AVRANCHES
  CC 03.01 AVRANCHES - MONT-SAINT-MICHEL
   
  LES FETES D'AVRANCHES EN 1854  -3/7
         
   
         
 

Troisième Journée.

VENDREDI.

     

Exposition des Fleurs. - Bal à l'Hôtel-de-Ville.

 

     La transition avait été une soirée offerte par M. le Sous-Préfet aux étrangers, hôtes de la cité, avec cette réception cordiale, ce don des nuances et cette vivacité spirituelle qui le distinguent. Cette réunion d'archéologues et de savans avait été vivement impressionnée par l'apparition nocturne du Moyen-Age, à la lueur des torches, représenté par quelques chevaliers, hérauts et varlets. C'est ici le lieu d'énumérer ces célébrités, particulièrement provinciales, et de leur payer la dette de la reconnaissance pour l'honneur qu'ils nous faisaient, même en n'apportant que leurs noms. C'étaient M. de La Sicotière, qui a éparpillé sa riche imagination en cent opuscules étincelants ; - M. Bordeaux, le savant et spirituel auteur d'un livre sur la Décoration des Églises ; - M. Lecourt, de Dinan, qui va publier une épopée du Moyen-Age, l'Alexandriade : - M. Biseul, de Bain, la science romaine de la Bretagne ; - M. de Cussy, l'actif et spirituel membre de vingt associations ; - M. Lecocq, auteur d'un ouvrage sur Dinan ; - M. Danjou, auteur d'opuscules sur les antiquités celtiques de l'arrondissement de Fougères ; - M. Dubuffe, peintre ; - M. Legrain, peintre, de Vire ; - M. Morière, secrétaire général de l'Association ; - M. de Milly, auteur de Mortain, des Causeries du Soir, des Matinées de la Gravière, du Journal d'un Solitaire ; - M. l'abbé Petit, secrétaire général de la Société Française ; - M. de Genouillac ; - M. l'abbé Mullois, auteur du Manuel de Charité ; - M. de La Ferrière, auteur d'ouvrages très-distingués ; - M. Octave Feuillet, dont on ne nomme plus les oeuvres, et qui, un de ces jours, aura l'honneur qu'on traite impoliment son nom.

 

     Avranches, qui est la cité des fleurs, - des fleurs que les Grecs appelaient la Fête de la vue, - car son territoire est un parc et son centre est un parterre, Avranches, dont le principal commerce est la fleur, avec son ancienne renommée de bouquetière, avec son Jardin des Plantes, avec son Cercle horticole, avait, en ouvrant une exposition, de grandes espérances à satisfaire ; mais avec les collections de ses horticulteurs, peintres ou créateurs de corolles nouvelles, lauréats en vingt expositions, avec le zèle et l'intelligence du bureau du Cercle horticole, de MM. Le Marchand, président, Delaunay, secrétaire, Jouenne, trésorier, Lebreton, vice-président, Baubigny, archiviste, Levallet, vice-secrétaire, elle pouvait y répondre. Aussi son exposition florale a été une des trois beautés de cette période enchantée. Le cadre répondait au tableau : c'était un triple portique rustique, formant corps et ailes, soutenu par des troncs et des branches de tilleuls, embrassant la noble statue du général Valhubert, étonné d'être à pareille fête, ou, comme on eût dit naguères, s'éveillant de la mort dans les Champs-Elysées. Sous ces arceaux ramifiés, des gazons, des fontaines, des jets d'eau, des bordures décoraient les fleurs, qui brillaient en massifs, en groupes, en bouquets, ou en beautés isolées, éblouissant le regard en masse pour le charmer en détail. Il y en avait de toutes les patries, de tous les climats, de tous les types pour le dessin, de toutes les nuances pour les couleurs, de tous les caractères moraux et intellectuels pour les physionomies, les airs fiers ou penchés, exhalant leurs âmes diverses dans leurs parfums variés, ou les confondant dans un air embaumé, végétaux pour les botanistes, peinture pour les jardiniers, joyaux pour les femmes, formes pour les artistes, créatures pour les poètes, amour pour tous. Eh ! Messieurs des Jurys, vous, Public, et nous Rapporteurs et Raconteurs, soyons généreux et reconnaissans pour tous ces hommes qui ont fait leurs plantes après Dieu.

 

     Pour passer en revue toutes ces tribus de Flore, nous ferons de larges emprunts au secrétaire du Jury, M. Em. Lepelletier, tout ensemble peintre et descripteur.

 

     En première ligne se présente l'exposition d'un horticulteur de courage et d'initiative, dont on proclame la supériorité, et qui a propagé au loin le renom horticole d'Avranches, M. Baudry : voici ses cent vingt géraniums, cent vingt rivaux, phalange aux beaux noms, dont quelques-uns sont les fils de ses heureuses combinaisons ; voici ses fuchsias, du choix le plus sévère pour le port, la forme et la couleur ; voici ses achimènes et ses gloxinias, ses fines verveines variées, ses petunias, dont plusieurs sont des créations ; ses calcéolaires, végétation vigoureuse, floraison opulente ; ce massif de toutes nuances, de toutes formes, de tous parfums, c'est un groupe de variétés d'élite, de bruyères, lantanes, lis et glaïeuls, crinoles, passiflores, héliotropes ; ce groupe sévère, dont la distinction est dans la finesse du vêtement et l'élégance du port, nous allions dire de la démarche, c'est une société de conifères exotiques dont plusieurs sont d'une grande rareté. Ici est une collection très-riche de plantes et arbustes variés de serre chaude, de serre tempérée, d'orangerie et de pleine terre ; là, une autre collection de plantes, et notamment un Sipanea carné et un Torenia asiatique, d'un développement considérable, spécimen de la perfection où la culture peut élever un végétal ; enfin, de ravissans bouquets de roses et d'oeillets coupés, ce triomphe d'Avranches ; parmi lesquels brille la plus belle création de M. Baudry, la rose panachée, dite Mme Campbell. - M. Lesoutivier expose une nombreuse collection de géraniums, provenus de ses semis et de ceux de son prédécesseur, M. Bataille, dont le nom reste écrit dans la mémoire des botanistes et sur les pétales de ses pélargoniums. - M. Baubigny, l'intelligent et zélé conservateur du Jardin des Plantes, expose un lot de plantes et arbustes, parmi lesquels se distingue un groupe de calcéolaires. - M. Lethimonnier n'offre qu'une faible représentation de ses riches cultures, dans un groupe de trente conifères. - M. Juhel, horticulteur laborieux et zélé, dont les cultures n'ont que six années d'existence, présente une collection, où se distinguent ses gains surtout en fuchsias et en géraniums. - M. Lebreton, le jardinier paysagiste, offre sa collection de plantes et arbustes. - M. Legros, jardinier de M. Le Moine des Mares, présente de beaux spécimens des riches collections qu'il cultive, et se distingue parmi les créateurs d'oeillets. - On remarque le groupe trop peu nombreux de M. A. de Pracontal, ses orchidées épiphytes, un Chamerops et un Dracoena brasiliensis, un bambou de pleine terre, un Arundinaria falcata, d'un développement considérable, et quelques feuilles de rhubarbe australe, de la plus belle dimension. - M. Lion expose quelques branches de groseiller épineux, chargées d'un nombre prodigieux de fruits magnifiques, fructification due au système de taille de M. Campbell ; il expose encore quelques beaux échantillons du champignon comestible. - L'intérêt qui s'attache maintenant à la pomme de terre, le pain du pauvre et le mets du riche, la pomme de terre, dont Louis XVI porta tout un jour la fleur à sa boutonnière, donnait un nouveau prix aux beaux produits de MM. de Verdun de la Crenne, Joly, jardinier de M. de Pirch, Baubigny. - Sur les limites de l'Horticulture apparaissent des tiges vigoureuses de froment d'Odessa, d'Italie, de Rostock, de seigle de Jérusalem, d'avoine et d'orge du pays, envoyées par MM. Hauduc, Hersent, Lemaistre, Poulain.

 

     Mais voici un autre parterre : ce sont les mêmes fleurs avec d'autres, s'embellissant réciproquement ; car c'était jadis une grande question, que nos temps noirs et sérieux ont laissée sans solution, si c'est la rose qui embellit le visage ou si c'est le visage qui embellit la rose. C'est la deuxième splendeur de ces fêtes, c'est le Bal. Oui, cette ville experte en ces matières, Avranches la Pimpante, comme on dit avec une légère nuance de malice, Avranches la Brillante, doit-on dire sérieusement, s'est surpassée dans son bal enchanté. Elle s'en est rapportée à ses femmes pour la parure, et pour la décoration à des Commissaires, gens d'esprit et de goût, qui ont orné la salle avec éclat, et, en l'inondant des lumières d'un lustre étincelant de fusils, de sabres et de baïonnettes, ont donné à entendre qu'en ces temps de guerre on dansait sous la protection des armes. Les âmes se sont partagées, et tout en suivant les pas, les choeurs et les tourbillons, elles ont suivi le marin sur les flots, le soldat dans les camps et les montagnes, dans le branlebas du vaisseau ou la charge sur la plaine. Noble est l'âme qui pense aux absens dans les prestiges du plaisir ; heureux est celui qui est l'objet de cet hommage du coeur ! Historien reconnaissant, nous devons les noms des Commissaires du Bal : MM. Fritz Millet, Sylvain de Saint-Brice, Belomme, Crowdy, Paul Dupray. C'est au goût et à la libéralité du dernier que le Bal devait son plus gracieux ornement, la grande corbeille elliptique, qui pyramidait au centre de la salle, opulent trésor de fleurs splendides et rares. La salle était revêtue de coutil, comme une tente militaire, semblable, sauf les trouées des balles, à la tente sous laquelle un général d'Afrique abrite, parmi nous, sa verte et studieuse vieillesse. La France et l'Angleterre, depuis longtemps associées dans les bals d'Avranches, s'unissaient plus étroitement encore dans cette fête, où se mariaient les drapeaux des deux nations, et, sous cette couronne flamboyante, les cœurs battaient des mêmes terreurs et des mêmes espérances. Malgré l'excessive chaleur, on dansa jusqu'à cinq heures du matin.

 

     Cette journée peut se résumer en deux mots empruntés à Flore : les Belles-de-Jour, Convolvulus ; les Belles-de-Nuit, Mirabilis.