| | Les établissements de l' Inde | La Compagnie des Indes orientales (plus précisément Compagnie française pour le commerce des Indes orientales) est une compagnie commerciale créée par Colbert en 1664 dont l'objet était de « naviguer et négocier depuis le cap de Bonne-Espérance presque dans toutes les Indes et mers orientales », avec monopole du commerce lointain pour cinquante ans. | Sa création avait pour but de donner à la France un outil de commerce international avec l'Asie et de concurrencer les puissantes Compagnies européennes fondées au XVIIe siècle, comme la Compagnie anglaise des Indes orientales et surtout la Compagnie hollandaise des Indes orientales. Cependant, la guerre d'usure avec les Hollandais puis le choc frontal avec les Anglais en Inde la conduiront à sa perte, après seulement un siècle d'existence. | | Armoiries de la Compagnie des Indes Orientales
| Une compagnie des Indes était une compagnie qui gérait le commerce entre une métropole européenne et ses colonies. Alors que l'Espagne et le Portugal s'étaient réservé l'exploitation de l'Amérique à la suite des découvertes de Christophe Colomb tout au long du XVI siècle, au XVII siècle les autres puissances européennes se sont engagées dans une compétition acharnée pour constituer les plus grands empires coloniaux qui puissent alimenter leur capitalisme naissant, tout en confortant la puissance des nations. Le commerce entre une métropole et ses colonies était souvent contrôlé par une compagnie qui portait le nom de Compagnie des Indes. Sous le vocable mythique des Indes, on recensait alors tous les territoires nouveaux qui pouvaient être atteints en prenant la route de l'Est (Indes orientales) et ceux qu'on rejoignait par la route de l'Ouest (Indes occidentales).
| LE CONTEXTE HISTORIQUE DE LA CREATION DES COMPAGNIES | À la suite des croisades ouvrant les routes de l’Orient, les activités commerciales et financières favorisent le capitalisme naissant des républiques italiennes au long des XIIIe et XIV siècles avant que le commerce ne profite aussi à l’Angleterre et aux pays de la mer du Nord. Deux grands pôles concentrent le commerce de l’Europe : l’Italie du Nord et les pays de la Baltique où prospère la Ligue Hanséatique depuis le Moyen Âge. La fin du XVe siècle est marquée par les Grandes découvertes : l’Amérique par Christophe Colomb en 1492, mais surtout l’Asie (les Indes) grâce au contournement du Cap de Bonne-Espérance par le Portugais Vasco de Gama en 1498. À l’aube du XVI siècle, la puissante République de Venise domine la mer Méditerranée, et par là, grâce à ses relations avec les comptoirs du Moyen-Orient, le commerce des produits - essentiellement le commerce des épices - venus du Levant et de l’océan Indien. Le contrôle de ces produits venus d’Extrême-Orient par caravane ou par navire lui assure la domination des marchés d’Europe. Cette domination commence toutefois à être contestée par la ville d’Anvers, devenue l’entrepôt du poivre importé par le Portugal, utilisant la nouvelle route maritime du Sud. À partir des années 1570, le commerce de Venise en Méditerranée est mis à mal par les marchands nordiques qui inondent les marchés de produits contrefaits, allant jusqu’à orner leurs tissus du sceau vénitien afin d’en renforcer l’attrait. L’industrie méditerranéenne perd alors à la fois ses clients et sa renommée. Pendant ce temps, l’Espagne met en place le commerce de l’or en provenance des nouveaux territoires qu’elle a découverts en traversant l’Atlantique. Mais elle connaît à son tour un déclin important à la fin du XVI siècle. Au début du XVIIe siècle, les Provinces-Unies sont encore en guerre contre la couronne espagnole pour obtenir leur indépendance. La situation sociale y est différente de celle du reste de l’Europe. Le commerce y est développé, la noblesse y a perdu son pouvoir au profit d’une puissante élite bourgeoise. Le pays est renommé pour sa tolérance sur le plan religieux et pour ses techniques agricoles avancées. À la fin du XVIe siècle, les Hollandais commencent à s’intéresser aux Indes. Cornelis de Houtman part en 1592 avec quatre navires dont trois reviennent à Amsterdam en 1597, sans avoir fait de substantiels profits. Mais l’expédition n’est qu’un précédent au développement d’un important commerce que l’Empire portugais déclinant ne peut contrer. Entre 1598 et 1602, les Hollandais envoient 65 navires divisés en 14 flottes vers l’océan Indien. En 1600, des vaisseaux hollandais arrivent au Japon, puis en Chine l’année suivante. Les flottes qui réussissent à revenir permettent des bénéfices atteignant jusqu’à 265 %, mais ceux-ci pourraient être encore accrus s’il n’y avait une multiplicité de compagnies se faisant une concurrence effrénée en Asie. Dans le sillage des Hollandais, Anglais, Français, Suédois, Belges et Danois se lancent à la conquête des sources d'approvisionnement en épices.
| NAISSANCE DU NOUVEAU COMMERCE FRANCAIS AVEC L' ASIE | Des initiatives éparses contrées par les Hollandais
Dès le milieu du XVI siècle, suivant la trace des Portugais (premiers à ouvrir les routes de l'Inde et de l'Asie du Sud-Est), quelques explorateurs français, des corsaires et des aventuriers arment des navires pour rejoindre "Cathay" et "les Indes" et en rapporter des épices. Ils ne rencontreront pratiquement aucun succès commercial.
À partir de 1600, les premières expéditions commerciales de commerçants malouins ou Dieppois sont régulièrement lancées vers l'Asie. Une série d'éphémères compagnies de commerce qui bénéficient par lettres patentes d'un monopole commercial sont lancées (Compagnie Le Roy et Godefroy en 1604 devenue Compagnie des Moluques en 1615, Compagnie de Montmorency pour les Indes orientales, créée en 1611 par Charles de Montmorency-Damville, Amiral de France). Elles ne génèrent pas un courant commercial significatif d'autant que leurs vaisseaux sont systématiquement détruits ou confisqués par les Hollandais de la VOC (compagnie hollandaise des Indes orientales). La politique volontariste de Richelieu
L'arrivée de Richelieu au pouvoir en 1624 et la signature du traité de Compiègne avec les Provinces-Unies (Pays-Bas) qui reconnaît la liberté du commerce vers les « Indes occidentales et orientales » relance l'activité des Français en direction de l'Asie avec un double but, missionnaire et commercial. La route terrestre est explorée avec le réseau des frères capucins du Père Joseph et c'est un missionnaire (Pacifique de Provins) qui réussit à établir en 1628 des liens officiels entre la France et la Perse ouvrant par le golfe persique la route de l'Inde. Réseau des frères capucins du Père Joseph, collection CPA LPM 1900 L'ordonnance royale de 1629, dite code Michau, encourage les Français à créer des compagnies de commerce à l'image des Hollandais et des Anglais. À partir des années 1630, les Français s'intéressent au sud de l'océan indien et prennent possession de sites et de ports – notamment Fort-Dauphin et Port-Louis – à Madagascar et dans les Mascareignes (île Bourbon, île de France, île Rodrigues) ; La compagnie d'Orient est créée par lettre patente de juillet 1642 avec monopole de 15 ans sur Madagascar et les îles environnantes. Au-delà de ces îles, la route des Indes est reprise par des missionnaires sous l'impulsion du jésuite Alexandre de Rhodes et de la Compagnie du Saint-Sacrement et qui privilégie la péninsule indochinoise. En 1660, enfin est fondée la Compagnie de Chine, avec tous les puissants de l'époque, comme Mazarin ou Fouquet, souvent membres de la Compagnie du Saint Sacrement. Mais celle-ci se consacre exclusivement à des activités commerciales. | CREATION DE LA COMPAGNIE | Une société organisée par Colbert Imaginée par Colbert, elle est créée par la Déclaration du Roi portant établissement d'une Compagnie pour le commerce des Indes orientales signée par Louis XIV le 27 août 1664 et des lettres patentes enregistrées par le Parlement de Paris. Les statuts en font une manufacture royale avec tous les privilèges associés, en particulier exemption de taxes, monopole exclusif du commerce dans l'hémisphère oriental (auquel s'ajoutent au XVIII siècle les côtes ouest de l'Afrique (Sénégal, Guinée), garantie sur trésor royal, pouvoir de nommer des ambassadeurs, de déclarer la guerre et de conclure des traités. Elle est dotée d'un capital initial de 8,8 millions de livres et d'une devise : « Florebo quocumque ferar », (« Je fleurirai là où je serai portée »). La Compagnie se voit définir des objectifs plus vastes que le suggère son nom et qui sont de trois ordres : le commerce, évidemment, et la lutte contre les produits anglais et hollandais ; la politique, en contribuant au développement d'une marine nationale et en affirmant la présence française sur les mers ; la culture et la religion : en propageant la civilisation française et en évangélisant les « païens ».
Son premier directeur nommé par Colbert est François Caron, un huguenot exilé ayant œuvré 30 ans au sein de la VOC. A partir de 1666, le port de Lorient nouvellement créé en devient le siège. | Les indiennes de coton, enjeu important pour Colbert Attentif à la question du textile, Colbert s'est intéressé aux efforts de ses prédécesseurs à l'époque d'Henri IV, pour développer la culture de la soie. Il sait que la communauté arménienne de Marseille, par ses liens avec l'Orient, importe des indiennes, ces cotonnades légères et fines, qui plaisent par leurs couleurs gaies. La Compagnie des Indes orientales vise d'abord cette activité, alors que le commerce du poivre est dominé par la compagnie néerlandaise des Indes orientales. Lorsqu'elle prend son essor, de Pondichéry et Calcutta, 8 à 10 vaisseaux chargés de tissus arrivent annuellement à Lorient, port important dans l'histoire des indiennes de coton en Europe. | | |
En 1669, Colbert crée le port franc de Marseille où des Arméniens s’installent à sa demande, pour apprendre aux Marseillais à peindre les cotonnades et les approvisionner. Mais à partir de 1671, il entre en demi-disgrâce auprès de Louis XIV et la guerre de Hollande de 1672 nuit à ses projets. Les premiers succès dans le Sud de l'Océan indien Tout en échouant à créer une véritable colonie sur l'île de Madagascar (Fort-Dauphin), la compagnie réussit cependant à établir des ports sur l'île Bourbon et l'île de France, deux îles voisines, aujourd'hui la Réunion et l'île Maurice. Son capital est alors de 15 millions de livres (la famille royale en souscrit 3). Elle a pendant 50 ans le monopole du commerce entre le Cap Horn et le Cap de Bonne Espérance. La guerre de Hollande en désorganise le fonctionnement. En 1682, la compagnie perd son privilège. En 1719, elle est absorbée par la Compagnie fondée par John Law.En 1719, au bord de la faillite, John Law la fusionne avec d'autres sociétés de commerce françaises pour former la Compagnie perpétuelle des Indes. Cependant, elle retrouve son indépendance en 1723. La Compagnie des Indes envoie 10 à 11 bateaux par an aux Indes sur la période 1720-1770, contre seulement 3 ou 4 sur la période 1664-1719. Près de la moitié des produits qui reviennent de l'orient, en valeur, sont des métaux précieux, qui se recyclent dans le circuit économique
| DUPLEIX ET LA CONQUETE DE L' INDE | Une pénétration réussie en Inde En 1668, le directeur Caron s'établit en Inde, à Surate (aujourd'hui Surat, dans le Gujarat). Mais c'est à Pondichéry où François Martin s'installe en 1674, que la compagnie enracinera bientôt sa capitale. A partir de 1720, la Compagnie profite de la longue période de paix qui s'installe en Europe pour connaître une forte période de prospérité. Les bénéfices distribués deviennent considérables, au point de provoquer la jalousie croissante de l'Angleterre. Avec le déclin de l'Empire moghol, Benoist Dumas, gouverneur de Pondichéry de 1735 à 1741 décide d'intervenir dans les affaires politiques indiennes de façon à protéger ses intérêts, en prenant parti pour les Moghols contre les Marathes. Le Grand Moghol lui confère le titre de nabab, mais Dumas le refuse à titre personnel, demandant qu'il soit automatiquement transmis à chaque nouveau gouverneur français. Dumas reçoit également l'autorisation de battre monnaie à Pondichéry.
| Compétition frontale avec les Anglais
Le successeur de Dumas, Joseph François Dupleix, invente la politique du protectorat, que son lieutenant Charles Joseph Patissier de Bussy-Castelnau applique avec brio dans le Deccan. La plus grande partie de l'Inde du Sud se retrouve sous influence française, au grand dam des directeurs de la Compagnie, qui ne comprennent pas que seule une forte assise territoriale peut garantir une autonomie financière aux établissement de la Compagnie. Les hostilités, qui avaient éclaté avec l'East India Company dès 1744, dureront jusqu'à la révocation de Dupleix en 1754. | | | Elles reprennent dès 1756. L'incompétence du lieutenant général Thomas Arthur de Lally-Tollendal, ainsi que sa rivalité avec Bussy, stupidement rappelé du Deccan, aboutissent à la capitulation française, et à la destruction totale de Pondichéry par les Britanniques en 1761. En 1757 la victoire de Robert Clive à la bataille de Plassey avait livré le Bengale à l'East India Company, laquelle n'avait plus qu'à appliquer à son profit les méthodes de Dupleix et Bussy. L'échec La Compagnie était à son époque considérée comme un placement solide et sûr. Voltaire y avait placé une partie de ses économies. Mais en 1763, après le traité de Paris, la France perd son premier empire colonial, en particulier ses territoires du Deccan en Inde. Il ne lui reste en Inde que les cinq comptoirs de Pondichéry, Karikal, Yanaon, Mahé et Chandernagor, qu'elle conservera sous la forme des Établissements français de l'Inde jusqu'en 1949. La Compagnie a été durement touchée par la Guerre de sept ans, à la perte de ses établissements en Asie s'ajoutant celle d'une partie de sa flotte. Malgré ces revers et son endettement, elle réussit à redresser sa situation commerciale, mais non à regagner la confiance de Choiseul, soucieux de contrôler les dépenses publiques. Sous la pression des économistes et des armateurs, la compagnie est "suspendue" en 1769, et l'Asie ouverte au commerce privé. Vue des magasins de la Compagnie des Indes à Pondichéry, de l'amirauté et de la maison du gouverneur, avant la destruction de la ville par les Anglais en 1761, telle qu'on peut l'entrevoir sur cette gravure de 1769. (XVIII siècle, Lorient, Musée de la Compagnie des Indes). | LISTES DES TERRITOIRES | On dénombre 5 "comptoirs" dans l'ordre chronologique de fondation :
Chandernagor, 1673, (actuellement Chandannagar, au Bengale Occidental) Pondichéry, 1674, (actuellement Puducherry, enclavé dans le Tamil Nadu) Mahé, 1721, (actuellement Mahe, enclavé dans le Kérala) Yanaon, 1723, (actuellement Yanam, enclavé dans l'Andhra Pradesh) Kârikâl, 1738, (actuellement Karaikal, enclavé dans le Tamil Nadu) | | |