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Types Normands par Edmond Spalikowski
LA NOURRICE
Ni jeune, ni vieille, plutôt entre deux âges, le sein tari, la figure déjà ridée, la nourrice va, vient dans la grande cuisine aux solives noircies, vêtue d'un caraco gris, d'une jupe de laine rayée qui s'arrête aux mollets, les cheveux pris dans un foulard roulé.
Elle crie, tempête et jure plus souvent qu'elle ne rit.
Trois bambins sont là dans un coin de la pièce quelquefois près du feu, plus souvent appuyés sur une table, tous trois venus à la ferme faire le rude apprentissage de la vie.
Je ne veux point parler ici de ces mercenaires sans pitié, qui ne rendent que mort le chérubin rose confié par les parents. | ||||||||||
Toutes ne sont pas heureusement de ce calibre là, mais le résultat est souvent le même grâce à l'impéritie des meilleures.
Notre nourrice a besoin de vivre, et elle ne maltraite point de parti pris les enfants dont elle accepte la garde.
La mauvaise hygiène par exemple ne la rend pas moins marâtre involontaire. Elle n'est jamais embarrassée pour guérir le carreau, l'entérite, les convulsions. Généralement son remède est pis que le mal. Il faut être d'une constitution à toute épreuve pour supporter sa thérapeutique vétérinaire, ou pour attendre le bon vouloir des saints qu'elle invoque dans ses neuvaines.
Bien entendu si l'enfant n'est pas trépassé c'est qu'il vit ; la nature a triomphé, dites-vous, erreur, c'est saint Laurent. qui l'a sauvé. Je n'ai jamais compris ce que saint Laurent venait faire ici.
La nourrice est fière de ses gars, elle en parle à tout venant, se vante de les élever mieux que personne, en leur donnant plus d'eau-de-vie de cidre ou de flip que n'importe quelle autre. Elle ne dit pas par exemple que l'enfant pisse au lit plus souvent qu'à son tour, que ses langes par contre ne sont pas renouvelées aussi souvent que le besoin l'exigerait, mais tout cela n'est rien du moment que le p'tiot braille et hurle dans la maison, c'est signe qu'il pousse dru, quand bien même ses cris proviendraient de coliques dues au lait sûr, à la diabolique tétine de caoutchouc ou à la farine lactée mal préparée.
Mais notre normande a pour maxime qu'il ne faut pas être difficile dans l'existence, et l'enfant n'a qu'un tort, celui de ne pas comprendre que c'est pour son bien qu'on le laisse s'empoisonner, ou croupir dans ses couchettes sales. « Ta, ta, ta, dit-elle souvent., il en verra bien d'autres ! » Ah ! le pôvre je le plains, alors !
La nourrice a comme éternel ennemi le médecin. Elle ne va d'ailleurs le qu'ri que lorsque le nourrisson est mort ou à peu près. D'où cette conclusion fatale : « Vous voyez bien qu'il n'est pas plus malin qu'mé, il n'la pas sauvé ! »
Aussi l'enfant mis à la campagne doit-il garder ses premières dents contre les deux ou trois bonnes femmes, diseuses de bonne aventure, rebouteuses, dénoueuses d'aiguillettes, qui ne disent, ne dénouent et ne reboutent rien, entre parenthèses, mais grâce auxquelles le marmot fera connaissance avec les applications, contractions, frictions, breuvages les plus sales, les plus infects, les plus répugnants que jamais Codex ait renfermés. - Retenez bien ceci, que c'est toujours pour le bien de l'enfant !
Un pharmacien ne trouverait pas ces choses-là, il faut être vieille idiote pour avoir l'imagination aussi fertile en inventions malpropres.
Mais l'enfant lui-mème est un moyen de guérison. Son urine sert à tout, comme liniment pour laver les seins des femmes en couches,, et comme tisane pour les graveleux, et j'en oublie !
Si l'enfant échappe sain et sauf des mains de sa nourrice, c'est que celle-ci est une brave femme pas trop têtue et d'un bon coeur ; à celle-là il devra de la reconnaissance car ces paysannes dévouées ne se rencontrent pas journellement.
S'il meurt, les parents n'auront qu'à s'en prendre au médecin qui a tué l'enfant, ou à l'enfant lui-même qui avait un tempérament de pauvre diable. La nourrice n'a qu'à se féliciter des soins donnés, et s'offrira de prendre un nouveau nourrisson, pour le faire crever d'une autre façon ! Mères, gardez vos chérubins près de vous, si vous ne voulez un jour verser des larmes en suivant un petit cercueil recouvert d'un drap blanc, cheminant entre les haies d'aubépine en fleurs qui bordent le sentier des cimetières de vos hameaux normands ! | ||||||||||