CLOCHERS, CLOCHES ET CARILLONS
   
  LE TOCSIN
         
   
         
 

Le tocsin

Les sonneries de circonstance

© Eric Sutter et SFC, 2007

 

Alerte ! Au feu !

 

Dès l’origine de l’homme, celui-ci a été dans la nécessité de communiquer avec ses semblables pour l’alerter de menaces externes : arrivée d’ennemis ou approche d’animaux dangereux, propagation d’incendies, formation d’orages ou d’inondation... Ils’agit dans ce cas d’avertir les membres de la communauté le plus rapidement possible, quel que soit l’endroit où ils se trouvent, afin qu'ils prennent des dispositions pour se protéger, pour protéger leurs biens ou pour fuir le danger.

 

L’incendie a été pendant longtemps et demeure encore aujourd’hui la principale menace de destruction des biens. Un incendie sera toujours combattu avec d’autant plus de succès que l’on sera plus tôt prévenu de sa naissance. Les personnes chargées de secourir seront, donc, d’autant plus efficaces qu’elles seront alertées plus vite. Déjà, à Rome, les grandes maisons avaient un guetteur qui sonnait la cloche d’alarme dès qu’un feu se déclarait : on criait dans les rues : “A l’eau ! à l’eau !” .

 

Au Moyen Age, le guetteur disposait d’une cloche qu'il mettait en branle ou qu’il frappait selon un code convenu : le "tocsin". A la cathédrale St-Pierre de Lisieux, la cloche dédiée à l'alarme était dénommée vulgairement l'Echauguette ("guet" et par extension éveil, surveillance). Dans nombre d'édifices, cet appel au feu était sonné par une cloche spéciale, beaucoup plus évasée que les autres et d'une sonorité nettement discordante (appelée “braillard”). Il en subsiste encore quelques spécimens.

 

En 1536, rapporte Dergny, le cardinal de Lorraine donna au monastère de Fécamp une cloche dite cloche du feu. Certaines cathédrales ont encore une cloche d'alerte abritée dans un campanile ou à proximité de la tour du guet (Saint-Omer, Narbonne; celle de Lisieux avait été offerte en 1285); l'alerte était parfois sonnée avec un marteau distinct sur la "cloche de répétition" (cloche qui servait à répéter l'heure à la cathédrale de Strasbourg).

 

De telles cloches subsistent dans certains édifices. Il y a encore une cloche spécifique pour le tocsin au sein de la Tour de la Mutte de la cathédrale de Metz. A Ribeauvillé (Haut-Rhin), dans la Tour des Bouchers existe encore une cloche de 1468, dénommée Ratsglocke et Brennglockequi appelait autrefois les membres du conseil de la ville à se réunir mais aussi à sonner le tocsin en cas d'incendie ou d'attaque. A la cathédrale de Quimper la Cloc'h An Comun est utilisée à la fois pour sonner le tocsin et le couvre-feu.

 

Dans d'autres cas, notamment lorsque la ville était étendue et qu'il fallait qu'il soit entendu le plus loin possible, le tocsin était sonné sur la plus grosse cloche de l'ensemble campanaire abrité par l'édifice principal (cathédrales de Perpignan, de Narbonne, de Saint-Lô, etc.).

 

Le tocsin est sonné à coups pressés : environ 60 coups par minute (c'est le rythme qui est retenu en cas de commande électrifiée). Dans certaines localités, après la première volée du tocsin, le nombre de coups de cloche qui suit correspond à la direction du sinistre et permet d'orienter les volontaires munis de seaux d'eau qui viennent prêter main forte aux sapeurs-pompiers. Dans certaines villes, la nuit, le sonneur de feu plaçait une lampe à huile sous les abat-son du clocher de façon à indiquer la direction. On criait partout : “Au feu ! Au feu !”

 

Le tocsin demeure largement utilisé dans les zones rurales jusqu’au milieu du XXes. période à laquelle l'usage de la cloche est remplacé par celui de la sirène municipale. Le tocsin était cependant encore pratiqué avant 1940 à Trégon (Côte d'Armor) et jusqu’en 1960 à St-Maurice-sur-Eygues (Drôme) ou encore à Chemaze (Mayenne), mais ces cas restent des exceptions. A Montfermier (Tarn et-Garonne), le tocsin est sonné avec le battant de la petite cloche, à raison d'une vingtaine de coups rapides et très rythmés, mais il n'est plus sonné pour un feu. En ville, cela s’avère insuffisant et dès le XIXes. des recommandations ont été émises pour installer des mécanismes destinés à donner l’alarme sur les lieux mêmes où sont stationnés les pompiers.

 

Cette perte de coutume, et donc du message, a d'ailleurs posé un problème, récemment, à un maire d'une commune du Gard. Il y eut de graves inondations du Gard en septembre 2002 et le maire d'Aramon voulut prévenir la population qu'un barrage allait céder. Comment prévenir la population à 1 heure du matin ? Il appela le curé de la paroisse pour sonner le tocsin, mais la population

composée en grande partie de jeunes générations, ne réagit pas, faute de connaître la signification de la sonnerie ! Il convient aussi de noter que la sonnerie du tocsinne servait pas uniquement en cas d'incendie; elle pouvait annoncer d'autres périls ou inciter la population à se rassembler d'urgence. A Barfleur (Manche), l'une des cloches de l'église servait encore récemment en cas de brume pour signaler la proximité du port mais aussi pour appeler la population au secours en cas de naufrage. A Moscou, au musée des Armures, on peut admirer une cloche d'alarme fondue par Motorin, qui sonna le tocsin en septembre 1771 lors de l'insurrection moscovite. Pendant la guerre 1914-1918, à Cauroy-les-Hermonville et en bien d'autres endroits, une clocheétait installée dans les tranchées pour "l'alarme des gaz".

 
         
 

Currier & Ives, 1876