RECITS ET CONTES

DES VEILLEES NORMANDES

   
  La fileuse
 
     

Récits et contes des veillées normandes

Marthe MORICET

Cahier des Annales de Normandie 1963

Volume 2

 

Le taureau de Ia Bauquencée

Le bras de saint Ernier

La légende de saint Gerbold

L'assassinat de saint Godegrand

Le lac de Flers

Ganne

Gauchelin

Voeu d'un marchand

Duel de Legris et de Carrouges

La fileuse

 
 
         
 

La fileuse

 

Il y avait une femme qui battait sa fille ; il passa par là un monsieur qui lui dit : " Ma bonne femme , pourquoi donc que vous battez votre fille ? " - " Elle file , elle file tant que je ne peux pas l'entretenir de filasse " . - " Donnez-la moi , je l'entretiendrai bien de filasse " . Il emmena la fille et lui donna une grande paque de filasse à filer. La fille se mit sur la porte à pleurer. Il passa par là une grande femme qui avait de grandes dents et qui lui dit : " Ma pauvre fille , qu'est - ce que vous avez donc à pleurer ?" - " II m'a été donné une grande paque de filasse à filer et je ne sais comment atteinter mon rouet". - "Eh bien ! si vous me promettez de m' inviter à vos noces , votre paque de filasse sera filée pour ce soir n . Le lendemain, le monsieur lui donna encore une paque défilasse à filer. La fille se mit sur la porte à pleurer. Il passa une bonne femme qui avait de grosses lippes . Elle dit à la fille : " Qu'est - ce que vous avez donc à pleurer ? " - " II m'a été donné une paque de filasse à filer et je ne sais comment la filer ". - " Si vous voulez m'inviter à vos noces , votre paque de filasse sera filée pour ce soir " . Le monsieur lui en donna encore une . Elle se mit encore à pleurer sur la porte . Il passa encore une bonne femme qui trainait sa couraie . Elle lui dit : " Ma pauvre fille, qu'avez vous donc à pleurer ? " -"II m'a été donné une paque de filasse à filer et je ne sais comment la filer " - " Si vous voulez m'inviter à vos noces, votre paque de filasse sera filée pour ce soir " . Le monsieur ne lui donna plus de filasse et l'épousa . Alors la fille appela : " Bonne femme, grandes dents venez à mes noces , venez , venez " . Et le monsieur lui dit: " Ma pauvre bonne femme, qu'est-ce qui vous a fait allonger les dents comme ça ?" - M J'ai tant filé , tant travaillé que mes dents ont allongé comme çà " . La fille appela encore : M Bonne femme , grosses lippes , venez à mes noces, venez, venez ". Et le monsieur lui dit : n Ma pauvre femme, qu'est-ce qui vous a fait grossir les lèvres comme çà?" - n J'ai tant filé, tant travaillé, que mes lèvres sont devenues grosses comme çà". La fille appela encore : " Bonne femme , traine-couraie, venez à mes noces, venez ". Et le monsieur lui dit : "Ma pauvre femme, qu'est-ce qui vous a fait sortir la couraie du corps ? w - " J'ai tant filé , tant travaillé que ma couraie est sortie de mon corps " • Le monsieur alors brisk le rouet , et j'dan- simes, et j'fricotimes, et je ne filimes plus.

 

(Ed . Le Héricher , Littérature populaire de la Normandie dans les Mémoires de la Société d'archéologie. d'Avranches et de Mortain, t. VII, 1885, pp. 149-150).

 

Ce conte a été recueilli à Céaux (Manche) par Ed. Le Héricher, de la bouche d'une filette de douze ans, Marie Chauvois, pâtouresse.