LA REVUE ILLUSTREE DU CALVADOS    1911-1914 
   

Les Petits Prêts -Juillet 1913
         
 

Les petits prêts, c'est de la petite chaparderie à l'usage des gens du monde. Nombre de gens, et surtout nombre de femmes l'exercent, chacun à sa manière, non sur de l'argent, mais sur maints objets assez coûteux au demeurant, notamment la musique, les livres, les dessins, les travaux d'aiguille, parfois la batterie de cuisine.

 

La grand puissance du petit prêt réside en ce que la personne sollicitée évite très difficilement « le tapage » dont elle est victime.

Qu'est-ce que vous voulez répondre à une amie qui vous dit :

- Oh ! ma chère, comme vous jouez divinement les sonates de Beethoven ! Je dérirerais tant voir si je pourrais vous imiter ! Voulez-vous me confier la partition ?

Ou :

- Dis donc, ma petite Charlotte, tu as le dernier volume de Bazin ? Prête-le moi pour huit jours...

 

Ou encore :

 

SAGERS 1910

 
         
 

- Tu sais Louise, je fais mes confitures mardi. Tu m'enverras ta bassine de cuivre, à charge de revanche !

 

Oui, oui, prêtez toujours, mes candides amies ! Beethoven, Bazin et la bassine à confiture auront un sort commun. Si vous poussez la tranquille audace jusqu'à réclamer la bassine, parions que vous n'aurez pas le même aplomb le volume ou la musique !

Du côté des emprunteuses, il convient de prêcher la discrétion et même l'honnêteté.

 

Elles devraient savoir, ces petites mesdames on demoiselles sans-gêne, qu'emprunter un objet à une amie c'est : 1° forcer la main à cette dernière, 2° la priver de l'objet de l'emprunt. Qu'est-ce que vous voulez, mes belles, que fasse l'amie si elle désire rejouer ses sonates on relire son Bazin ? Elle dira : « Ah ! l'ouvrage est chezune telle, c'est ennuyeux ! » Et puis, comme elle est bonne tête (et vous en abusez), elle n'y pensera plus.

 

Qu'elle n'y pense plus, vous ne désirez rien tant, d'ailleurs. On n'imagine pas avec quelle facilité un livre, une partition, un dessin, s'acclimatent cher l'étranger. Petit à petit, le temps consacre la possession, et le jour vient oùl l'amie n' « ose plus, depuis le temps ! » Le tour est joué. Il n'est pas joli, entre nous.

 

Aussi dirai-je aux prêteuses :

Si vos moyens vous permettent de relier votre musique et vos livres à votre chiffre, n'hésitez pas à recourir à ce procédé. On ne détourne pas une reliure chiffrée. Dans le cas contraire, alléguez sans vergogne. En somme, vous n'avez pas plus de toupet en vous réfugiant derrière un prétexte que n'en a votre tapeuse en cherchant à vous circonvenir.

- Peux-tu me prêter ta poissonnière ?

- Mille regrets, ma chérie, mais je prends chaque matin mon bain de pieds dedans.

C'est inepte, mais sûr. L'amie se mordra les lèvres et n'y reviendra plus.