L'ETANG-BERTRAND
  CC 40.03 COEUR DU COTENTIN
   
  LE VILLAGE
         
 

Article issu du blog de closducotentin.over-blog.fr

J. Deshayes, 14/03/2004

 

Note de synthèse provisoire

 

Selon un état manuscrit de la baronnie de Bricquebec rédigé en 1786 il est indiqué que "La tradition des anciens veut qu’il y ait eu (à l'Etang Bertran) un château et des fortifications. Cela est vraisemblable, mais il n’en est resté aucun vestige".

 

L'abbé Lebreton mentionne pour sa part l'existence d'un camp romain. Cet ancien retranchement - dont l'origine reste en fait indéterminée - occupait un plateau dominant au sud un méandre de l'Ouve. L’abbé Lebreton affirme également "alors que la grande commune de Bricquebec n'était guère qu'une vaste forêt, la principale agglomération des habitants se trouvait à l'Etang-Bertrand". L'hypothèse d'une occupation médiévale de ce retranchement (non repéré), et celle d'une antériorité de cette agglomération sur celle de Bricquebec, ne sont étayées par aucune source écrite. En terme de "stratégie féodale", le tracé de l'Ouve ne constituait pas sur ce secteur, à l'époque ducale, une frontière territoriale, puisque les possessions des Bertan de Bricquebec s'étendait, au-delà de l'Etang, sur la paroisse de Magneville. L'intérêt stratégique du site, contrôlant un franchissement jadis majeur de l'Ouve sur la chaussée d'un axe routier connu depuis le XIVe siècle sous le nom de Carrière-Bertran, reliant, via Bricquebec, la côte Ouest du Cotentin à la baie des Veys, est cependant assez manifeste pour avoir justifié, à une époque qu'il convient de situer avant le milieu du XIe siècle, l'établissement d'une fortification à cet emplacement.

 
         
 

Un acte de juillet 1241 évoque la concession de moulins et de terres appartenant à Guillaume de Magneville, seigneur de Magneville, au profit de Robert Bertran de Bricquebec, son suzerain, auprès de l'Etang-Bertran. Aux moulins évoqués, dits se situer entre le moulin de l'Etang et la haie (forêt) de Robert Bertran, sont alors associées une pêcherie, ainsi que toute la terre que possédait Guillaume de Magneville sur le Mont de l'Etang (et in monte de Stagno totam terram quam ibidem habebam), et une aulnaie située entre ce mont et la rivière d'Ouve. La vente comprend aussi "la terre des fourniers" (terram fornellorum) qui se situait probablement dans la même secteur, le pré que le dénommé Richard Ruffus tenait de Guillaume de Magneville prés de la rivière, et la terram Basireis (cf. auj. le hameau Bazire) avec une vergée de pré et la terre proche du champ des moulins (una virgata prati et terra juxta campum molendini). A cette vente est encore jointe la concession de plusieurs rentes à percevoir sur des particuliers résidant sur le fief de Guillaume. Sont notamment mentionnées la rente d'un quartier de froment à percevoir de Ruffo de l'Etang et une autre rente de quatre sols, huit deniers, deux pains, deux poules et vingt œufs dus par Robert Forgeron (ou le forgeron) de l'Etang

 

 

Plan du pont et des moulins

de l'Etang Bertran vers 1780

 
     
 

Le Bourg

 

Un coutumier rédigé en 1300 et un aveu de 1456 mentionnent conjointement, les "bourgeois de Bricquebec et de l'Etang".

 

Un acte de juillet 1241 relatif à la concession de moulins et de terres appartenant à Guillaume de Magneville, seigneur de Magneville, au profit de Robert Bertran de Bricquebec, son suzerain, auprès de l'Etang-Bertran, évoque la rente d'un quartier de froment à percevoir de Ruffo de l'Etang et une autre rente de quatre sols, huit deniers, deux pains, deux poules et vingt œufs dus par Robert Forgeron (ou le forgeron) de l'Etang. Cet acte évoque aussi "la terre des fourniers" (terram fornellorum) qui se situait manifestement dans le même secteur.

Le bourg de l'Etang-Bertran est une petite agglomération située à environ cinq kilomètres du château de Bricquebec. L’habitat s’y regroupe autour d'un moulin baronnial et d’un pont routier formant chaussée sur la route menant de Bricquebec à la baie des Veys. Bien qu’il disposât de sa propre chapelle, ce village était anciennement compris dans le très vaste ressort territorial de la paroisse de Bricquebec.

 

Il est encore question du bourg en 1786 : « Dans Bricquebec est un village de leur nom (les Bertran), l’Etang Bertrand, qui a retenu le titre de bourg, et jouit en effet du droit de bourgeoisie, et il n’y a pas un siècle qu’il y avait encore un marché, des foires, qui ont été transférées au bourg de Bricquebec » (Etat de la baronnie, 1786, p. 57).

 
     
 

CPA collection LPM 1900

 
     
   
  L'ETANG-BERTRAND
  CC 40.03 COEUR DU COTENTIN
   
  EGLISE SAINT-SIMEON
         
 
 
   
 

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J. Deshayes, 14/03/2004


La chapelle Saint-Siméon de l’Etang n’est à ma connaissance citée dans aucune source médiévale. Ni le Livre Noir (v. 1280), ni le Livre Blanc ou Pouillé du diocèse de Coutances (1332) n’en font état, pas plus que le cartulaire de la baronnie de Bricquebec, qui cite en revanche les chapelles du château, de Sainte-Croix-de-Bois et de Saint-Blaise des Ys. La première occurrence rencontrée est celle de la carte de Mariette de la Pagerie (1683). La Chapelle Saint-Siméon figure également sur la carte de Cassini, apparemment à son emplacement actuel. En 1786 enfin, il est indiqué que « Dans ce village est situé la Chapelle de l’Estang à la collation de la dame du lieu, dont le titulaire à le droit de mettre ses bestiaux dans la prairie de la salle, depuis le mois d’août jusqu’au premier avril ». L’abbé Lebreton signale que l’édifice était desservi à la Révolution par un dénommé Robert Chappey, puis qu’elle le fut par un vicaire de Bricquebec. Il précise également que la construction du presbytère fut entreprise en 1833 par M.Delacotte (1831-1843), et achevée par son successeur, M. L’abbé Langlois. Officiellement, la création de cette paroisse ne date cependant que de 1845. C'est donc à juste titre que L’abbé Lebreton précise que l’édifice faisait fonction de paroisse longtemps déjà avant l’érection de l’Etang-Bertran en commune autonome (1895).

 

A mon sens, il est même probable que cet édifice existait depuis une époque reculée et qu'il bénéficiait, dès l'époque médiévale, de fonctions curiales presque aussi étendues que celles d’une paroisse (baptêmes, enterrements, mariages…).  Dans le sens de cette hypothèse, on peut notamment citer, à titre de comparaison, l’exemple de la chapelle de Hautmesnil, à Saint-Sauveur--le-Vicomte, bénéficiant au Moyen-âge de toutes les attributions d’une véritable paroisse. Ce phénomène s’explique en particulier par l’étendue considérable des territoires paroissiaux associées aux grandes baronnies du Cotentin. Notons d’ailleurs que la chapelle Saint-Georges de Hautmesnil, bien que clairement attestée en 1318 comme exerçant les principales fonctions curiales, n’est pas citée non plus dans les inventaires ecclésiastiques des XIIIe et XIVe siècles. Mais le silence de ces sources traduit probablement l'embarras des autorités diocésaines face à l'existence de ces sanctuaires "non déclarés", subsistant manifestement hors de tout contrôle épiscopal à l'usage de communautés d'habitants résidant au cœur des marais ou des forêts…

 

Le vocable de  Siméon Stylite, saint ermite mort à Antioche en 459, est pour le moins surprenant. Un vocable identique désigne également une chapelle située à Portbail et Siméon le Stylite figure également sous forme de statue dans la chapelle Sainte-Anne, anciennement Sainte-Croix des Bois, de Bricquebec. D’après la carte de Mariette de la Pagerie, une autre chapelle Saint-Siméon existait à Quettetot, à l’intérieur d’une portion de la forêt de Bricquebec jadis nommée le « bois de la Houlette ». A Quettetot toujours, il existe dans l’église paroissiale une statue d'époque Renaissance représentant cette fois le vieillard Siméon des évangiles. Le vieillard saint Siméon est également représenté par des statues du XVe ou XVIe siècle conservées dans les églises de Breuville, Neuville-en-Beaumont et Aumeville-Lestre. L'église Saint-Georges de Néhou abritait au XVIIe siècle un autel et une chapelle dédiés à Saint-Siméon. Sur la frontière du Cotentin et du Bessin, il existe à Neuilly-la-Forêt une fontaine réputée miraculeuse consacrée à saint Siméon. Il existe aussi Sainte-Honorine des Pertes les ruines d'une chapelle saint Siméon, qui faisait avant guerre l'objet de processions populaires. A Honfleur - bourg portuaire jadis placé sous le contrôle des Bertran de Bricquebec/Roncheville - se trouve une ferme Saint-Siméon, célèbre pour avoir abrité de nombreux peintres de la côte Fleurie.

 

Hors, il faut peut-être rapprocher le culte de Siméon à celui de saint Georges, officier de Cappadoce martyrisé en Palestine, autre dévotion largement répandue en Cotentin.

 
       
 

Le culte de saint Georges est généralement associé au récit de la Chronique de Fontenelle, relatant l’arrivée miraculeuse d’un fragment de la mâchoire du saint, un bout de la sainte Croix ainsi que d’autres reliques, au port de Portbail en l’an 747. Notons aussi que le saint Blaise, jadis honoré dans une autre chapelle de Bricquebec, était également un saint oriental, originaire comme Saint-Georges, de Cappadoce. La diffusion du culte de saint Siméon à Portbail, domaine relevant de l’abbaye de Fontenelle à l’époque carolingienne, signifie peut-être que les reliques du saint se trouvaient dans le même convoi que celui qui contenait la mâchoire de saint Georges. L'association du vocable de la Sainte-Croix et d'une statue de saint Siméon dans l'ancienne chapelle des chanoines de la baronnie de Bricquebec pourrait étayer cette piste. De même que l’on a expliqué la diffusion du culte de saint Georges par les évènements de 747 et l’action missionnaire de l’abbaye de Fontenelle, il faudrait ainsi expliquer de même celui de saint Siméon en Cotentin.

 

Mais il se pourrait aussi que la diffusion conjointe d'une dévotion au vieillard saint Siméon des évangiles et au stylite de Syrie traduise une confusion autour d'un même personnage, dont le culte apparaît nettement concentré autour de Bricquebec, notablement à l'intérieur de paroisses dépendant directement de l'encadrement paroissial exercé par les chanoines de la baronnie (Quettetot, Breuville, l'Etang-Bertran). La dévotion de ces mêmes chanoines pour saint Siméon étant en outre signalé par l'existence d'une statue située dans leur chapelle (cette œuvre en bois est seulement du XVIIe mais elle peut traduire la persistance d'un culte bien antérieur), il est en tout cas permis de supposer que ce culte soit lié au ministère pastoral des chanoines de la baronnie.

 

 

Statue de saint Siméon

(Cliché de la Conservation des antiquités

et objets d'art de la Manche).

 
     
 

L’abbé Lebreton indiquait dans son ouvrage publié en 1902 que l’église « ogivale » avait « été construite, il y a une trentaine d’années ». Cette mention convient assez bien avec l’aspect XIXe de l’édifice actuel. On se souviendra que l’existence de cette église neuve incitera en 1895 les paroissiens de l’Etang, qui ne souhaitait pas participer au financement de la nouvelle église de Bricquebec, à obtenir, en même temps que Rocheville, leur érection en commune autonome.

 

Cet édifice en grès local adopte un plan orienté en croix latine, avec tour de clocher portant sur la chapelle latérale sud, située à la jonction du chœur et de la nef. Bien qu’elle semble correspondre à un projet unique, cette disposition est commune à de nombreux édifices religieux du Cotentin, construits par agrégation progressive de divers éléments (les chapelles venant généralement s’ajouter, à partir des XIVe et XVe siècles, à une nef et un chœur plus anciens). La forme ovoïde du clocher coiffé « à l’impérial », encadré d’une balustre à quadrilobes ajourés, constitue la principale originalité de cette architecture. Il faut sans doute le rapprocher de celui de l’église abbatiale de la Trappe de Bricquebec  Le mobilier intérieur recèle peu d’éléments anciens : quelques éléments de retables, aujourd’hui visibles dans la chapelle nord, sont datables du XVIIe siècle.

 

Le tympan du portail occidental est sculpté d’une représentation assez maladroite de la Résurrection du Christ. Jésus s’élève dans les nuées tandis qu’un ange supporte le couvercle du sépulcre. Deux légionnaires romains assoupis occupent le premier plan. Au revers de la façade, un second tympan illustre la déploration du Christ mort.

 
     
 
 
     
   
  L'ETANG-BERTRAND
  CC 40.03 COEUR DU COTENTIN
   
  LE MOULIN
         
 
 
     
 

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J. Deshayes, 14/03/2004

 

Les seigneurs de Bricquebec possédaient la jouissance de plusieurs cours d’eau situés sur le territoire de leur baronnie :

    L’Ouve, depuis le pont de Sottevast jusqu’au « moulin de la Fosse en Golleville au lieu-dit le Gravier où il y a encore de présent quelques masures de murailles » (aveu de 1696)

    La Sye, depuis sa source, située à Saint-Martin-le-Gaillard, jusqu’à son débouchée dans l’Ouve.

 

Ils exerçaient sur ces rivières plusieurs droits, dont le droit de curage, permettant :

 

« sur l’annonce qui était faite par le procureur de la justice du seigneur, qui fixait un jour pour cette corvée générale, tous les vassaux étaient tenus de venir curer les douves et fosses du château, les étangs et réservoirs, les rivières ». Ils avaient le droit d’établir des pêcheries et possédaient plusieurs moulins, situés à Bricquebec, Négreville, Magneville, le Vrétot et Surtainville. On apprend aussi par ces documents que les vassaux des barons de Bricquebec étaient tenus de plusieurs devoirs liés aux différents moulins : « à cause ded. Moullins m’appartiennent et sont deubz plusieurs services particuliers, tant de charriages de meulles au grain, réparations de chaussée, carier les (  ) que autrement : Et sont tenus mes hommes de mad. Seigneurie subjectz aller faire moudre leurs bleds ausd. Moulins, sous peine de forfaiture ».

 

Le moulin de l’Etang-Bertran est signalé pour la première fois dans un document de peu antérieur à 1204, faisant état de la donation aux prêtres de la chapelle Sainte-Croix (actu. Ste-Anne) d’une rente de 22 quartiers de froment à prendre sur le moulin de « l’Estanc ». L’acte  mentionne également le don de la dîme des anguilles de la pêcherie de ce moulin et de la pêcherie située sous le moulin (« decimam anguillarum piscature ejusdem molendini et piscaturam quam habere consueverunt sub eodem molendino »).

 
     
 

Chaussée de L'Etang-Bertrand , CPA collection LPM 1900

 
     
 

L’Estang-Bertran est de nouveau cité dans un aveu rendu en 1456, indiquant qu’il y existait encore un moulin mais qu’il « souloit en avoir deux », ce qui signifie qu’un des moulins avait été détruit ou laissé en ruine. En 1786, il est précisé que le moulin de l’Etang « consiste en deux roües, l’une pour le froment et le sarrazin, l’autre pour l’orge. Tous les instruments servant à faire farine appartiennent à la dame du lieu. Le droit de moute est au 16e. Il mout toute l’année, les eaux y sont suffisantes ». Le moulin était alors affermé à Jean Levéel, moyennant 2200 livres de fermage, englobant aussi 19 vergées de terres et herbages. Ce document indique aussi que « les individus sont le meunier et son épouse, quatre enfants dont l’aîné à 9 ans et cinq domestiques. Payent au roi 300 livre d’imposition et 40 livre de sel ». Il est encore précisé que « le moulin a besoin d’un corps de bâtiment pour loger le meunier et sa famille, attendu qu’il n’y a qu’une chambre à ce moulin, et qu’il est obligé de louer dans le village ».