripéties du long et fatigant voyage du conférencier dont le rapport des mieux documentés sur la situation économique et commerciale des régions parcourues, fournira d'utiles et précieux renseignements.

 
 
       
 

Nous sommes heureux de reproduire quelques-unes des photographies prises par l'explorateur.

 

Voici résumés ci-dessous les principaux passages du très intéressant compte-rendu de M. Duchesne-Fournet dont le voyage s'est effectué entièrement dans les territoires français de l'Afrique Occidentale, vaste domaine englobant des peuplades très différentes et d'anciens royaumes en lutte permanente, mais aujourd'hui pacifié, sauf au nord en Mauritanie, au sud aux confins du Libéria, et dans lequel on peut circuler sinon sans difficultés du moins sans danger.

 

M. Duchesne-Fournet a quitté Bordeaux, à la fin de décembre, pour Dakar, où il débarquait après sept jours de voyage. La ville de Dakar est dans la période de formation et présente peu d'activité et de commerce. A une vingtaine de kilomètres est Rufisque, ville commerçante et active. Toute cette partie du pays, le Cayor, est intéressante, et donne l'impression de richesse. La culture des arachides, si merveilleusement appropriée au climat et aux aptitudes de la population, constitue l'une des principales richesses du Sénégal. Sur 45 millions d'exportation, en 1907, pour le Sénégal, chiffre comprenant les produits venant du Soudan, les arachides entrent pour 25 millions.

 

Après un court arrêt à Thiès, où les palmiers sont en abondance, et les troupeaux de bœufs fort nombreux, l'explorateur se dirige, par la ligne du chemin de fer qui traverse des centres commerciaux importants pour l'arachide vers Saint-Louis, vieille capitale du Sénégal, ville d'aspect européen, mais sale et peu agréable.

 

C'est encore, dit le, conférencier, un centre commercial très actif puisque c'est le départ de la navigation fluviale sur le Sénégal ; malheureusement à l'entrée de ce fleuve il y a une barre qui en rend l'entrée difficile et les vapeurs qui montent directement à Kayes aux hautes eaux allègent à Dakar parfois la moitié de leur cargaison qu’ils chargent de nouveau à Saint-Louis où le chemin de fer les a transportées.

 
 

 

 
 
 
 
 
 

Les vapeurs longs courriers, venant directement de Bordeaux peuvent remonter jusqu'à Kayes, à 900 kilomètres environ de Saint-louis, que pendant deux mois de l'année, aux hautes eaux ; le reste du temps, le transport se fait par bateaux à fonds plats ou par chalands, dans des conditions coûteuses....

 

On ne petit faire le commerce an Soudan qu'avec des capitaux considérables ; d'ailleurs les marchandises d'exportation ne pourront redescendre que l'année suivante ; par suite, le commerçant qui aura engagé de l'argent dans un envoi de marchandises au Soudan ne le retrouvera sous forme de marchandises d'exportation que 18 mois après environ.

 

Aussi ne trouvons-nous pas au Soudan cette quantité de petits commerçants ou d'acheteurs à commission qui existent au Sénégal ; il n'y a d'ailleurs pas de banque commerciale ; par suite de cette intermittence de moyens de communication on ne peut avoir de traites escomptées sur le Soudan. Une banque qui warranterait des marchandises pourrait toutefois rendre des services, mais rien n'a encore été tenté dans ce sens.

 

C'est par la voie du Sénégal que la caravane va gagner le Soudan.

 
 

 

 
 
 
 

La culture des arachides CPA collection LPM 1900

 
 

 

 
 
 
       
 

La vallée du Sénégal, longue de 9110 kilomètres jusqu'à Kayes, est peu intéressante aussi bien au point de vue économique qu'au point de vue pittoresque. Arrêtés à Bakel par les basses eaux, auprès du barrage de Werma, les voyageurs parmi lesquels se trouvaient, avec M. Duchesne-Fournet, un médecin américain, M. Parveil, et M. Jean Dideville, chargé de mission par le Ministère de l'Instruction publique, sont forcés de quitter le bateau pour prendre la voie de terre.

 

Il faut s'organiser pour entrer en brousse, se procurer des chevaux, - ceux-ci rappellent les chevaux barbes du Maroc, - des porteurs, à défaut de bœufs très difficiles à se procurer. Une vingtaine de porteurs, qui divisent les bagages en colis de 20 à 30 kilos, sont recrutés et l'on se met en route. Les voyageurs traversent des villages où de mémoire d'homme, aucun Européen n’a jamais passé ; les indigènes les regardent curieusement, béatement, et c'est à grand peine qu'on obtient les renseignements nécessaires pour se procurer un guide et se diriger.

 

De Bakel, les voyageurs se dirigent par la vallée de la Falenie. On fait 30 à 40 kilomètres par jour ; on campe auprès d'un village ; on part de très bonne heure et on fait l’étape d'un trait avant midi ; l’après-midi est consacré à la chasse. On couche toujours en plein air et on repart le lendemain matin. Par cette saison brûlante - il n'a pas plu depuis cinq mois – l’air est tellement sec qu’on fait jaillir des étincelles chaque fois qu'on froisse un vêtement de laine.

 

En approchant de la Falenie, le pays est plus riche et plus peuplé. Après quatre jours de marche, on arrive à Sénoudébou, sur la rivière Falenie ; le village domine le fleuve, la végétation est très abondante et le pays giboyeux. Les lions viennent jusque dans le village chercher des bœufs. C’est dans ce village que M. Duchesne-Fournet a vu les danses les plus intéressantes.

 
     
 
 
 

Dakar le marché. CPA collection LPM 1900

 
 

La danse est en effet, dit-il, la seule forme d’art que connaissent les nègres. Toutes les femmes adorent la danse. Les musiciens sont des Griots, caste spéciale ; ils sont poètes, beaux parleurs, sycophantes à la fois méprisés et aimés. Les grands chefs noirs les avaient domestiqués et les payaient pour chanter leurs louanges. C'était un moyen d'exercer une influence efficace. Les femmes et les filles des Griots sont des danseuses professionnelles, pour ainsi dire, elles dansent avec infiniment d'art et de tenue, au son d’une musique monotone et très rythmée.

 

On donne le tam-tam généralement le soir art clair de lune ; avec les étoffes voyantes qu’affectionnent les nègres, l’ensemble est des plus pittoresques.

 

Remontant la Falenie jusqu'au village de Nussira, les voyageurs continuent leur route à travers le Bambook, région fertile et d'avenir, d'abord par ses parties très riches, ensuite par ce que le chemin de fer de Thiès à Kayes va le traverser et enfin par la production d’or (de Galam) qui s'exporte partout et qu'utilisent les forgerons de Kayes et de Saint-Louis pour la monture de curieux bijoux.

 

Des entreprises européennes sont prévues dans le Bambook. Les voyageurs reviennent ensuite à Kayes, tête de ligne du chemin de fer pénétrant dans la vallée du Niger, après avoir traversé Bamako, siège du gouvernement du Soudan ; Koulikoro, points de transit importants qui reçoivent des marchandises venant soit de la direction de Tombouctou, soit de la Haute-Guinée. Dans toute cette région, l'arbre qui domine est le karité, dont la noix fournit un beurre dont les indigènes tirent parti et que l’on commence a exploiter en Europe.

 
 

 

 
 
 
 

Arrivée du griot au village. CPA collection LPM 1900

 
 

 

 
 

MM. Duchesne-Fournet, le docteur Parveil et Dideville quittent Bamako et se dirigent vers le sud, après avoir pris plusieurs chevaux de rechange et une trentaine de porteurs (ces derniers leur ont, d'ailleurs, en grande partie faussé compagnie au cours du voyage : cette question des porteurs complique beaucoup les voyages dans la brousse).

 

La plaine du Niger qu'ils parcourent est assez triste et peu fertile. De temps en temps, quelques parties boisées égayent un peu le paysage ; le sol est généralement pauvre, gravier et cailloux roulés, car le sous-sol est formé de latérite ; sur certains plateaux, se rencontrent des termitières en forme de champignons d'aspect très étrange.

 

Les voyageurs, après trois jours, arrivent à Kangaba, gros village dont les murailles sont en ruines, comme tous les villages de cette région qui ont du se défendre contre Samory. Ses habitants appartiennent à la race Malinké ; ils ne sont pas musulmans. Ils sont très friands d'une boisson fermentée, le Dolo, faite avec le miel et dont ils se grisent régulièrement tous les deux ou trois jours.

 

La plaine du Niger, quittée à Kangaba, les voyageurs se dirigent vers la montagne en suivant le Koba ; le paysage est plus gai et l'on commence à sentir l'agréable parfum des lianes à caoutchouc. Puis, c'est l'arrivée au village de Kara, mais sans les porteurs de bagages qui avaient sans doute bu trop de Dolo ; ensuite, à Marena, assez gros village où l'on file et tisse le coton dont les champs assez nombreux bordent la route. De beaux arbres s'élèvent au milieu de ce village dont les cases paraissent assez confortables.

 
         
 
 
     
 

Suivant le pied des montagnes pendant deux ou trois jours, les voyageurs arrivent à Balankoumana, à Nougagni, traversent le Konkoro, affluent du Bakoy et, quittant le bassin du Niger, pénètrent dans celui du Sénégal. Le Kokoro sépare la colonie du Soudan de la Haute Guinée.

 

Le pays est toujours très accidenté ; on commence à trouver de l'eau un peu partout.

 

Nous sommes maintenant, dit le conférencier, dans le Bouré. Cette région est aurifère. Les indigènes creusent des puits profonds de 8 à 10 mètres parfois et très peu larges, ils y descendent sans corde, grâce à des entailles ménagées sur les parois. Ils mettent l'alluvion aurifère dans des petits paniers qu'un aide remonte à l'aide d'une corde. Les femmes pressent alors la terre aurifère et la lavent dans des calebasses : c'est un mode d'exploitation un peu primitif qui a l'avantage de n'avoir que des frais généraux peu élevés.

 

Les villages de Bimbetta, Mansala, Dalaban où il y a une mission aurifère Fatoya, où il y a également une mission aurifère, de la Compagnie minière de Guinée, sont ensuite traversés. Partout l'accueil est cordial. A Siguiri, poste situé sur le Niger, arrêt de deux jours pour les réapprovisionnements et le changement des porteurs.

 

Puis on repart le long du Tinkisso, toute la région est riche, bien cultivée et produit du riz.

 

A Ouran, dit M. Duchesne-Fournet, nous traversons la rivière Tinkisso dont les eaux sont encore hautes à cette époque de l'année, les chevaux n'y ont pas pied. Puis nous retraversons une seconde fois la rivière qui fait un coude assez prononcé et nous nous arrêtons à Béléba, dans le voisinage duquel se trouvent les dragues de la Société aurifère de Tinkisso. Le directeur de l’exploitation, M. Lang, nous reçoit très aimablement et nous fait visiter ses dragues. C'est actuellement la seule société qui exploite en Haute Guinée ; les autres sociétés qui existent n'ont là-bas que des missions qui prospectent le pays pour voir s'il y a assez d'or pour rémunérer une exploitation.

 

A Béliba nous quittons les rives du Tinkisso et nous allons vers Didi où il y a également une mission de prospection. Le pays est toujours montagneux et très pittoresque.

 
     
 

C'est dans cette partie de la Haute Guinée, dans cette brousse sans habitants, qui s’étend au delà de Didi et qui semble n'avoir jamais été habitée, que M. Duchesne-Fournet eut la douleur de perdre son ami et compagnon, M. Dideville, mort victime d'un accident.

 

Cette région est très riche en gibier de toute sorte : nous y avons trouvé, dit le conférencier, plus de onze espèces d'antilopes, depuis le grand élan du Cap jusqu’aux petites gazelles. Il y a des bulles, des éléphants, des hippopotames dans la rivière et des fauves en grand nombre. M. Dideville était passé déjà dans cette région l'année précédente et avait tenu à y revenir, projetant avec M. Duchesne-Fournet d'y demeurer quelque temps. Ils avaient établi leur campement près de la rivière Iro et commençaient à parcourir la région, guidés par des chasseurs indigènes.

 

M. le Dr Parveil, retenu par ses études géologiques, était resté en arrière dans la montagne. C'est an cours d’une partie de chasse que M. Dideville eût le bras déchiré par son propre fusil, au moment où il avait l’arme au pied. M. Duchesne-Fournet accourut alors et ne put faire qu'une ligature sommaire

 
 
         
 

Nous étions, dit le narrateur, à plus de deux heures de notre campement et hors de portée de tout secours. D'ailleurs, il n'y avait guère de remède possible. Mon pauvre ami succomba dans la nuit qui suivit, de la terrible hémorragie provenant de sa blessure.

 

M. Duchesne-Fournet a retracé dans les termes les plus émus la douloureuse impression des journées angoissantes passées dans ce désert, où il restait seul avec ses serviteurs noirs.

 

Trois jours après, arrivait le docteur Candé, médecin des mines de Fatoya, accompagné de l’administrateur de Siguiri, en tournée dans le voisinage. Toute translation étant impossible, le corps M. Dideville fut enseveli dans la plaine du Iro.

 

C'est au milieu des plus sérieuses difficultés - les porteurs ne voulaient plus marcher et menaçaient de se sauver, laissant les bagages dans la brousse ; les chevaux étaient fatigués, - que M. Duchesne-Fournet parvint à sortir de cette zone désertique et à gagner le village de Foutsu, puis Dinguiray, centre musulman où réside un administrateur. Deux jours plus tard, il atteignait Toumanéa, puis Fouta Djalon et Dabola. A partir de là s'ouvre un petit vallon très vert avec de beaux arbres et des palmiers ; au-dessus. la montagne presque à pic.

 

Suivant une route de montagnes, avec ales échappées grandioses, les voyageurs retrouvent dans une gorge étroite le Tinkisso et arrivent au village de Kouroafing, puis ils traversent une région très verdoyante, où s'élèvent les bœufs de la petite race de Fouta Djalon et arrivent enfin au fleuve Bafing qu'ils passent, gagnent Timbo, retraversent encore le Bafing et gagnent en deux jours le col de Koumi qui sépare ce versant du Sénégal du versant de la Guinée.

 

Le chemin de fer monte actuellement jusqu’à Mamou, qui est un point très voisin de ce col de Koumi. Nous sommes là à près de 1.000 mètres d’altitude. La ligne court sur le flanc des montagnes, laissant apercevoir de très grandes étendues de plaines. II y a là des voies en tire-bouchon qui rappellent celles du Gothard.

 

L’aspect est évidemment très différent du Sénégal et du chemin de fer Dakar-Saint-Louis, où il y a tant de centres commerciaux. La Basse Guinée n’est qu’une immense brousse ; il y a très peu de régions cultivées ; d’ailleurs, les indigènes ont abandonné depuis des années le travail du champ pour la récolte du caoutchouc qui leur permet d'errer dans la brousse et convient mieux à leur tempérament paresseux.

 

Actuellement, dit M. Duchesne-Fournet, une crise violente sévit actuellement sur les matières premières et a été particulièrement sensible sur le caoutchouc ; le commerce en est arrêté presque complètement. Cette crise ne fera que s'accentuer l'année prochaine si les cours du caoutchouc ne se relèvent pas.

 

La température en Basse Guinée est humide et chaude. A Konakry, le thermomètre reste constamment à 28°, ce qui diffère beaucoup du climat dans le haut pays et au Sénégal.

 

Konakry, la nouvelle capitale de la Guinée, située dans une presqu’ile et entourée de palmiers et de fromagers superbes, est distante de cinq ou six heures, en barque à voiles, de l’ancienne capitale Dubreka. La Basse Guinée est habitée par une population nègre qu’on appelle les Sousou ; ils sont plus petits et plus trapus que les habitants de l'intérieur.

 

C’est à Konakry que M. Duchesse-Fournet, après avoir licencié tout le personnel noir amené de Bamako, s’embarque pour Dakar d'où s’effectue son retour direct en France.

 

Les quelques lignes qui suivent servent de conclusion à l'instructive conférence de notre distingué concitoyen :

 

« J'ai donc parcouru les trois colonies du Sénégal, Soudan et Guinée. Je n'ai pu qu'indiquer au cours des récits quelques considérations sur l'avenir économique de ces régions.

 

« Il est, à prévoir que les routées qui vont suivre vont être des années de vache maigre, à cause de la crise du caoutchouc et des matières premières dont, j'ai déjà parlé, d'autant que les années précédentes représentaient une prospérité factice due à l'arrivée dans nos colonies des capitaux des deux emprunts de 100 et 65 millions, mais il ne faut pas désespérer. D'ailleurs, il faut bien se dire que nous sommes dans un pays tout-à-fait neuf dont les seules ressources ne sont pas encore connues ; il est tout-à-fait impossible de faire de prévision : il peut suffire d'une culture bien adaptée au climat et aux nécessités économiques, comme par exemple l'arachide, pour l'aire la fortune d’un pays.

 

« ...... La France a acquis un très beau domaine colonial, espérons qu'elle saura en tirer parti ; je me tiendrai pour satisfait si j'ai pu aider dans une modeste mesure à la connaissance de nos possessions de l'Afrique occidentale. »

 
     
 
 
 

Conakry. CPA collection LPM 1900