LA REVUE ILLUSTREE DU CALVADOS    1911-1914 
   

Le Salon -Février 1914
         
 

Le salon, a écrit Jules Simon, est l'ins­trument de travail des femmes... Peut-­être que le spirituel philosonhe a un peu généralisé, car je sais quant à moi d'innombrables femmes, et non des moins vail­lantes, pour qui il existe des instruments de travail plus concrets. Mais enfin, la boutade s'admet au regard de deux caté­gories : les privilégiées et les intriguantes. C'est pour les premières que j'écris.

Rien de plus facile que de posséder un salon : il n'y faut que des rentes ; rien de plus difficile que de savoir le tenir, parce qu'il y faut un tact supérieur. Le salon est le seul terrain social où la femme évolue sans tutelle. Le mari n'y compte pour rien. Au général en jupons de déployer sa stratégie vis-à-vis de ses invités, de ma­nière à leur laisser une impression d'ai­sance et à leur inspirer le charme de la séduction subie.

J'ai quelquefois entendu des personnes du monde railler mélancoliquement le pâle esprit des réceptions, parce qu'on s'y mor­fondait solennellement en agitant des questions d'intérêt capital, entre autres celles du temps qu'il a fait hier, qu'il fait aujourd'hui et qu'on a lieu de prévoir pour demain

 

SAGERS 1910 Paris la nuit

 
 
 
 

A ces nersonnes, je dis : - Vous ne sa­vez pas ce que c'est qu'un salon, ceux où vous fréquentez sont de lamentables ennu­yoirs.

 

Un vrai salon, ce n'est pas celui on l'on boit du thé, ce n'est pas celui où la jeune fille joue du Mendelssohn à moins qu'elle chante la dernière petite chaminaderie : c'est celui où la maîtresse de mai­son sait soutenir sans faiblesse une con­versation sans afféterie ; c'est celui où, suivant les visiteurs qui passent, on en­tend évoquer avec un brio toujours égal à soi-même les sujets les plus divers : beaux­-arts, modes, actualités, sciences vulgaires, potins décents, événements généraux, sports, théâtre, philosophie, littérature.

Il ne se comprend qu'avec une éducation de premier ordre et une culture qui a le droit d'être superficielle pourvu qu'elle soit étendue. Toutes les femmes ne réali­seront pas cet idéal dans sa perfection, mais elles peuvent toujours y tendre dans la mesure de leurs forces.