TYPES NORMANDS
   
  LE BRACONNIER
         
 
 
         
 

Types Normands

 par

Edmond Spalikowski

 

LE BRACONNIER

 

 Plus sinistre est le braconnier, plus terrible que le voleur de sapins. Pour lui le meurtre n'est pas une épouvante ; il tuera s'il le le faut l'imposteur qui le prive du gibier convoité. Et d'ailleurs il rapine par commerce et non plus par besoin. Or chacun sait toutes les vilenies que l'amour de l'argent peut faire commettre.

 

 Aussi le garde ferme-t-il l'oeil parfois sur la fuite des sapins, dont il s'explique facilement la brusque disparition dans le triage tant de fois traversé ; mais en revanche il s'ingénie pour surprendre les poseurs de collets.

 

 Le braconnier sait qu'on le guette ; il se fâche tout rouge quand on le prend la main dans le sac ; il riposte et s'arme d'un couteau, prét à répandre le sang, si le fusil du garde ne le tient en respect.

J'en ai connu pourtant de ces dévastateurs de garennes qui n'étaient point, aussi terrifiants !

 

 L'un d'eux surtout (je le vois chaque jour encore passer sous ma fenêtre), est un vieux matois, aux cheveux blancs embroussaillés, en éternelle blouse bleue toujours sale, avec un béret de garçonnet sur l'oreille, riant à tous, petits ou grands, et racontant à qui veut l'entendre le récits de ses exploits.

 

 Un jour qu'il opérait dans le bois Cany, sis aux portes de Ronen, et qui jouit d'une si mauvaise réputation, bien méritée d'ailleurs, ce jour-là, dis-je, notre homme avait pris six beaux lapins et sans plus se gêner les portait dans une potiche roulée en bandoulière. Survint le garde qui l'avait vu.

 

 Le braconnier le reconnut. Plusieurs fois déjà, c'était le même qui lui avait dressé procès-verbal. Il s'agissait alors d'un lapin ou deux. Mais cette fois, pensez-vous, il avait là sur son dos six de ces charmants animaux si délicats en rôts ou en civets ; le braconnier, d'habitude assez bonasse, était furieux. Etant grand et robuste, armé d'un solide gourdin, il crut bon d'intimider son adversaire et de lui poser ses conditions. « Tenez, lui cria-t-il sans sourciller, j'ai six lapins qui me sont commantdés ; je vous en donnerai deux, laissez-moi les autres ! »

 

Le garde commença, à récriminer. L'autre se fâcha de plus belle. « Inutile de protester, mon petit, reprit-il, ou ton affaire est faite. »

 

Et diable, il l'eût bien faite, sans mal et sans regrets !

 

 Le garde oublia sa consigne. Ne l'accusons pas trop : les gardes sont des hommes comme nous ; tous ne peuvent être des héros du devoir. Il partit l'oreille basse, emportant ses deux lapins, et mon vieux braconnier qui me contait la chose se tenait les côtes, en me jurant qu'il recommencerait !