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Pontorson-Boucey, CPA collection LPM 1960 | ||||||||||||
Avranchin monumental et historique, Volume 2 Par Edouard Le Hericher 1866
Hugo fdius Rob. de Bosceio. (Acte de i082). De Catgeio. (Acte de i0S6).
Une forme presque circulaire, un plateau découvert, légèrement incliné vers le bassin du Couesnon : tels sont le dessin et le relief de Boucey. Pour l'aspect, c'est une plaine nue, la plus vaste de l'arrondissement, clairsemée de villages, uniforme et monotone, ou bien ce sont des marais nus comme ceux de l'ouest, ou plantés de peupliers comme ceux du nord. La limitation, indécise au nord-est, est déterminée au sud-est et au sud par le ruisseau de la Lande-Besnet, à l'ouest par le Couesnon, au nord par le canal du Marais. Deux grandes routes sillonnent ce sol uni, celle de Pontorson et celle d'Antrain. Un vaste plateau, appelé le Tertre-Burel, d'où l'on découvre une dizaine de clochers, et par un temps clair, Avranches, Granville et Cancale, commande tout le pays. C'est dans cette belle position militaire qu'était sans doute le camp, dit de Pontorson, fort de 8000 hommes, que Louis XIV établit pour surveiller les côtes de Bretagne et de Normandie, et dont il donna le commandemaut à son frère Philippe de France. Les noms des villages sont assez peu nombreux pour être énumérés. Ce sont la Cantrie, Cantaria, dont la charte sera citée plus loin, la Saudraie, près du Jonchet, le Fougerai, avec leurs noms tirés de végétaux, Martigny, ou l'habitation de Martin, la Guimbarde, d'où part le canal qui donne l'eau potable à Pontorson , le Flechet avec sa croix , d'où descend ce ruisseau de Roule-Crotte dont le nom corrobore l'étymologie plaisante de Boucey, la Couesnonnerie, Verdun , berceau ou fief d'une illustre famille, Caugé, localité importante autrefois, consacrée par les chartes et les souvenirs: aussi Boucey , Verdun , Caugé feront-ils les trois principaux objets de développemens de ce chapitre. | ||||||||||||
L'originalité de l'église de Boucey consiste dans l'absence de portail occidental : elle a un porche au flanc de la nef. La nef a été refaite en 1675 et le chœur en 1730 ; mais il reste deux fenêtres du xvr siècle avec des fragmens de vitrail. La cuve ronde du baptistère, la base des murs, la croix ronde du cimetière, une dalle usée, empreinte d'une effigie de religieux , sont les derniers vestiges de l'église dont nous parlent les chartes. Il y a dans la nef deux pierres funéraires d'un touchant intérêt : elles recouvrent chacune un époux et sa femme et tous deux de la même famille, Julien Escalot et Suzanne, sa femme , 1559, d'un côté, Jean Escalot et Anne Pasturel, 1636, de l'autre. Une dalle, parfaitement insculptée, placée près de celle - ci, est la sépulture de maître Jean Geslin, curé de Boucey, 1775. Au pied de la vieille croix du cimetière est la tombe de Masselin, doyen rural, curé de Boucey, 1739. Dans le chœur était l'écusson des Langeron, dont on ne voit plus que la pierre , qui a été mutilé dans la Révolution. La dernière révolution, plus tolérante, a laissé les fleurs de lis, d'une bonne sculpture, d'un confessional et celle du dais de la chaire. Deux statues, une sainte Barbe et une Vierge, puis de jolis vitraux bleus, blancs et jaunes, dont l'encadrement est une ligne de couronnes à fleurons élancés, et dont les seules figures sont un saint Pierre , le patron , et une Vierge, sont les principaux objets d'ornementation ancienne.
Les seigneurs de Boucey cités dans notre épigraphe sont les plus anciens que nous connaissions. Au commencement du xir siècle, Guillaume de Boucey, baron du comte Rannulfe , souscrivit à une charte relative à Ducey. Le patronage de cette église appartenait au Mont Saint-Michel auquel il fut aumôné en 1194 par Pierre deSaint-Hilaire, seigneur de Boucey. Toutefois cette aumône n'était sans doute qu'une confirmation; car la grande bulle du pape Alexandre m, de 1178, cite « ecclesiam de Buce » au nombre des églises du Mont, ainsi qu'une terre « terra juxta portam Pontis Ursonis
.Dans ce siècle , un seigneur de Boucey se fit moine du Mont Saint-Michel et rendit une charte pleine de détails curieux: | L’église de Boucey GO69 — Travail personnel | |||||||||||
L’église de Boucey CPA collection LPM 1900 | ||||||||||||
« Moi Richard, fils de Richelin de Boucey, j'avais été accablé d'une maladie grave et longue, à mon retour de Jérusalem. Reconnaissant que j'arriverais bientôt au moment suprême et que j'entrerais bientôt dans la voie de toute chair « viam carnis universe, » gémissant, pleurant et tremblant, j'envoyai deux hommes probes et vénérables, Godefroy de Pontorson, chapelain du roi, et Bernard de Boucey, mon prêtre, vers l'abbé du Mont, pour lui demander l'habit de S. Benoît. Comme c'était un homme de grand discernement « vir discret usinais, » il m'envoya le prieur de son église avec un autre frère. Etant venus, ils me trouvèrent parlant avec beaucoup de facilité et d'éloquence; ils me revêtirent de l'habit, du consentement de mon épouse. Pour cela je donnai de mon fief quatre acres de terre. Mon neveu Richard Cardon consentit à ce don, il le confirma de sa main et déposa la charte sur l'autel de S. Nicolas dans la chapelle de Pontorson , avec le livre de la messe. »
En 1162, dans sa grande charte, W. de Saint-Jean donna à la Luzerne une terre qui appartenait aux moines du Mont et en échange à ceux-ci « feodum Aiani de Buceio in quo sedet dimidia ecclesia et dimidium cimeterium Buceii, unde nobis x sol. et equiservicium persolvebat. » En 1186, Hervé de Verdun, chanoine d'Avranches, abandonna au Mont toute réclamation sur la dîme et le patronage deBoucey. Quelques années plus tard, G. évêque d'Avranches, confirma des dons faits en Boucey pour les infirmes du Mont. Voici les considérans de cette charte: « Ut liberalitates hominum locis religiosis exhibite et maxime in infirmas in perpetuum memoriter teneantur, dignum est earum noticiam fideli scriptura: testimonio conservari. Quapropter nos attendentes iitfirmos monasterii Montis S. M. de periculo maris tenues habere redditus... divine caritatis intuitu et favore religionis de assensu Capituli nostri concessimus in perpetuam elemosinam in cantaria ec. de Boceio que ad presentationem monasterii noscitur pertinere, totum bladum tocius parrochie....
Il y a eu un château de Boucey: il était situé à l'ouest de l'église , vers le marais. Il fut vendu et détruit il y a environ un siècle, et ses matériaux entrèrent dans la construction de l'église d'Aucey. Il était alors aux Langeron. Mais auprès de l'église , du côté du nord , on voit encore une vieille habitation avec un grand cintre semé de boules comme le portail roman de Sartilly, et avec un colombier. C'est la terre de Verdun. Bien qu'il y ait plusieurs Verdun dans l'Avranchin, c'est à celui-ci que nous rattacherons des détails sur cette famille, dont plusieurs sont empruntés à M. de Gerville. | ||||||||||||
Le nom de Verdun et Verdon se trouve dans presque toutes les listes de la Conquête : Bertrannus de Verdun est cité dans le Domesday comme Tenant en Chef dans le Buckinghamshire, et on dit de son manoir de Ferneham « de hoc manerio tenet Goisfridus de Mannevile dim. hid. de qua desaisivit predictum Bertrannum dum esset trans mare in servitio Regis. Rad. Tailgcbosc fecit super terram Bertranni unum molinum » Norman de Verdun, son successeur , épousa Lesceline , fille du chambellan et trésorier de Henri Ier. Un de Verdun était à la Croisade du duc Robert-Courte-Heuse. Nous trouvons un de ses dons dans la charte de la Luzerne: « Ex dono N. de Verdun unum pratum apud Fougeroles et 9 sol. cen. in feodo P. Ascelin. » Dans les chartes du même monastère nous trouvons d'autres Verdun: « Ex dono W. de Verdun nnum campum in exitu Pontis Ursonis et unum pratum super Coisnon... Ex dono N. de Verdun 11 sol. cen. » Les Rôles de l'Échiquier citent pour 1180 Rob. de Verdun, et Ran. de Verdun pour 1195 Un second Bertrand souscrivit à la charte de Ponts, et son frère Hervé, le chanoine, a été cité ci-dessus. Ce Bertrand suivit Richard Cœur-de-Lion à la Croisade, et se trouva à la prise de SaintJean-d'Acre dont il fut nommé gouverneur6. Un de Verdun était parmi les défenseurs du Mont Saint-Michel. Un autre fit Sans doute sa soumission : « Don a Ph. de Verdun ec. de ses heritages en la chastellenie de Pontorson '. » Leurs armes varient selon les branches: celle de la Crenne porte d'or frettè de sable. La branche anglaise, célèbre, sous le nom d'Aldittley, francisé en Audeley, porte d'or frettè de sable. Les Lemoigne de Sourdeval, branche cadette de Verdun, porte au franc quartier de sable.
Caugé est un village de Boucey, et comme un faubourg de Pontorson. Il n'y a plus rien de monumental, et la tradition a perdu le souvenir du passé. Cependant Caugé a été sinon une paroisse, du moins un village avec une église et probablement un manoir. On a cru que le Scallei de la célèbre charte du duc Richard n'était autre chose que Caugé. C'est l'opinion de M. Stapleton, qui, en outre, croit que l'église de Caugé, voisine de Pontorson, a été paroissiale, et qu'elle ne cessa probablement de l'être que lorsque Henri n eut donné Pontorson au Mont Saint-Michel3. Une charte de 1056 mentionne « Ecclesia de Calgeio; » la bulle d'Alexandre m, de 1178, cite « Ec. de Cauge cum pertinentiis suis, » et D. Huynes, en parlant des biens enlevés à son monastère, écrivait au commencement du xvir siècle: « La cure de Caugé est aussi douteuse en l'évêché d'Avranches. » La charte précitée est donc intéressante comme renseignement local et comme peinture du temps: sa souscription aide encore à localiser Caugé: « Ego Ascelinus de Calgeio necessitate constrictus quamdam partem terre de Calgeio in vadimonium cuidam amico meo, Mainerio de Monte, dederam. Cum vero reddendi terminus appropinquasset deficiente tum pecunia et ipse religionis habitu cupiens indui tandem divina inspiratione compunctus, consilio inito consensu amicorum et ipse hanelans meliorare vitam tneam concessi ter ram illam ec. B. S. Michaeli de Monte eo tenore quott abbas Ranulfus me cum ipso Mainerio in monachili ordine suscipiet.... Videns autem Rogerixts Lohoth filins meus renuntiavit et ipse seculo et facti sumus monachi in ec. S. M. data pro ipso Rogerio ecc. de Calgeio cum omni decima et sex acris terre quœ ipsi ecc. contingebant et uno frusto prati juxta marescum....' sint maledicti et excommunicati omnes heredes mei et participes cum diabolo fiant qui hoc donum rescindere votuerint... Rain. et Garn. de Maldreio, Golt. de Marigneio, Nie. de Boceio, Flaaldus de Magnio, Rie. de Cureio. »
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Caugé a été le théâtre d'une bataille entre les Vendéens et les Républicains.
Quand l'armée vendéenne eut été repoussée de Granville , et que sa cavalerie eut poussé une pointe jusqu'à Villedieu , cette émigration de cent mille hommes, décimée et démoralisée , revint vers la Loire par la route qu'elle avait suivie peu de jours auparavant. Les troupes républicaines se mirent en mouvement pour prendre les Vendéens entre deux feux. Sepher, qui venait de Caen avec l'armée dite des Côtes de Cherbourg, se mit à leur poursuite; le général Marigny , posté à Sacey avec 1500 hommes de troupes légères, sur le sol de l'ancienne forteresse de Cheruel, ne bougea pas , par jalousie, dit-on, à l'égard du général Tribout. Celui-ci commandait Pontorson avec quatre mille hommes. Il en envoya six cents pour couper le pont de Pontaubault. Lejeay et Forestier, deux officiers vendéens, attaquèrent cette troupe et la dispersèrent. « Ils allèrent jusqu'auprès de Pontorson, et, étant tous deux seuls en avant, ils se trouvèrent, au détour du chemin , en face de l'armée ennemie. Ils voulurent revenir, mais Forestier avait un cheval rétif qu'il ne put jamais faire retourner, il s'écria : à moi, Lejeay ! je suis perdu! Lejeay revint, prit la bride du cheval: ils se sauvèrent au milieu d'une grêle de balles, et rejoignirent l'armée qui s'avançait'. » L'armée ennemie était celle de Tribout, et le détour de la route auprès de Pontorson ne peut être que Caugé. Tribout, très-faible en face d'une trentaine de mille bommes, s'était établi au carrefour appelé la Croix-de-la-Cage, et avait braqué ses canons sur la grande route, où ses flancs étaient sans défense. D'Autichamp attaqua les Républicains avec la division de Beauchamp qui formait Tavant-garde: c'était vers le soir du 18 novembre 1793. L'artillerie des Républicains fit d'abord des ravages parmi les Vendéens, mais ils furent aisément débordés, pris en flanc, et enveloppés. Chargés à la baïonnette, ils furent refoulés jusque dans Pontorson , et là, dans les rues, presque tous furent taillés en pièces. L'affaire dura de quatre heures à neuf heures. On jeta une partie des cadavres dans des carrières qui s'appelèrent dès-lors les Perrières-ès-Morts : le sol est encore plein de balles, et on en trouve aussi sous l'écorce des vieux arbres. Tribout fut destitué. Forêt, un des meilleurs officiers vendéens , fut blessé à mort, et on brisa un canon pour mettre des chevaux à sa voiture. La route et les rues furent jonchées de cadavres, et on pourra juger de l'horreur de cette bataille nocturne par le récit de Mrae de La Rochejacquelein: « J'arrivai en voiture sur les neuf heures du soir, comme le combat venait de finir. J'étais avec une femme de chambre qui portait ma pauvre petite fille. MM. Durivault et de Beauvolliers, tous deux blessés, étaient aussi avec moi. La voiture passait à chaque instant sur des cadavres; les secousses que nous éprouvions lorsque les roues rencontraient ces corps, et le craquement des os qu'elles brisaient faisaient une impression affreuse. Quand il fallut descendre, un cadavre était sous la portière ; j'allais mettre le pied dessus, lorsqu'on le relira. »
Telles sont les illustrations de Boucey. L'étymologie de son nom nous en révélera une nouvelle. Boucey, comme les communes voisines, tire son nom d'un chef normand, dont un descendant était à la Conquête: Rob. de Buci est cité dans le Domesday comme Tenant en Chef et comme Sous-Tenant. Ainsi Macey, Vessey, Aucey correspondent à Maci, Veci, Alci du Domesday. De Buci sont dérivées les formes des chartes, celles que nous avons citées et d'autres encore : un diplôme du Gallia donne Hugo, filius R. de Bosceio; le Livre Vert dit apud Bocenum. —Boce. — Nie. chief de Bosc. — Carta decime de Bouce; le Cartulaire du Mont offre Bucceiurn. — Ecc. de Bocie et de Bocci et Rad. de Boce.—Mais nulle part on ne trouve de forme qui justifie l'étymologie de Cenalis: c'est en dépit des chartes et de la nature que, dans son humeur fantasque et son interprétation primesautière , il appela Boucey Buxetum à Buxeto. | ||||||||||||