LA REVUE ILLUSTREE

DU CALVADOS  1911-1914 

         
 

Petite chronique féminine de

CAVELLIER, Gabrielle

paru dans la revue du Calvados de 1911à 1914
  

 
 

 

 

 

 

1913

 

Il ne faut pas dire : Fontaine

Quand Mademoiselle aura vingt ans

Nom d'un Chien !

L'Art de l'économie domestique

L'Autre héroïsme

Les Petits Prêts

Le "Petit Jeune Homme"

Pour lire le matin du mariage

A propos d'une tasse de café

Les petits héroïsmes féminins

La politesse militaire

Notre Cœur

 
     
     
   
  LA REVUE ILLUSTREE DU CALVADOS    1911-1914 
   

Notre Cœur  -Janvier 1913
         
 

Si l'homme était moins matérialiste et qu'il voulût bien s'affranchir pour trois minutes de sa politique ou de ses affaires, il serait excellent, pour son bonheur et pour le nôtre, qu'il écoutât la confession que voici :

Notre coeur est un oiseau frileux qui exige de l'amour comme notre corps exige du pain. Je ne parle pas de l'amour sensuel, car, à de rares exceptions près, la femme n'est pas sensuelle : je parle de l'amour sentimental, le vrai, parce qu'il est le seul qui résiste aux épreuves du temps.

Considérez la fillette, notamment par comparaison avec le petit garçon : Tandis que celui-ci se livre infatigablement à ses ébats indomptés, celle-là ressent de temps à autre l'irrésistible besoin de quitter sa poupée ou sa corde à sauter pour venir se blottir sur des genoux amis.

Toute fatigue se réfugie au nid. Le « maman câline-moi », que nous connaissous bien, est l'expression d'une ingénuité quasi féline. Nul être au monde n'est davantage à plaindre qu'une enfant qu'on ne caresse pas

 

Fabiono Les CPA LPM n°45

 
       
 

Et puis cela vous attrape des quinze seize ans. De sourds travaux d'élaboration préparent l'éclosion finale. Tout a changé la constitution, les goûts, l'esprit. Un seul sentiment demeure impérissable : la faim du baiser.

- Mais tu es trop grande ! gronde maman... Trop grande ? Oui, trop grande, pour le baiser maternel, mais ce n'est que transposition à effectuer.

La petite demoiselle est devenue petite madame. Le mari goulu, découpe l'amour comme son bifteck : en larges tranches qu'il avale au risque de s'étrangler.

 

Petite madame, elle, s'émerveille du goût nouveau de la caresse : Ça durera toujours ? - Toujours - Tu m'aimeras toute la vie ? - Toute ma vie... Elle déguste. Gourmandise mal fondée. Monsieur n'échappe pas à son matérialisme originel. Des baisers, oui : mais le dîner bien cuit. Des baisers, oui : mais les faux-cols en place. Des baisers, oui : mais de la jeunesse bon teint, car à la première déformation, adieu serments !

Cela fait que les ombres se développent sur le vaste cinéma de la vie. Les années s'accumulent. On vieillit. Tristesse !
 
Eh bien, déblayez les neiges sous lesquelles s'ensevelit peu à peu la tête jadis blonde : le petit oiseau d'amour n'a pas quitté le fond du coeur, asile inviolable et final. Il gazouille des airs d'agonie. Il appelle des baisers à jamais envolés et qui, jamais, jamais, ne reviendront plus. Une des poignantes émotions de ma vie a été de voir un jour une femme délaissée, se jeter, elle, plus que quarantenaire, sur les genoux de sa vieille maman, et, folle de douleur, lui jeter à travers ses sanglots le « maman câline-moi » où les fillettes trouvent leur délassement et les blackboulées du destin leur consolation suprême. Il faudrait vraiment que le mari comprît cela ; mais lui, le maître, est-il seulement son maître ? Question terrible devant laquelle j'ai très peur que, faute de comprendre, nous nous décidions pour la plupart à abdiquer et à souffrir stoïquement.