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Depuis six semaines le Curé de Maisoncelles n’allait plus au château ; la place qu’il y occupait régulièrement à table chaque vendredi restait vide. C’était bien à contre coeur qu’il avait renoncé à prendre chaque semaine un bon dîner, mais il avait été si troublé la dernière fois qu’il avait cru devoir sacrifier à son salut la jouissance de son estomac. Dam ! Il y avait bien de quoi ! Les châtelains ne s’étaient-ils pas avisés d’inviter de belles dames de Paris à venir passer la saison et celles-ci s’étaient rendues au salon dans un décolleté qui avait fait rougir le pauvre Curé jusqu’aux oreilles et l’avait remué dans toute sa chair. Le souvenir de ces belles épaules nues l’avait empêché de dormir toute une nuit.
L’embarras du pasteur n’avait point échappé à nos belles pêcheresses et elles se faisaient un malin plaisir de lui faire éprouver à nouveau l’effet de leurs charmes. Mais le Curé boudait, comment faire ? | | |||||||
La petite comtesse Dufeu émit une idée originale. Puisque le recteur ne veut plus nous voir, dit-elle un soir de bal aux autres dames, il faut aller à la messe demain dimanche dans le costume où nous sommes. La proposition fut acceptée d’emblée et malgré la châtelaine qui ne voulait pas se brouiller avec son Curé, nos petites folles se rendirent à l’église dans la toilette la plus tapageuse et la moins réservée qu’il leur fut possible d’imaginer.
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En faisant l’eau bénite, le Curé les aperçut et faillit de surprise en laisser tomber le goupillon. Transporté d’une sainte colère, il monta en chaire et, sans autre préambule, s’écria de toutes ses forces : « Femmes impudiques, ramassez vos tripes » puis il débita une homélie virulente contre ses paroissiennes d’occasion.
Or, ce dimanche là, Nicolas Taupin, du village de Bélhaut, était venu à la messe et avant d’entrer au saint lieu avait fait ses emplettes comme il est d’usage dans nos campagnes normandes. Il avait déposé son panier contenant une portion de tripes dans le bas de l’Eglise. Entendant le Curé parler de tripes il songea à sa provision et fixant l’orateur se dit en lui : les vet-y ? les sent-y ?
Il devint inquiet en entendant le Curé à plusieurs reprises parler de tripes : s’il en cause encore, pensa-t-il, je vas m’en aller et les lui laisser. Aussi, à une nouvelle apostrophe du Curé, n’y tenant plus, il s’écria à son tour : «Venez les ramasser les tripes, vous Monsieur le Curé, je vous les abandonne » et il sortit laissant le prédicateur et l’auditoire ahuris. Ce ne fut qu’en sortant de la messe que les fidèles, découvrant le panier de Nicolas Taupin, s’expliquèrent son interpellation. | ||||||||