PIROU
  CC 10.10 DU CANTON DE LESSAY
   
  LA TAPISSERIE
         
 

Pirou: tapisserie executee au point"bayeux", un pelerin revenant d'italie

 
 

 

Texte : Abbé MARCEL LELÉGARD.


La Tapisserie du Château fort de Pirou relate une période très dense de l'histoire normande, de l'arrivée des Vikings sur les côtes du Cotentin jusqu'à la conquête de la Sicile.

 

C'est le poète Louis Beuve qui, le premier, a eu l'idée de réaliser une longue bande de toile de lin brodée de laine racontant la conquête de l'Italie du Sud et de la Sicile. Il souhaitait même que cette broderie puisse orner la Cathédrale de Coutances, en certaines circonstances solennelles, comme la Telle du Conquest d'Angleterre décorait autrefois celle de Bayeux, chaque année, le " jour et par les octaves des reliques ". L'artiste qui brode la Tapisserie de Pirou, avant de se lancer dans cette entreprise, s'est imposé de se faire la main en reproduisant pendant six ans des scènes extraites de la Tapisserie de Bayeux, afin de posséder à fond, non seulement la technique de ce que l'on peut appeler "le point de Bayeux", mais une parfaite connaissance des attitudes et des gestes des personnages, des postures des animaux, de la représentation des navires, des arbres... bref de se pénétrer complètement de ce qui fait le style et l'esprit de la "Tapisserie" historique des Gestes de Normandie.

 

L'expérience de cette brodeuse a permis de démontrer qu'une seule personne pouvait broder dix mètres en une année - ou trente pieds, comme on devait dire - cela à raison de trois heures de travail par jour, la fatigue des yeux interdisant d'en faire beaucoup plus en une journée.

 

Le poète se plaisait à dire que la conquête de l'Italie du Sud et de la Sicile était œuvre coutançaise ; d'autres Normands se sont joints aux fils de Hauteville, parmi lesquels des chevaliers du Pays d'Ouche.

 

Mais il demeure évident que Guillaume Bras-de-Fer, Dreux et Onfroy, et tout particulièrement Robert Guiscard et le grand Comte Roger, tous fils de Tancrède, élevés sur les terres de ce qui s'appelle aujourd'hui Hauteville-la-Guichard, ont étés les principaux conquérants et les principaux organisateurs de la domination.             

 

Il importait d'aménager pour la Tapisserie un lieu d'accueil permanent. il nous a paru que nul endroit mieux que le Château fort de Pirou ne pouvait se prêter à pareille exposition. il importe de savoir que tous les fils de Tancrède ne partirent pas pour l'Italie ; Serlon, parce qu'il était l'aîné, demeura en Normandie, épousa, dit-on, la fille d'un Seigneur plus puissant et plus riche que son père, le Sire de Pirou, et, en bonne logique, vint se fixer sur la position, comme on dit en Normandie, que sa femme lui apportait lorsque son père la lui laissa.

 

Notre Telle du Conquest de Sicile, qui se veut de caractère populaire et merveilleux ne s'embarrasse point de subtilités chronologiques. A la manière populaire des Évangiles apocryphes qui rassemblent des éléments épars pour les réunir dans un récit d'apparence cohérente, notre Tapisserie suppose, dans ses premiers mètres, n'être qu'un seul et même personnage, un pèlerin dont nous parlent trois sources différentes, qui nous en révèlent chacune un aspect.

 

Le Roman de Rou, de Maître Wace, nous apprend que lorsque le Duc Robert le Libéral, père de Guillaume le Conquérant, mû de dévotion, se rendit au Saint Sépulcre à Jérusalem, il rencontra un pèlerin de Pirou qui lui demanda quelles nouvelles de son Duc il devrait rapporter en Normandie: "Dites, dit-il, à mes amis -et à la gent de mon pays -que, as diables, trestout vis (vif) -me fais porter en paradis". L'on notera avec intérêt que le Duc ne tutoie point le pèlerin : ce devait être un personnage respectable, considérable ; d'aucuns en ont conclu que ce devait être le Seigneur de Pirou.

 
 

 

Par ailleurs, les historiens nous relatent que c'est un pèlerin revenant des Lieux Saints et qui, en raison d'un vœu, était passé par le Mont Saint-Ange, sur le Gargan (Monte Gargano), qui avait appris à Tancrède de Hauteville et à ses fils quels étaient les exploits des premiers Normands arrivés en Italie du Sud.

 

Enfin Pirou et Hauteville sont proches de Périers, gros bourg appelé à devenir le siège d'un baillage et le centre d'un marché. Or, à Périers, l'on conserve une parcelle de la vraie Croix, rapportée, à ce qu'on dit, à une époque fort reculée du Moyen Age par un chevalier du Cotentin revenant de Terre Sainte, et dont le cheval se cabra et refusa de franchir le gué de la rivière de Holecrotte qui coulait à 120 pieds à l'ouest de l'église du lieu. Les cloches se mirent en branle sans que personne ne tire les cordes, les cierges s'allumèrent sans intervention humaine (des merveilles du même genre sont racontées dans les Miracula du Livre noir -du XIe siècle -de la Cathédrale de Coutances). Bien sûr, le chevalier déposa la précieuse relique, et l'église de Périers devint alors le lieu d'un pèlerinage à la Croix du Sauveur, qui attirait de grandes foules le Vendredi Saint.

En fusionnant ces trois sources, notre récit imite probablement la croyance populaire du Moyen Age, qui a confondu en une seule trois personnes bien distinctes: Marie de Magdala, disciple de Jésus, Marie de Béthanie, et la pécheresse anonyme dont parle Saint Luc dans son chapitre VIIe... Elles avaient en commun la vénération pour le Christ. La première acheta des parfums pour son ensevelissement : les deux autres en répandirent sur sa tête et sur ses pieds au cours de deux festins, parfois confondus en un seul.
Pour que la Tapisserie s'achève, il lui reste à relater l'achèvement de la conquête de la Sicile, les opérations militaires de Robert Guiscard en Grèce et la conquête d'Antioche par son fils Bohémond, mais déjà nous pouvons mesurer l'importance de l'Empire Normand en Méditerranée.

 
     
 

Pirou: tapisserie executee au point"bayeux", le couronnement de guillaume bras de fer