MAIRES ET CURES BAS NORMANDS
  LA TRINITE DES SOURDINS
         
 

Par
Jean Des Sablons
Ancien Procureur

 

Depuis dix ans qu’il était Curé de Villedieu-les-Poëles l’abbé de la Cloche avait fait tous ses efforts et employé tout son savoir pour instruire ses ouailles des vérités de la religion, mais tout avait été inutile. Les Sourdins n’avaient jamais pu comprendre les instructions de leur pasteur qui avait pourtant fait tout le possible pour se mettre au niveau de leur intelligence. Jamais il n’avait pu leur cogner dans la tête ce qu’était la Sainte Trinité. Espérant les éclairer par une démonstration physique et matérielle notre Curé, un dimanche, monta en chaire pour faire le prône une fourche dans une main et un petit paquet dans l’autre.


Surpris et se croyant menacés de coups les Sourdins, qui étaient presque aussi braves que la lune quand elle se cache derrière un nuage, faisaient leurs préparatifs pour décamper de l’église quand le pasteur voyant leur effroi les rassura en souriant.


 
 
     
 

« Mes frères, leur dit-il, voilà bien longtemps que je sue sang et eau pour vous instruire sans pouvoir y parvenir. Votre intelligence plus dure que le cuivre que vous battez sur l’enclume s’est refusée jusqu’à présent à comprendre le sens et la portée de mes sermons. Jusqu’ici vous n’avez jamais pu vous rendre compte de ce qu’est la Sainte Trinité, j’espère être plus heureux aujourd’hui.


Voici une fourche qui a trois branches, supposez que chaque branche représente une des personnes de la Sainte Trinité cela ne fera jamais qu’une personne puisque les trois branches ne font qu’une fourche. Avez-vous compris maintenant ?


- Pas trop, M. le Curé, repartit Grosclaude, le Président de la fabrique, vos branches ne tiennent que par un bout !


- Ah ! il faut que ça tienne partout, dit le Curé, hé bien regardez !


Développant alors le paquet qu’il avait apporté il leur montra un magnifique morceau de lard.


Voici, mes frères, du lard qui se compose de couenne, de gras et de maigre. Supposez pour un moment que la couenne représente le Père, que le gras soit le Fils et que le maigre figure le Saint Esprit, cela n’est-il pas vrai, n’en fait pas moins qu’un seul morceau de cochon. Il en est ainsi de la Sainte Trinité.
Avez-vous bien compris cette fois ? »


Tous les Sourdins firent signe que oui, mais le Curé ne tarda pas à s’apercevoir que ses paroissiens avaient encore compris de travers, car depuis ce jour là, ils ne voulurent plus manger de lard de peur de manger la Sainte Trinité.