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Saint-Quentin CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
Avranchin monumental et historique Par Édouard Le Héricher
Un fort bien emparé, an superbe dongeon, Lequel on nomme encore, a l'antique manière Malgré la faux du Tans, le Fort de Lyruianière. (J. DU VlTEl.)
Les limites naturelles dessinent généralement les contours de cette commune : au nord la rivière du Lait-Bouilli, à l'ouest la route royale, à l'est la rivière d'Oir et un de ses affluents , au sud les méandres de la Sélune , découpant profondément le rivage en cinq ou six presqu'îles ou Holmes, qui expliquent l'affixe du nom communal, Saint-Quentin-sur le Homme. D'ailleurs cette idée d'île est gravée partout sur le sol : vous trouvez l'Ile, l'Ile Manière, le Homme'. Le sol est très-accidenté et ondulé en trois ou quatre monts qui commandent le bassin de la Sélune et la baie du Mont Saint-Michel. L'un d'eux est couronné d'un dôme de verdure, ou foutelaie de l'Ile Manière; l'autre porte le village et l'église; un troisième se dresse au confluent de l'Oir et de la Sélune, et laisse voir , avec les prairies de Ducey et leurs horizons boisés, le Mont Saint-Michel, dont la base n'émerge pas encore des sables , et qui, par une vue nouvelle, semble faire partie de la terre ferme, à côté de la foutelaie de l'Ile Manière, comme un manoir près de sa forêt. Le ruisseau de Guyot, qui passe entre les deux dernières hauteurs, divise la commune en deux parties à peu près égales, et baigne le Logis de Saint-Quentin a. La limite occidentale expire à ce Pont au Bault que la tradition attribue au diable ou à cette bonne Anne de Bretagne , la Brette moult regrettée de Louis xn, qui bâtit beaucoup de ponts et tant d'églises qu'elle fut dans son pays la grande logeuse du bon Dieu.
Saint-Quentin est latinisé en Fanum Sancti Quintini suprà Hulmum. Ce nom est d'origine latine. Le saint qui le porta, et qui vivait au Ine siècle, était romain et de famille sénatoriale.
Un Hugues de Saint-Quentin était à la Conquête : il était Tenant en chef dans les comtés de Dorset et d'Essex '; mais il n'est pas probable que le Hugues de la Conquête appartînt à l'Avranchin. En 1082, les seigneurs Regnault, d'Avranches, étaient, sinon seigneurs de Saint-Quentin, du moins de la terre des Regnauldières, dont le nom a été altéré en celui des Esnaudières2. Le logis seigneurial était à peu de distance de l'église, au flanc d'un coteau dont le pied est baigné par le ruisseau de Guyol : il a conservé une tourelle et une chapelle du xvir siècle. La tradition conserve le souvenir de quelques droits féodaux attachés à ce castel, que l'on croirait inventés par quelque malin fableor, s'ils n'étaient attestés par l'histoire et si l'on ne savait que la redevance féodale était aussi souvent un signe de suzeraineté qu'une rétribution lucrative. Le seigneur de Saint-Quentin devait conduire au Mont Saint-Michel un œuf garrotté dans une charrette traînée par huit bœufs3. Une autre obligation était beaucoup moins honnête: nous y ferons une simple allusion, en empruntant les expressions d'un grand écrivain , pour un sujet analogue : « Cabrioles accompagnées d'un bruit ignoble et impur4. » La principale famille seigneuriale de cette paroisse fut celle des du Bois. Les seigneurs de Saint-Quentin sont assez souvent cités dans les documens historiques : voici ceux que nos recherches nous ont fait rencontrer. Un seigneur J. du Bois, de Saint-Quentin, est cité au xiv siècle, dans les comptes de Jean Flamant, trésorier des guerres. Pour le siècle suivant, nous trouvons les du Bois, mentionnés dans les titres du château de Ducey. Au XVIeme siècle, uu seigneur de Saint-Quentin était gouverneur de Fontorson et figurait parmi les royaux '. A la fin de ce siècle, en 1580, Jean de Vitel dédiait un sonnet au seigneur de Saint-Quentin sur le Homme, qu'il représente comme un homme valeureux. Nous savons par une charte qu'il s'appelait Cabriel3. En 1575, il avait eu un différend avec Gabriel de Montgommery « parce qu'il avoit faict faire un estang duquel la chaussée retenoit l'eau tellement que nul ne pouvoit passer par le chemin accoustumé... et faict asseoir barres et porte sur la chaussée d'un aultre estang où estoit le grand cheminordinaire des charretiers, chemin ancien des paroisses de SaintLaurent et Ducey à Avranches. » Le sonnet que lui adressa Vitel exprimait une idée noble et hardie, qui s'est même trouvée une prophétie, appliquée à un homme dont la mémoire n'a guère été conservée que par le poète:
Bien que Tous esgalliei tous seigneurs valeureux, Soit à bien essayer un cheval en carrière, A rompre courageux une lance guerrière Et à dresser de Mars les «cadrons furieux. Lors dans la foule un bel ange caché S'avance et dit : par une sainte aumône, Faite en secret pour le Dieu qui pardonne, Fut effacé cet horrible péché. . ,.
Bien que soubz le fardeau du harnois belliqueux, Smifllant et haletant tout couvert de poussière, Faisant de votre front couler une rivière, Vous costoyei de prés un Hector généreux,
Souvenez-vous pourtant que tous ces braves gestes Qui vous ront enrollant avccques 1rs célcst«s, IViiront par le tant, 01 félins de renon,
S'ils ne sont engravez au marbre de Mémoire D'une main poétique, ainsi vit or la gloire Par t'Homeriq' ciseau, du preux Agamemnon.
Les du Bois continuent à être les seigneurs de Saint-Quentin durant le siècle suivant. En 1691, un d'eux fut l'objet d'une condamnation capitale, prononcée par le Parlement de Rouen9. C'était une vilaine histoire dont l'acte du Parlement n'avait conservé que le fait principal, voilé sous les formes judiciaires et la gravité magistrale. Un Vivien de La Champagne, lieutenant-général du bailliage d'Avranches, charge presque héréditaire dans cette famille, avait une fille qui enflamma les désirs du seigneur de Saint-Quentin. Celui-ci avait un fils: la demoiselle fut demandée en mariage pour lui; mais sous le voile des négociations, René du Bois, le père, suborna celle dont il semblait vouloir faire sa belle-fille, l'enleva de la maison paternelle pendant la nuit, la conduisit à Fougères, chez une sage-femme où elle mit au monde un fils de ses œuvres, qui mourut mystérieusement. Le sieur du Bois fut arrêté avec un de ses laquais et conduit dans la prison de Coutances. Il gagna le geôlier et passa avec lui dans les îles anglaises. Le Parlement de Rouen condamna par contumace le gentilhomme à avoir la tête tranchée, et le laquais et le geôlier à être pendus sur la place du Vieil Marché. Telle est l'histoire qu'on peut lire dans un parchemin du château de Ducey. En 1698, nous trouvons comme seigneur de Saint-Quentin F. René du Bois, sans doute son fils, auquel le roi avait rendu les biens paternels qui avaient été confisqués. Aujourd'hui cette famille est éteinte, le logis est une ferme : il ne reste que ces souvenirs, et nous ajouterons à la pensée de Vitel que si l'histoire seule conserve la gloire, elle aussi conserve la honte.
Saint-Quentin était une terre de noblesse. Nous avons déjà cité le fief des Regnault, les plus anciens gentilshommes de l'Avranchin, à coup sûr, et le Logis du seigneur de la paroisse. Il y avait encore le fief de Verdun, dont le Tenant au xV siècle était Jean de Verdun , dont Montfaut constata la noblesse en 1483 ; fief qui était en 1644 au sieur de Villers avec la terre de Montidière. Il y avait le fief de la Peschardière , avec sa chapelle de Sainte-Anne , taxée à 40 liv Il y avait surtout le château de l'Ile Manière, possédé par les de Vicques, dont la terre appartint au Mont Saint-Michel. Quand M. Foucault dressa sa Statistique de la Généralité de Caen , il signala comme seigneurs à Saint-Quentin , F. René du Bois, J. de La Morinière, de La Morinière de Guerout, A. duQuesné, J. et R. du Mesnil-Adelée, et le plus noble de tous, le Mont Saint-Michel6. C'était une ligne de châteaux depuis le Quesnoy jusqu'au castel de Ducey; c'était une ligne de, fêtes, d'intrigues, de chasses, et de joyeusetés aux dépens des vilains. Saint-Quentin avait aussi ses demi-gentilshommes, ceux qui prétendaient à une noblesse qu'ils ne pouvaient prouver: ainsi Montfaut déclara non noble F. Giraut, de Saint-Quentin, en même temps qu'il faisait la même déclaration contre J. le Gay, de Poilley, qui ne pouvait prouver quatre générations1. Il y avait encore le fief de la Bochonnière, le Château-Vert, le Mes Henri. Mais de ces terres seigneuriales , la première est l'Iie Manière. | ||||||||||||
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L'Ile Manière, ou l'Ile du Manoir, est située sur un holme de la Séluire, au pied du mamelon couvert de cette belle foutelaie qui ressemble à une coupole de verdure ou à un gigantesque tumulus. Bâti sur la Sélune, aux rives blanches de tangue, a l'endroit où elle n'est plus rivière et n'appartient pas encore à la mer, abrité sous sa luxuriante foutetaie , entouré de jardins où s'associent la régularité et les caprices d'un art plus récent, le château de l'Ile Manière est la plus belle villa des environs d'Avranches. Nous ne concevrions pas de plus beau site dans le pays, si la vue de la baie du Mont Saint-Michel n'y était pas l'élément le plus beau et dès-lors nécessaire d'une belle habitation : l'Ile Manière la pressent, mais ne la voit pas. Le château, construction moderne , au caractère italien, empreint dans ses perrons , ses balustrades et ses formes arrondies, ne remonte pas au-delà d'une quarantaine d'années. C'est une chétive antiquité aux yeux de l'archéologue et du poète qui rêvent du château mythologique , aux diamantines tours, que fonda sur ce promontoire le dieu Lyrmano, dont l'habitation, selon la règle d'alors comme d'aujourd'hui, s'appela Lyrmanière; c'était le théâtre de ses amours:
II contemple et le front et les yeux D'une nymphe qu'il prend , et d'un jeune courage La tenant par la main , saute dans un bocage Où il feist puis après cimenter de son nom Un fort bien emparé, au superbe dongeon, Lequel on nomme encore, a l'antique manière, Malgré la faux du Tans, le Fort de Lyrmanière.
Mais les souvenirs historiques de ces lieux sont plus anciens que l'édifice actuel. Le principal est celui de de Vicques sieur de La Morinière , chanté par Vitel, et illustré par sa reprise du Mont Saint-Michel et par sa mort. Dans un temps où les poètes faisaient remonter la généalogie de leurs héros, qui étaient aussi leurs patrons, jusqu'au-delà des temps historiques , Vitel eut le mérite de ne reculer celle de son héros qu'à l'époque de la Conquête, ou du moins ne franchit pas les limites de l'histoire de France:
La estoient entaillez les gestes héroïques Que jadis avoient faicts tous les seigneurs de Viques , Suyrant les estendarts tant des princes François, Que du duc des Normands sur les sillons Anglois, Lorsque le bras vaillant du conquéreur Guillaume Unit à son duché le metaillier royaume Des superbes Anglois, qu'Edouard, son cousin, Luy légua justement approchant de sa fin.
C'était une flatterie de poète : Vitel ne connaissait point les Listes de la Conquête , dont aucune ne porte le nom de son héros'. Il poétisait sans doute une prétention ordinaire dans la noblesse normande , dont les plus antiques familles datent de la Conquête; mais de Vicques eut son illustration personnelle, qui en vaut bien une autre. | ||||||||||||
Louis de La Morinière, sieur de Vicques, enseigne du maréchal de Matignon, était seigneur de l'Ile Manière vers la fin du XVIeme siècle. L'an 1577, une troupe de vingt-neuf pélerins pénétrèrent, à huit heures du matin, dans le Mont Saint-Michel, portant sous leurs robes et mantelets des pistolets et des poignards. Ils avaient choisi le jour de la Madeleine, pendant lequel les moines et les habitants du Mont se rendaient en procession à la chapelle de la Madeleine, qui était au village de la Rive, en Ardevon. Après avoir déposé, pour obéir aux règlements, leurs armes apparentes au corps-de-garde, ils montèrent au château, entrèrent dans l'église, où ils chantèrent des cantiques et offrirent leurs prières. Quand ce fut le moment d'étaler les présents qu'ils destinaient à saint Michel, ils en présentèrent un qui convenait parfaitement comme offrande au prince des chevaliers. Chaque homme tira son épée de dessous sa pélerine, la fit briller aux yeux des moines éperdus; ils saisirent de Bastarnay, le gouverneur, tuèrent les moines et le prêtre qui avait dit la messe. Ensuite ils se répandirent dans l'abbaye , et une partie d'entre eux se porta sur le Saut-Gautier, d'où ils firent des signaux qui furent aperçus par leurs partisans, cachés dans un bois peu éloigné. Pendant ce temps-là les habitants qui faisaient la garde à la porte du Mont aperçurent une troupe de douze cavaliers qui galopaient sur la grève, commandés par un gentilhomme protestant appelé du Touchet. La bavolle tomba, et les cavaliers protestants vinrent se ruer avec rage sur la porte, et chercher une entrée. De Vicques, dans son manoir de Saint-Quentin, avait appris tout ce qui s'était passé : il avait couru à Avranches, où il avait rassemblé quelques gentilshommes et quelques compagnies d'infanterie qu'il avait conduits au Mont Saint-Michel. Les pèlerins huguenots, égarés dans les dédales du monastère, effrayés de leur premier succès, ayant vu repartir à travers les sables le capitaine qui devait les aider et les diriger, se rendirent à la première sommation de de Vicques. Trois gentilshommes qui étaient parmi eux furent décapités; les autres furent pendus. On prétend que de Vicques leur avait promis la vie sauve. Pour cette reprise du Mont St-Michel, de Vicques fut fait, le premier , gouverneur de la forteresse par Henri m, et René de Bastarnay, le commandant qui s'était rendu, fut cassé3. Tout ceci, dit dont Huynes, fut tenu pour miraculeux.
Cet exploit inspira à Jean de Vitel son poème le plus considérable, dédié au très - valeureux seigneur de Vicques, seigneur de l'Ile Manière, dont les allégories, les personnifications, les épisodes ne pourraient être compris sans une introduction historique. Pour plusieurs raisons il nous semble exiger ici une analyse: Vitel, de Vicques, la reprise de la forteresse peuvent se localiser dans un triangle de quelques lieues de côtés.
Depuis deux ans, Henri III, qui porte sur son front un double diadème, regnait en paix sur la France, et le soldat avait pendu au croc ses cliquetantes armes, lorsque l'Ambition se glisse dans le cœur de Thrason '. Elle lui adresse un discours homérique pour l'engager à troubler la France, à se guirlander de lauriers, et à prendre le Mont Saint-Michel. Le guerrier se lève à cette voix : il prend avec lui vingt hommes d'armes, et un jour de Madelaine, il leur fait craquer aux pieds les sablons de Tomb'Iaine. Cependant des signes merveilleux se montrent dans le ciel : vingt milans vont se percher à la corne élevée de ce dongeon qui touche à la voûte estoillée du palais flamboyant. Ici l'allégorie est transparente. Un vautour se précipite sur eux, mais quatre ou cinq des oiseaux le mettent en fuite, lorsque de l'orient arrive le roi des oiseaux, L’Armeurier de Juppin, qui seulement de son cri espandu par la nue force cette volée d'oiseaux à trembler devant lui. Déjà les soldats de Thrason, se pannonnant de gloire, introduits dans le Mont, arboraient, comme signal à leur chef, un drapeau blanc, lorsque la Renommée, se balançant dans la plaine esclairante, s'abat sur les tours aimantines de Lyrmanière, et raconte à de Vicques l'entreprise de Thrason. Sélune s'émeut, Andromaque pleure : l'Homère de Poilley n'a pas mal réussi '. Cependant Pallas se rend devant le trône de Jupiter, et le prie de favoriser l'entreprise de de Vicques. Après un gracieux accueil, le dieu engage sa fille à s'adresser à Morphée qui prend la figure d'un moucheron, et envoie au héros un songe où Phantase lui montre vingt tigres et un lion menaçant la sainte citadelle , et l'évêque Aubert qui l'appelle à son secours. De Vicques se revêt de son armure : sa cuirasse est décrite : c'est la machine poétique du bouclier2. Entre autres merveilles, elle représente les amours du dieu Lyrmano avec une nymphe, sur les bords enchantés de l'Ile Manière, Pomonc sauvée par Cratère ou Hommea, Poilley fondé par Poilleion, Ducey fondé par son fils Duceion , les exploits des de Vicques. Après la description vient nécessairement la harangue, un lieu commun de cent soixante vers4. Enfin il part, et arrive au Fort Michelean où les bourgeois d'en bas changent leurs pleurs en riz et en soulaz. Il escalade les remparts, les ennemis tombent à ses pieds, il pardonne et le poète chante : Io, deux fois Io!
Tel est le premier exploit de de Vicques dans la réalité et dans les vers de son poète. Le second eut encore pour théâtre le Mont Saint-Michel. Le 5 décembre 1589, pendant les vêpres, cinq mois après la mort de Henri m, les Huguenots de Pontorson et des environs, commandés par Gabriel n, fils du grand Montgomery, surprirent la ville du Mont Saint Michel , et, durant les quatre jours qu'ils la possédèrent, ils la pillèrent et maltraitèrent les habitants. Aussitôt que de Vicques, qui était absent, eut connaissance de ce qui était arrivé, il accourut en toute hâte, et, entrant par une voie inconnue aux ennemis, surprit tellement les Huguenots qu'ils se retirèrent, sans coup férir, à Pontorson. Quand Avranches, dévouée à la Ligue, fut menacée par le duc de Montpensier, de Vicques défendit vigoureusement ses faubourgs: il fallut se réfugier derrière les murailles, il soutint énergiquement le siége ; et, quand Odoard eut été tué sur la brèche , il reçut le commandement. Une capitulation fut signée, et Avranches ouvrit ses portes aux troupes royales. De Vicques mourut sous les murs de Pontorson. Il avait déterminé le duc de Mercœur, chef de la Ligue en Bretagne, à venir assiéger ce boulevard normand des protestants, où était leur chef, Gabriel de Montgomery. La ville fut investie par les deux chefs catholiques, le 20 septembre 1580. Montgomery avait sous ses ordres un capitaine, nommé La Coudraye, qui avait autrefois servi sous de Vicques. Celui-ci ayant un jour demandé aux assiégés si La Coudraye était avec eux, ce capitaine parut sur les murailles , et de Vicques, voulant lui faire voir un renfort qu'il avait reçu de Saint-Malo, lui proposa de venir le lendemain dîner avec lui. La Coudraye répondit qu'il demanderait la permission au gouverneur. Le lendemain de Vicques étant alié à la tranchée fit demander si La Coudraye était sur les murs; il répondit lui-même, et exigea que de Vicques parût lui-même, afin qu'il pût sur sa parole aller dîner avec lui. Le chef catholique sortit alors de la tranchée; le capitaine protestant sortit de son côté de ce qu'on appelait le corridor de la contrescarpe et se précipita sur son adversaire qui était devenu son hôte. Celui-ci surpris mit l'épée à la main, mais il ne fut suivi que de trois de ses gens, et tous les quatre restèrent sur le terrain, après s'être défendus avec un grand courage. L'épée et le chapeau de de Vicques furent portés en triomphe dans la ville par les assiégés. Dès le lendemain les Normands se retirèrent, et le duc de Mercœur fut obligé de lever le siége quelque temps après. De Vicques , qui était pour les religieux du Mont SaintMichel un sauveur et un héros, devint à leurs yeux un martyr: à cette époque d'ailleurs toutes les croyances étaient exaltées par la lutte. Dom Huynes parle de la mort de « notre bon et pieux gouverneur », et dit qu'il fut regretté de tous les gens de bien qui le connurent. « Son corps fut apporté en ce Mont, et fut enterré solennellement par les moines dans la chapelle Sainte-Anne , où l'on voit encore2 sa lance et son guidon; son casque et sa rondache sont aussi conservés en cette abbaye.... Leur fils3, J. de La Morinière , grand-doyen de l'église de Bayeux, a baillé l'an 1623 à ce monastère 45 liv. de rente pour estre à perpétuité chanté et célébré une grande messe de angelis au 23e jour de juillet de chacun an.... et à la procession avant icelle chacun des religieux porte un cierge bleu en action de graces à Dieu, à la Vierge, et à saint Michel de ce que ledit gouverneur avait reprist ce chasteau sur les Huguenots, le 22 juillet de l'an 1577.4 » Sa veuve reçut, en 1620 , les honneurs funèbres dans le même monastère. « L'an 1614, dit dont Huynes, le prieur du Mont acquit de Nie. Guichard, sieur de Villers, le fief de Verdun, la terre de l'Ile Manière et celle de Montidière, et ces biens appartenaient aux enfans mineurs de M. Michel de la Morinière, sieur de Vicques, et avaient été vendus au sieur de Villers par décret » Il y avait encore un hommage à de Vicques dans cette pieuse et reconnaissante acquisition.
La Ligue fut ardente dans l'Avranchin : de Vicques en fut le chef militaire, et François Péricard le chef religieux. Les passions y fermentèrent long-temps encore après l'abjuration de Henri iv, et au milieu des mystères qui enveloppent sa mort apparaît le mystérieux complot d'un Avranchinais, en rapport avec le duc de Mercœur. Sully a raconté , à l'année 1609, le fait dans ses Mémoires. Nous le laisserons parler:
« Le 19° doctobre vous eustes advis par un gentilhomme d'honneur, de chose qui s'estoit descouverte à la Flèche, que vous estimâtes digne d'approfondir ; et pour ce, le 20*, y envoyastes personne capable pour en reconnoistre toutes les circonstances. Ledit advis estoit tel : « A la Flèche, en la rue des Quatre-Vents, proche de l'hostellerie qui a mesme nom, appartenante à une veufve nommée Jeanne Huberson, qui loge des escoliers, là estoit logé , il y a quelques mois et est encore, un nommé M. Médor, natif d'Avranches , qui avoit sous luy quelques enfans de bonne maison. La niepee de ladite Jeanne Huberson,nommée Rachel Renaud, qui demeuroit en ce mesme logis avec sa tante, agée de vingt-six ans ou environs , atteste qu'entrant en l'estude dudit Médor, elle trouva vm livre espais d'un pied, doré de tous costez et fort curieusement relié avec des rubans d'incarnat et de bleu , lequel elle ouvrit par curiosité, et remarqua que ce livre estoit escrit environ jusques à la moitié, et partie d'ancre, partie de sang; quil contenoit aussi plusieurs signatures, la pluspart de sang, entre lesquelles elle reconnut , selon le peu de loisir quelle eust, le nom dudit Médor , d'un sieur du Noyer demeurant autour de Paris, non loin de Villeroy, et d'un sieur de Gros, natif d'Auvergne, qui a esté autrefois à M. de Mercœnr, personnes de la hantise ordinaire dudit Médor, qu'à cette occasion elle connoissoit; dit qu'elle fut fort estonnée, surtout de cette escriture de sang, et soudain voulut porter ce livre à sa tante pour le luy faire voir ; mais sortant de la chambre rencontra ledit Médor, qui le luy arracha en colère, et luy demanda ce qu'elle vouloit en faire ; respond qu'elle le vouloit seulement monstrer à sa tante, parce qu'il estoit si bien relié; et néantmoins luy demande simplement pourquoy il y avoit tant de signatures de sang, et entre autres la sienne ; luy respond quelle nen avoit que faire, et qu'on faisoit seulement serment au Pape pour luy demeurer bon et fidelle serviteur avec dévotion entière. Aussi-tost fut le livre transporté hors de la maison et de ce n'en dit rien ladite Rachel quà sa tante et à un sien cousin dont l'advis est venu ; et en parle ladite Rachel si clairement et si constamment, quil ny a aucune apparence de fraude, mesme dit quelle maintiendra ce que dessus, devant le Roy et tel autre quil ordonnera si besoin est La niepee et la tante sont catholiques romaines, le cousin nommé Huberson est de la religion. Ils ont opinion que ledit livre est de présent chez le sieur du Cros, auvergnat, cydessus nommé, demeurant chez le sieur Dreuillet, près la porte Saint-Germain, qui sort de la ville à main droite, lequel tient plusieurs enfants de bonne maison ,nommément de Bretagne, à cause qu'il a esté autrefois, comme dit est, à feu M. de Mercœur : iceluy est de la congrégation des Jésuites, et y fait bien souvent le sermon, et est celuy qui sollicite ceux qui de là viennent signer en ce livre, et par le moyen duquel ce Médoret du Noyer y ont esté introduits. C'est l'advis simplement tel quil a esté receu de la propre bouche de cette Rachel. Si l'on estime que la chose mérite d'y voir plus avant, j'y donnerai les addresses nécessaires ; moindres choses en matière d'estat ne sont point à négliger, et bien souvent font pénétrer en de plus grandes »
La chose la plus intéressante de Saint-Quentin , c'est son église. Elle a été signalée et décrite par plusieurs auteurs, deux Anglais, M. Hairby et miss Costello, et deux Français, M. de Clinchamp et M. Fulgence Girard. Le premier a parlé de sa curieuse vieille église et de son bel if du cimetière1, et a dit du paysage qu'on voit d'une des hauteurs de la commune que les clochers et les hameaux s'y montrent ça et là pour prouver que ce paradis a ses habitons. La seconde donne plus de détails : elle abomine la saleté du village, vante ses belles filles, étranges dans ce bourbier, regrette l'absence du curé, zélé antiquaire de 80 ans, et analyse ainsi l'édifice: « L'antique portail est supporté par des arcs-boutans gradués, et il a un parapet qui court sur le sommet du mur ; la porte extérieure, du style ogival primitif, est plus unie que la porte intérieure qui est cintrée et ornée, quoique sans beaucoup de détails; les piliers et les nervures de la voûte du porche sont très-délicats. Une ligne de méditions, semblables à ceux de Saint-Loup, décore la corniche. » Le troisième a fait do cette église une analyse archéologique, dont plusieurs jugements seront les nôtres. M. Fulgence Girard l'a esquissée en quelques lignes '.
L'église de Saint-Quentin offre des spécimen de tous les grands styles : le roman est représenté par le portail, les contreforts de la nef, la porte de la tour ; le gothique pur vit dans le chœur, le porche et la voûte d'un transept; le gothique flamboyant s'épanouit dans les fenêtres des transepts et du cbœur; le gothique expirant réclame le tronc, et peut-être la balustrade du porche et de la tour ; le rocaille se boursouffle dans tous les autels : l'argent était fait pour couvrir d'un dôme moscovite la tour romane gothique, quand éclata la Révolution de Juillet. Ainsi, comme le dit M. de Clinchamp, elle offre des morceaux du XIe ou XIIe siècle, du XIIIeme et du XV: nous ajoutons quelques traces du XVeme et du XVIIeme siècle.
Vue d'un certain point, l'église de Saint-Quentin offre une profondeur plus grande que ses dimensions réelles, et rappelle la sombre vasteté de nos vieilles églises, dont parle Montaigne. L'intérieur , vu de la grande porte du cimetière, offre une longue et sombre avenue, divisée par plusieurs arcades, qui s'enfonce et se perd dans le sanctuaire. Le spectacle est encore plus beau quand on regarde de l'autel le portail : l'œil interroge de vastes lointains où il reconnaît, dans les grèves ou au delà des eaux, les côtes de Bretagne, et un peu de côté le Mont Saint-Michel ». . .
Une ligne de pierres tombales usées conduit de la porte du cimetière au porche occidental. C'est peut-être le plus joli nanties du pays. Son entrée est une bonne ogive reposant sur deux colonnettes; sous sa voûte se croisent des nervures pures; son toît est brodé d'une balustre trilobée plus récente; sa façade, appuyée de deux petits contreforts, est pénétrée de deux fenestrelles. Ce joli anti-portique est du XIIeme siècle.
Les membres romans sont assez considérables : c'est le portail, les contreforts et les modillons de la nef, et la porte méridionale. Le portail, d'un roman avancé, de la fin du XVeme siècle , affecte l'élan qui présage l'ogive: les modillons à face humaine sont un souvenir de la frise de l'entablement antique qui disparut avec le gothique ; les contreforts plats attestent la simplicité primitive. La porte du midi, avec le bas de la tour, est du roman primitif, suffisamment accusé par ses formes cryptiques, et ses sculptures grossières d'images d'animaux. Les ouïes de cette tour sont des ogives naissantes, ou ogives romanes, dessinées au sommet plutôt en losange qu'en tiers-point régulier et imitant assez bien la mitre épiscopale. Elles doivent être du commencement du XIIIeme siècle. Une balustrade du XVIeme brode le sommet.
La beauté simple du xme siècle respire dans le chœur; mais il faut que la pensée renverse cet autel rocaille, ce mur de gauche si lourd et si discordant, reconstruise les colonnes abattues, et débouche la fenêtre orientale, pour faire revivre un charmant sanctuaire de cette époque, où l'art était la beauté simple et sévère. Les deux belles colonnes2 qui restent offrent dans leurs chapiteaux une Flore délicate et simple, dans l'une des ajustements de feuilles de vigne, dans l'autre des fleurs fantastiques. Les transepts sont inégaux: quelques restes mutilés de celui du midi rappellent le xur ou le xiv siècle : un tableau y masque une jolie fenêtre du XV. Celui du nord est du XVIeme.
L'ornementation n'est pas sans intérêt. Le vrai bijou est un tronc en bois, ancien tabernacle, qui étincelle de toute l'imagerie du XVIeme siècle : il porte la date de 1566. Cette boîte hexagone, d'un mètre d'élévation, est comprimée au milieu et se divise en deux étages : l'étage supérieur est découpé d'arabesques sur ses faces et flanqué de colonnettes fuselées sur les angles ; l'étage inférieur présente des colonnettes cannelées sur les angles, et des statuettes d'apôtres sur ses faces. Dans le transept du midi est un bas-relief représentant, en quatre compartiments, les quatre principales époques de la vie de la Vierge, la Salutation, l'Adoration des Mages, l'Assomption, l'Entrée dans le ciel : cette naïve sculpture représente le Père Éternel avec la tiare papale , et la Vierge avec le cercle ducal. Mais la chose la plus originale que renferme cette église est le tableau du Rosaire. C'est une peinture suave, naïve et essentiellement catholique de l'école de Cimabué et de Fra Angelico, ou de la première époque de Raphaël, école que l'Allemagne, Overbeck à sa tête, voudrait ressusciter aujourd'hui. Le ciel est rempli par le Père Éternel, à la figure douce et vénérable, et par deux anges qui jouent de la viole et de la mandoline. Quinze médaillons suspendus dans deux rosiers symboliques, chargés de fleurs , qui élancent leurs tiges du même point au bas du tableau pour l'enfermer dans leurs riches développe- mens, encadrent ce ciel, la Vierge et les dames du Rosaire, et représentent quinze scènes de la vie du Christ. Cette peinture, qui est du xvir siècle , offre une bonne imitation de cette école hiératique, que des artistes et des archéologues essaient de faire revivre1. On lit sur cette toile : Staccony. invertit et fecit 1636. Joannes Blandin dono dedit divo Quentino. Un autel du centre offre une toile fort mauvaise, mais illustrée par une légende , et, ce qui est remarquable, par une légende qui claie de la Révolution. Elle représente la Salutation : l'ange aies jambes nues : un sabre révolutionnaire «n a tranché une. Si le tronçon inférieur est si ronge , c'est que le sang a coule d'en haut, et, quoi qu'on ait fait, on n'a jamais pu lui rendre son ancienne couleur. Le xvni" siècle a orné les autels et peint quelques devants de ses brillantes arabesques. Les Fonts sont deux cuves octogones qui n'appartiennent pas à l'époque romane. En 1750, on voyait encore dans l'un des transepts un vitrail aux armes de Robert Cenalis, qui sont de gueules h la croix d'or, chargée d'un lis à trois branches de sinople dont les fleurs de lis sont d'argent, avec quatre lettres héraldiques d'or | ||||||||||||
L'église de Saint-Quentin avait pour patron le chapitre d'Avranches alternativement avec l'évêque. Nous ne trouvons dans son Cartulaire qu'une charte relative à celte église. C'est une lettre adressée, en 1260, par l'évêque Richard Langlois, à son chapitre, au sujet de l'église de Saint-Quentin, dont il lui demandait la cession. Elle est intitulée :
De pétitions donationis ecdesiarum de Sanclo Quintino tt de Ingleio:
« Ditectissimis in Christo filiis capitula Abr. Ricardiu misericordia divina ejusdem ecclesie minuter salutem in Domino Jesu Christo : scitù jus conferendi ecclesiam Sancti •Quintini et ecclesiam de Ingleio ad nos devolutum et perlapeum semestis temporis 2 universitatem vestram lenore presencium attente rogamus quatenus illud nobis conccdatis hoc vice. Datum anno Dornini 1260 mense maii. »
Les chartes des archives départementales, qui semblent former les originaux du Cartulaire de Montmorel1, renferment beaucoup de particularités relatives à Saint-Quentin.
Dans la grande charte de 1210, où sont détaillés tous les biens de Montmorel, se trouve un article pour cette paroisse:
« Ex dono W. de Bosco-Ivonù très quarterios frumenii apud S. Quintinum. »
Dans une lettre royale sur l'amortissement de plusieurs revenus du monastère est cité le suivant:
« Apud. S. Quintinum ex dono W. de Verdun militis dccem solidos turon. »
Une charte de 1235 consacre la donation d'un champ de cette paroisse:
« Ego W. Bocaut pro sainte anime mee et antecessorum meorum necnon et heredinn meorum cum assensu Gaufridi de Capella domini mei dt'di abbatie de Monte Morelli unum campum quem habebam in parrochia S. Quintini qui vocatur Campus Raine dicte abbatie contra omnes homines bona fide tenemur garantizarc, et si garantizare non potuerimus alio loco competcnti ad va titudinem tenemur excambiarc in nostra hcreditate... abbas et conventus michi caritative dederunt c. sol. tur. »
En 1263, l'abbaye reçut dans cette paroisse un don de froment par la charte suivante :
« Ego magister Thomas de Pinis clericus dono et concedo pro salute anime mee et omnium amicorum meorum abbatie de Monte Morelli quatuor quarteria frumenti, videlicet duo ad proprios usus domus et unwn et dimidium ad usus pistanciarum et dimidium ad usus infirmerie. »
Le Mès Henri est cité dans un acte de 1235 dans lequel R. Grimaut confirme au monastère « Tenementum Stephani le Couvreor quod situm est in Mès Henrici in parrochia S. Quintini, quod W. de Verdun miles elemosinavit. » Guyot et la Croute Chaucon sont cités dans la charte de la même année par laquelle « Petrus de Montemorelli tenetur reddere novem sol. cen. de duabus acris terre quas habebat in parrochia S. Quintini sitas apud Guiot in Crota que vocatur Çrota Chaucon Cette rente reposait sur un fonds aumône par un illustre seigneur : « Ego Freeslinus de Malesmcins et Johanna uxor mea pro salute animarum nostrarum concedimus abbatie de Monte Morelli duas acras terre quas ex dono Ricardi Chaucon apud Guiot possidet.... Testibus Ranulfo tune priore de Sace, Petro Chaucon decano, Botholando de Verdunio»
Ces citations paléographiques, empreintes de la foi et de la loi du Moyen-Age , termineront le tableau de Saint-Quentin, tableau relativement riche et étendu. Cette commune possède tous les éléments du passé, l'église et le château, la légende et l'histoire, la charte du moine et les vers du poète. | ||||||||||||