Feutres TIRARD

  La grande marque

  1878 - 1956


 

 

 

 

 

 
  EDITION MANCHOT LA REVUE DES CHAPEAUX           N° 62 BIMENSUEL 04-10-2011  

 

 

 

 

   

 Feutres TIRARD

  La grande marque

  1878 - 1956

 
     
    L'entreprise des frères Tirard
  Fabricants de chapeaux
 
 

 

Etablissement Tirard Fréres, CPA collection LPM 1900

 

 
   Origines de l'entreprise  
 

 

La chapellerie Tirard émergea avec Pierre Tirard suite à son mariage avec une évronnaise, Marguerite Grippray, en 1840 ou 1843 (nous ne savons pas la date précise).

 

A ses débuts


A ses débuts, l'entreprise est artisanale et ne compte que 4 ouvriers dont les membres de la famille Tirard.


La production est essentiellement des chapeaux de laine et s'élève à 10000 par an (chiffre de 1848).

 

A l'époque du second empire


C'est à l'époque du Second Empire que la chapellerie Tirard prend son envol surtout lorsque Pierre Tirard laisse sa place au profit de 2 de ses fils, Pierre-Marie et Clément Tirard, et prend alors le nom collectif de " Tirard frères ".

Les années 1860


En 1860, la société dispose d'une usine et d'un magasin à Evron, et d'un dépôt à Montsûrs. Après la mort du père (en 1862), l'entreprise prend de l'ampleur, la preuve en est de la demande, en 1863, d'établir une machine à vapeur de 4 CV dans leur fabrique pour servir au foulage des chapeaux.

 

Sortie de l'usine Tirard à Nogent-le-Rotrou, CPA collection LPM 1900

 

En 1870


Vers 1870, la production s'élève de 15 à 20 chapeaux par jour, soit 75.000 par an (7 fois plus qu'en 1848).


C'est à ce moment là que la production prend une dimension outre régionale et nationale, elle devient internationale, il faut donc s'agrandir et augmenter la production. On vend en effet en Normandie, mais l'essentiel, par l'intermédiaire du magasin parisien géré par Clément Tirard depuis 1866, se vend en France, à l'étranger, surtout en Amérique.

C'est pourquoi en 1871, les frères Tirard décident de s'implanter à Nogent Le Rotrou.

 
     
 
 
     
   L'implantation à Nogent Le Rotrou  
 

 

Cette implantation fut mûrement réfléchie par les deux frères.


En effet, le transfert de l'usine d'Evron à Nogent Le Rotrou nécessita un train entier pour le transport du personnel et de leur famille, mais celui-ci ne se termina réellement que le 16 novembre 1873 avec le départ des 27 derniers ouvriers d'Evron. Au total 50 familles donc 172 personnes ont quittés Evron.

 

Plusieurs hypothèses ont été mises en avant pour expliquer ce départ :

 

Echec aux élections

Selon la tradition orale de l'époque, les frères Tirard auraient été motivés par leur échec aux élections municipales du 30 avril 1871, durant la Commune de Paris.


Cette hypothèse assez farfelue est néanmoins étayée par les nombreuses visites de personnes haut placées tels que M. Garnier-Pages, député de Paris, ancien membre du gouvernement provisoire en 1848. Les élections ont aussi été un cuisant échec pour la liste "rouge" avec seulement 2 élus face à la liste "modérée" d'Albert Janin.

 

On imagine pourtant mal un entrepreneur ayant une entreprise en plein essor et prospérité claquer la porte sous ce seul prétexte. Les hypothèses suivantes semblent plus vraisemblables.

L'extension progressive de la production de la région à la France entière puis de la France à l'étranger

En effet, l'exiguïté des locaux d'Evron pourraient expliquer ce départ vers Nogent-le-Rotrou, d'autant plus qu'il n'y a aucune possibilité d'expansion d'un côté ou d'un autre. Et comme la production augmente, l'usine a de plus en plus besoin d'eau qu'elle ne trouve pas à proximité. Il fut donc décidé de rechercher un nouvel emplacement permettant de nouvelles expansions et un apport d'eau suffisant, c'est Nogent-le-Rotrou et ses abords de l'Huisne qui fut choisi.

La proximité de la gare

La nouvelle usine fut implantée sur un vaste terrain raccordé aux chemins de fer. Le site de Nogent est en effet en bordure de la voie ferrée, ce qui facilite le transport des marchandises au niveau national et international et réduit considérablement les coûts et les frais de transport. Le chemin de fer favorise donc et multiplie les expéditions, puisqu'un commissaire de police de l'époque rapporte que l'usine a peu de stocks alors que le débit de production est plus qu'aisé.

 

La Société Tirard Frères


Le 10 février 1923, afin de faire appel à de nouveaux capitaux, de transmettre plus facilement leurs biens et de séparer les dits biens propres de ceux de l'entreprise, les frères Tirard créaient une société anonyme, les Établissements Tirard Frères.

 

 

 
   Les bâtiments  
 

 

L'usine dite du Tabot abritait la chapellerie Foissac, rue Sainte-Anne. Le 22 décembre 1869, un incendie détruisait une partie des bâtiments. Le 18 juin 1871, M. Foissac annonçait qu'il cessait son activité. Celle-ci fut reprise par les frères Tirard, qui devenaient propriétaires des bâtiments, le 14 décembre 1895.

 

Un terrain situé entre la rue Sainte-Anne et l'Huisne était également acheté, en 1890, par les frères Tirard dans le dessein de construire des bâtiments pouvant abriter les ateliers de production. Cette nouvelle infrastructure fut opérationnelle en 1896. L'usine prenait ainsi place sur un terrain de 40.000 m2 dont 10.000 m2 couverts.

 

Les frères Tirard réalisèrent diverses opérations immobilières en dehors des bâtiments liés à la production industrielle.


Ainsi, en 1878, un achat fut effectué à Paris, 18, rue des Pyramides. Cette maison de commerce où l'on vendait la production de l'entreprise devint également son siège social.
En 1879, il fut procédé à l'achat d'un terrain, propriété des hospices de la ville, situé dans le quartier des Promenades, à Nogent-le-Rotrou. La famille s'y fit construire un pavillon nommé la Charmille. En 1957, cette propriété revint au précédent propriétaire et, après divers travaux, fut transformée en maison de retraite.

 

Le 16 juillet 1928, l'usine de Charroyau était acquise à l'entreprise de machines agricoles et de pompes appartenant à M. Jovenet. Elle fut alors aménagée en quinze logements pour accueillir les ouvriers. Après la cessation de l'activité, ces logements furent vendus à leurs locataires le 31 octobre 1957.

 

Usine Tirard , CPA collection LPM 1900

 

 
   Les ateliers et services  
 

 

Les Chaussons


La production de dessus, d'intercalaires et de semelles de pantoufles étaient fabriqués par les Etablissements Tirard.


La fabrication des chaussons fut abandonnée au cours des années 1930, afin de ne pas concurrencer les entreprises produisant ce type d'article et qui se fournissaient en feutre auprès des Établissements Tirard Frères.

 

 

Le feutre industriel


La matière première pour la fabrication du feutre industriel était presque essentiellement de la laine. Celle-ci provenait du Canada, mais également d'Afrique du Sud, de Nouvelle-Zélande, d'Australie, d'Argentine entre autres. En 1948, il en était utilisé une à deux tonnes par jour.


Les frères Tirard s'approvisionnaient aussi auprès des cultivateurs locaux et se montraient soucieux de la qualité de la laine qui allait être employée.

 

 

Les chapeaux


La production traditionnelle et artisanale de la chapellerie Tirard est essentiellement des chapeaux de laines, car il s'agit d'une production facile et rapide, d'autant plus qu'elle était destinée à une clientèle populaire à revenus modestes. Et jusqu'en 1884, les établissements Tirard Frères fabriquèrent principalement ces chapeaux de laine et les exportèrent d'abord dans les colonies françaises, en Amérique du Sud, en Scandinavie et en Australie.

La laine, bien qu'une matière facile à façonner et peu chère, a le désavantage de produire des chapeaux lourds et déformables. L'usine étendit donc son activité aux chapeaux de poil souple, léger et élastique. Les matières utilisées sont désormais les poils de lièvres, lapins de garenne, de clapier ainsi que les poils de castors et de rats musqués.

Pendant longtemps ce fut le "fait-main" qui prima, mais peu à peu le machinisme fit son apparition dans les opérations de la chapellerie.

 

50 opérations successives sont ensuite nécessaire à la réalisation d'un chapeau: épuration des poils, batissage, semoussage, foulage, feutrage, teinture, appropriage, ponçage, apprêtage, dressage, cambrage, garniture et bichonnage.

Le feutre industriel

Les feutres de laine étaient destinés à divers usages :

               - Sellerie, bourellerie et maroquinerie
              - Carosserie et garniture de wagons
              - et tous emplois industriels (joints, filtres, ...)

Ces feutres étaient donc des pièces très diversifiées tant par leur épaisseur de 1 à 30 mm que par leurs variétés : écrus, teints, imprimés, doublés, fins, mi-fins, ...


Il fallait un enchevêtrement de fibres de plus en plus serrées à mesure que le foulage était poussé pour obtenir ces feutres. Une technique plus mécanisée permettait de faire la même chose grace à une machine portant un grand nombre d'aiguilles spéciales qui traversaient la nappe de feutre et des crochets permettant l'enchevêtrement des fibres.

 

La machine à vapeur de 500 chevaux  , CPA collection LPM 1900


 
   La publicité  
 

 

Dès le début du XXe siècle, l'entreprise fit appel à des voyageurs de com­merce qui étaient rémunérés par un salaire fixe, auquel venaient s'ajouter des commissions sur le chiffre d'affaires.


E n 1922, l'ensemble des colonies françaises était couvert par des succur­sales Tirard. De même, un réseau d'agences fut implanté à l'étranger : en Hollande, Suède, Norvège, Danemark ainsi qu'au Canada.


En 1949, les Établissements Tirard Frères étaient présents sur tous les conti­nents et réalisaient 16% de leurs ventes à l'étranger.


Les frères Tirard firent très peu de publicité sur le plan local. En revanche, à partir de 1924, des pages publicitaires, appelées réclames à cette époque, étaient publiées dans différents journaux nationaux tels Le Figaro, L'Écho de Paris et surtout L'Illustration.

 

Véhicule décoré d'un chapeau faisanrt la réclame pour les chapeaux Tirard vendus par la      chapellerie Chalain installé 26 rue Villette-Gaté, à Nogent-le-Rotrou.


 
   La fermeture de l'entreprise Tirard  
 

 

Connu internationalement la chapellerie Tirard otient plus de 20 récompenses aux expositions (Paris, Amsterdam, Anvers, ...) entre 1876 et 1935. Cette reconnaissance internationale est du au renouvellement sans cesse de leurs modèles baptisés par un nom qui leur est propre (le Travelling, le Rafale, le Royal Frivole, le Saint-Hubert, l'Atlanta, et par le dépôt de brevets pour se protéger de la concurrence.

 

L'entreprise se développa régulièrement du fait d'une stratégie industrielle alliant une politique technique et commerciale de pointe. La crise éconoomique des années 1950 et la Seconde Guerre mondiale mirent un frein à la croissance que les établissements Tirard avaient connue depuis leur création.


Dès les années d'après-guerre, de 1945 à 1948 plus précisément, Tirard Frères connaît une forte reprise qui malheureusement fut de courte durée. En effet, les femmes et les hommes, pour diverses raisons, ne portaient plus de chapeaux. Très rapidement, en 1956, et ce malgré le soutien de la population, du commerce local et des médias nationaux lors du lancement du chapeau-sac, l'usine ferma ses portes.

 

La direction des établissements Tirard publiait un communiqué, le 27 janvier 1956, annonçant la cessation de l'activité pour le 31 mars de la même année.


La fermeture était une catastrophe économique pour la ville de Nogent-le-Rotrou et ses environs. La population et les commerçants se mobilisèrent.


Trois jeunes commerçants nogentais, tous membres du comité des fêtes et de l'union commerciale, MM. Jean-Luc, tailleur, Lépicier, hôtelier, et Martin, faïencier, lançaient le chapeau-sac, conçu par eux et mis au point par la modiste parisienne Suzanne Talbot.


L'idée du lancement du chapeau-sac fédéra toutes les énergies. Le lundi 2 avril, une trentaine de vedettes et mannequins portèrent le chapeau-sac à Longchamp. Tous les médias firent écho de cette manifestation. Mardi 3 avril, salle des délibérations du conseil municipal, la station radiophonique Europe N° 1 réalisa en direct l'émission «Vous êtes formidables » afin de lancer la commercialisation du chapeau-sac. Cette émission de Jacques Antoine était animée sur place par Roger Couderc et en studio par Pierre Bellemare. Après le reportage sur la dernière création de la chapellerie nogentaise, douze mille commandes téléphoniques étaient enregistrées.


Malgré toutes ces démarches entreprises, l'usine ferma ses portes. Toutefois, des employés honorèrent ces ultimes commandes du fameux chapeau-sac.

 

Atelier de cardage  , CPA collection LPM 1900

Atelier de Garniture  , CPA collection LPM 1900

Atelier du lavage des laines

Les presses d'appripriage  , CPA collection LPM 1900