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Le Curé de Gathemo se résolut un jour, malgré son grand âge, d’aller à Avranches consulter son évêque sur un cas de conscience qui l’intriguait fort. Il arriva sur les midi à l’Evêché, bien fatigué et couvert de poussière, car sa bourse ne lui avait pas permis de se payer le luxe de la diligence. C’était l’heure du déjeûner de Monseigneur et précisément ce jour là, Sa Grandeur avait plusieurs invités de marque à sa table.
Lorsque le valet vint avertir le prélat de l’arrivée du Curé, il fronça le sourcil et dit de faire attendre l’intrus qui venait le déranger à pareille heure. Comme si on pouvait laisser refroidir les poulardes truffées pendant que l’abbé débiterait ses antiennes ! Oh ! que nenni ! Le Curé de Gathemo pouvait bien attendre dans l’anti-chambre.
Mais bientôt se ravisant, l’évêque donna l’ordre au valet d’introduire le visiteur. | | |||||||
« Messieurs, dit-il à ses convives, je vous prie d’excuser si je reçois en ce moment un de mes vieux curés, mais c’est un bonhomme très original, qui sait de latin tout juste ce qu’il en faut pour chanter vêpres et qui,je l’espère, va nous divertir par quelque drôlerie de son crû. »
Deux minutes après le Curé introduit par le valet vient humblement se prosterner devant son évêque, fait une profonde révérence à la Compagnie, puis, sur un signe de Monseigneur, va s’asseoir dans un coin de la salle.
« Hé bien, M. le Curé, lui dit Sa Grandeur, au bout de quelques instants, entre deux services, avez-vous quelque difficulté à me soumettre ? Y a-t-il du nouveau dans votre paroisse ?
« - Ah ! Monseigneur, vous savez bien que dans ma pauvre petite paroisse il n’y a jamais rien de nouveau ; mes paroissiens sont toujours occupés à leurs travaux des champs, ils ne quittent guère leur chaumière et moi je fais comme eux, je reste à mon presbytère. Cependant si cela vous intéressait, je pourrais vous raconter un fait assez curieux qui s’est produit dernièrement chez Me Thomas, le fermier de la fosse au loup.
« - Ah ! voyons cela, fit l’Evêque en clignant de l’oeil avec intelligence vers ses convives.
- Pour lors donc, reprit le Curé, maître Thomas a, sauf votre respect et celui de la compagnie qui m’entend, une truie qui lui a fait treize petits cochons et vous savez qu’elle n’a que douze trions dont chaque petit cochon aussitôt né s’est emparé et lorsque le treizième a paru à son tour, aucun de ses frères n’a voulu lui céder la place. - Vraiment ! M. le Curé, mais alors que fait-il, le 13e, demande l’Evêque. - Dam ! Monseigneur, il est comme moi, il regarde ses frères manger. »
Les convives partirent d’un grand éclat de rire, mais je crois bien que ce ne fut pas aux dépens du Curé de Gathemo. | ||||||||