LE ROI DAGOBERT                                                   6/14
  L’asile des saints.
 
     
 

Chlother, étant revenu de la chasse, vit à la porte de sa maison Sadragésile qui, les mains jointes et les yeux mouillés de larmes, demandait justice. Comme on craignait d’être victime de sa malignité, les témoins de son châtiment n’osèrent le démentir lorsqu’il eut raconté, à sa manière, tout ce qui venait de se passer. Chlother, transporté de fureur, déclara qu’il tirerait de son fils une éclatante vengeance, et ordonna à ses gens de le lui amener.

 

Éloi, qui avait assisté à la punition de Sadragésile et au retour du roi, s’empressa de prévenir Dagobert de ce qui le menaçait, et, le faisant monter sur-le-champ à cheval, il le conjura de se dérober à la colère paternelle. Dagobert, l’ayant remercié, se mit en route précipitamment. C’était à Rueil que tout ce qui vient d’être raconté avait eu lieu. 

 

 

Dagobert Ier réfugié à Saint-Denis

Grandes Chroniques de France

 
     
 
 

Où aller ? de quel côté chercher un asile sûr ? Éloi, qui l’aimait beaucoup, courut derrière lui et lui cria de loin le nom de saint Denis.

 

Dagobert n’eut pas plutôt mis le pied sur le sol sacré, qu’il sentit une sérénité délicieuse qui se répandait dans toute sa personne. Je ne sais quel instinct le poussait vers les tombes couvertes de lierre et lui donnait le conseil de se coucher sur ces tombes comme sur un lit de doux repos. Les satellites de Chlother, sur les degrés de l’escalier, voyaient ce spectacle : ils s’élancent ; une barrière invisible les arrête ; ils veulent pousser des cris de fureur ; leur voix s’éteint avant d’arriver à leurs lèvres. Vingt efforts furent inutiles. La même force empêcha ces hommes avides de saisir celui qu’ils étaient venus chercher ; ils ne pouvaient s’avancer d’un pas dans le sanctuaire, et tous leurs efforts se brisaient contre une muraille qu’ils n’apercevaient point. Dagobert, couché sur les tombeaux, remerciait Dieu dans son cœur et ne s’occupait pas de ses ennemis. Ceux-ci revinrent à Rueil et racontèrent au roi ce qui leur était arrivé. Dagobert s’endormit d’un doux sommeil.

 

Dagobert songe aussitôt au hameau de Cattuliac qui n’était qu’une petite réunion de chaumières. Là se trouvait une humble chapelle que sainte Geneviève avait fait construire pour honorer le tombeau de saint Denis et de ses compagnons Rustique et Éleuthère, martyrs du temps de l’empereur Domitien. La chapelette tombait en ruine ; on y entrait comme dans un bois ; les ronces et le lierre couvraient l’autel. Dagobert connaissait cette chapelle.

 

En peu de temps il eut franchi la rivière à Chatou et, par Argenteuil, tout le long de la Seine, il arriva à Cattuliac. Ceux qui le poursuivaient étaient sur le point de l’atteindre lorsqu’il arrêta son cheval au bas de l’escalier ruiné qui conduisait à la vieille chapelle.

 

Comme il dormait, il vit trois hommes s’élever devant lui dans les airs, vêtus de robes resplendissantes, couronnés d’une auréole et tenant à la main de longues palmes vertes. Celui qui était au milieu lui dit : « Jeune homme, sache que nous sommes ceux dont tu as entendu parler, Denis, Rustique et Éleuthère, qui avons souffert le martyre pour l’amour de notre Seigneur Jésus-Christ et avons prêché la foi chrétienne en ce pays. Nos corps gisent dans le sépulcre sur lequel tu t’es couché, et c’est nous qui protégeons ton repos. Vois l’abandon dans lequel on a laissé cette sépulture ; regarde en quelle misère est humiliée cette chapelle ; si tu veux nous promettre de la restaurer, de l’embellir et de prendre soin de nos tombes, nous te sauverons du péril où tu es tombé, et nous aurons soin de rendre ta vie et ta mort agréables à Dieu. »

 

Cette vision réveilla Dagobert, qui se promit de ne pas oublier ce que les saints lui avaient dit.

 

Chlother II, pendant ce temps, s’était mis en route sur le récit des amis de Sadragésile, et il s’approchait avec une grande multitude de cavaliers. Il arrive au pied de l’escalier ; il s’élance à son tour : la même force l’arrête. Sa fureur veut éclater en menaces : les menaces meurent dans son gosier. Cependant Dagobert se tenait à genoux au pied des tombes et priait. Chlother recule de quelques pas, appelle à lui les plus braves de ses satellites et ordonne de mettre le feu à la chapelle. Ainsi Chlother Ier avait fait périr son fils Chramm dans les flammes. Mais aucune torche ne s’allume. Chlother saisit un javelot et le lance : le javelot tombe inoffensif aux pieds de Dagobert qui se retourne, voit son père et sourit doucement. A la fin le cœur du roi s’apaisa ; il comprit que son fils était placé sous le patronage de saints redoutables, et lui accorda son pardon. Sadragésile fut écarté de Rueil et Dagobert y revint, songeant dès lors à restaurer la chapelle des saints auxquels il devait son salut.