LES FABLES DE LA FONTAINE

 

   
 L’Âne et le chien
     

  Illustration de Gustave DORE

 

Il se faut entraider : c’est la loi de nature.

 

L’âne un jour pourtant s’en moqua :

Et ne sais comme il y manqua,

Car il est bonne créature.

 

Il alloit par pays, accompagné du chien,

Gravement, sans songer à rien  ;

Tous deux suivis d’un commun maître.

Ce maître s’endormit. L’âne se mit à paître :

Il étoit alors dans un pré

Dont l’herbe était fort à son gré.

 

Point de chardons pourtant ; il s’en passa pour l’heure :

Il ne faut pas toujours être si délicat ;

Et, faute de servir ce plat,

Rarement un festin demeure.

 

Notre baudet s’en sut enfin

Passer pour cette fois. Le chien, mourant de faim,

Lui dit : Cher compagnon, baisse-toi, je te prie :

 

 

Je prendrai mon dîné dans le panier au pain.

Point de réponse ; mot : le roussin d’Arcadie

Craignit qu’en perdant un moment

Il ne perdît un coup de dent.

 

Il fit longtemps la sourde oreille ;

Enfin il répondit : Ami, je te conseille

D’attendre que ton maître ait fini son sommeil ;

Car il te donnera sans faute, à son réveil,

Ta portion accoutumée ;

Il ne sauroit tarder beaucoup.

 

Sur ces entrefaites un loup

Sort du bois, et s’en vient : autre bête affamée.

L’âne appelle aussitôt le chien à son secours.

Le chien ne bouge, et dit : Ami, je te conseille

De fuir, en attendant que ton maître s’éveille ;

Il ne sauroit tarder : détale vite, et cours.

Que si ce loup t’atteint, casse-lui la mâchoire :

On t’a ferré de neuf ; et si tu me veux croire,

Tu l’étendras tout plat. Pendant ce beau discours,

Seigneur loup étrangla le baudet sans remède.

Je conclus qu’il faut qu’on s’entr’aide.