LES GRANDES PECHES

   
  BRETAGNE L'INDUSTRIE SARDINIERE
         
 

CPA collection LPM 1900

 
     
 

L'histoire de l'industrie sardinière

Mme Marie ROUZEAU

 

La sardine était abondante autrefois sur les côtes bretonnes. Une fois pêché, ce poisson se détériore assez vite et il faut le traiter pour en faire un commerce étendu. Depuis le XVIIè s, la presse, méthode de conservation importée du midi en Bretagne, suscite l’essor de cette pêche du Croisic à Camaret. Mais c’est à Nantes qu’apparaît la sardine à l’huile conservée par une nouvelle technique, l’appertisation. Un temps concurrencés par les Morbihannais, les Nantais dominent largement ce secteur économique jusqu’en 1914. La nouvelle industrie transforme la vie sur le littoral depuis la Vendée jusqu’au Finistère. Transformation durable qui survit aux crises qu’inaugure la première grande pénurie de sardines sur nos côtes. Les mutations industrielles aidées par l’arrivée du train ne suffisent pas à enrayer le déclin commencé dès avant 1914

 

LES CONSERVERIES DE POISSON EN BRETAGNE

 

La pêche a été de temps immémorial l’une des ressources alimentaires sur les rivages de la Bretagne. Mais le poisson est un produit périssable qui devait être consommé sur place. Pour en faire un objet de commerce, il a fallu apprendre à le conserver. On a ainsi commercialisé le poisson séché, boucané, fumé, salé puis pressé et enfin appertisé.

 

A partir du XVIIè siècle, on consomme la sardine pêchée sur nos côtes, fraîche mais aussi pressée selon une technique traditionnelle venue du midi (Languedoc et Provence). Par son prix modique, la sardine pressée convient aux couches populaires. La pêche du petit poisson bleu s’intensifie du Croisic à Camaret.

 
     
 

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Changements au XIXè siècle : on presse de moins en moins la sardine, on la conserve par l’appertisation. Commence alors l’essor de la fabrication de la sardine à l’huile. Après plusieurs décennies de développement rapide du nouveau produit au détriment de la presse, les crises s’enchaînent, les reconversions modifient l’activité et le déclin touche les pionniers dont l’outil de travail vieillit. Nantes reste la capitale de la conserverie de poisson jusqu’à la Première Guerre mondiale.

 

Un cycle industriel et commercial entier s’est développé sur le siècle qui sépare la mise au point de la recette promise à un beau succès, vers 1810, de la Première Guerre mondiale : naissance du produit, croissance rapide de la production industrielle jusqu’à une certaine forme de maturité puis banalisation, internationalisation et d’autres maux que l’on a surtout connus dans d’autres fabrications dans la seconde moitié du XXè siècle.

 

Le développement de la pêche sardinière sur les côtes au sud de la Bretagne

 

L’histoire de la mise en conserve de la sardine s’inscrit donc sur les rivages depuis le milieu du XVIIè siècle avec l’adoption d’une technique d’origine méridionale. Comment cette technique a-t-elle pu être transférée en Bretagne ?

 

L’histoire locale se mêle ici à l’histoire nationale. Fouquet, ministre des finances de Louis XIV avant de finir embastillé, fait l’acquisition de Belle-Île dans la province de Bretagne. Par sa fonction membre du Conseil du Roi, il apprend grâce aux dépêches des Intendants de Provence et de Languedoc que la sardine a disparu de la Méditerranée. L’inquiétude des représentants du monarque s’explique à cette période où le premier souci des sujets dans le Royaume est de manger tous les jours à leur faim. Nourriture du pauvre, la sardine coûte peu et les gens du midi savent la transformer en semi-conserves par la presse. Cette semi-conserve peut être servie tout un hiver dans le meilleur des cas.

 
     
 

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Fouquet sait que ce poisson est abondant près de son île en Bretagne et il vient, accompagné de presseurs, pour développer un savoir-faire nouveau. On presse la sardine fraîchement pêchée après l’avoir lavée, salée et placée en tonnelets. L’huile est recueillie pour divers usages. Succès rapide. De Belle-Île, la technique de la presse gagne le littoral de Vannes à Lorient puis, plus à l’ouest, les ports de Cornouaille, de Concarneau à Camaret, et, à l’est, un secteur plus réduit, celui du Croisic. A la fin du XVIIIè siècle, c’est toute la Bretagne méridionale, celle qui voit migrer la sardine près de ses côtes, qui se livre à la presse.

 

Le produit n’est pas consommé sur place mais dans le midi. C’est Bordeaux qui organise les échanges vers les lieux de consommation, tandis qu’à Nantes, la petite production de la zone du Croisic suffit. Le produit n’est pas apprécié dans les régions intérieures du nord du Royaume que dessert le grand port de l’estuaire de la Loire.

 

La sardine à l’huile et le développement des usines le long du littoral sardinier

 

L’initiative du changement technique, au XIXè siècle, vient de Nantes, nouvelle venue dans le domaine de la conservation du poisson. Initiative suivie de près par celle des fabricants de Lorient, rompus, eux, à la préparation des sardines pressées. De place marginale, Nantes devient la capitale de la « sardine à la nantaise » à partir de 1810, date de la mise au point par Joseph Colin d’une recette qui utilise un nouveau procédé de conservation : l’appertisation. Nicolas Appert, confiseur parisien, est l’auteur de la méthode nouvelle qui porte son nom. Les aliments sont placés dans un récipient hermétiquement fermé puis porté à haute température. A Nantes, après les premiers essais de conserves de sardines au beurre fort appréciées et déjà vendues dans de petites boîtes en fer blanc, la sardine à l’huile devient rapidement le produit phare de la maison Colin. Le produit plaît et sa conservation est assurée, contrairement à celle de la sardine pressée. La bonne réputation du produit stimule sa fabrication et sa distribution de plus en plus large. Peu après 1820, des sardines au beurre on passe aux sardines à l’huile.

 
     
 

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En 1815, Joseph fils succède à Joseph père et doit envisager, pour satisfaire la demande, de produire industriellement. En 1823 ou 1824, est créée, à Nantes, la première usine au monde de conserves appertisées de sardines. Les premiers visiteurs de l’établissement nantais sont impressionnés par les chaudrons géants et les cheminées monstrueuses. Un an ou deux plus tard, apparaissent les concurrents morbihannais. L’innovation technique gagne de proche en proche tout le littoral sardinier.

 

Les bancs de sardines remontaient-ils les eaux fades de la Loire jusqu’à Nantes pour satisfaire les besoins de la production croissante de la maison Colin ? Non. Les sardines parcouraient le trajet de la côte à Nantes en diligence bien suspendue. Il ne fallait pas que le petit poisson délicat se détériore pendant le voyage de 90km. Les premières sardines appertisées venaient de La Turballe, hameau de pêcheurs situé sur le territoire communal de Guérande où l’on pratiquait sans doute déjà la presse. Le succès de la sardine à l’huile est tel que le service des diligences paraît de plus en plus inadapté. Nous évoquons une période où la révolution des transports par le train n’a pas encore commencé. La réflexion économique élémentaire conduit bientôt le créateur nantais et ses imitateurs de plus en plus nombreux à venir fabriquer les conserves sur les lieux de production du poisson. Bénéficiant d’une longue tradition de presse, les Morbihannais ont d’emblée installé les premiers ateliers industriels au bord de la mer, ce qui réduit leurs coûts de fabrication. Des ouvriers soudeurs s’installent donc sur les dunes de Penbron (Guérande) lors de la saison sardinière de 1830 et les premiers établissements industriels sont construits au Croisic, à La Turballe et à Piriac à la fin des années 1830 et au début des années 1840.

 

Dans la presqu’île guérandaise, la presse recule au profit des nouvelles industries et finit par disparaître totalement au tournant de 1850. Destinée à une population à faible pouvoir d’achat, la sardine pressée reste un produit à bon marché. En conséquence, les presseurs rémunèrent moins bien les pêcheurs que les fabricants des sardines à l’huile recherchées pour leur qualité gustative par une clientèle qui dispose de bons revenus et apprécie la conservation assurée des produits appertisés. Le pêcheur de sardines abandonne sans grand regret le presseur qui lui fournissait l’appât à un prix élevé et absorbait sa pêche en réduisant toujours plus le prix d’achat.

 
     
 

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En quelques décennies, le littoral de Vendée, Loire Inférieure et Morbihan se transforme. Le Finistère suit. Les toutes premières usines y apparaissent à partir de 1850. Les ports qui se consacraient à la presse se convertissent progressivement à la production de sardines à l’huile. La plupart de ces nouvelles créations sont dues à des capitaux venus de Loire Inférieure et du Morbihan. Le littoral sardinier semble devenu un véritable eldorado

 

La création de sardineries industrielles provoque, en plus du développement de la pêche qui dispense désormais des revenus corrects, celui de l’emploi féminin à la saison de la sardine. Le surplus de population rurale qui ne trouve pas de terre à travailler afflue vers la côte. Les ports anciens s’étoffent et des hameaux, comme celui de La Turballe à Guérande ou Le Guilvinec à Plomeur en Finistère, se transforment en petites villes qui acquièrent bientôt leur indépendance municipale. Un chapelet de ports de pêche, grands ou petits, jalonne le rivage de la Vendée, où les capitaux investis dans la conserve sont principalement Nantais, au Finistère. Ils n’ont pas tous encore disparu. Une société nouvelle s’implante sur le littoral sardinier, marquée par des solidarités fortes qui découlent du travail partagé et de la proximité des lieux et des modes de vie. La main d’œuvre féminine circule des Sables d’Olonne à Camaret en fonction des besoins des usiniers et les pères ou maris, pêcheurs de sardines, se déplacent vers les bancs dont la venue dans les eaux côtières annonce les beaux jours

 
         
 

Quelques statistiques. En 1850, 25 conserveries de sardines existent en Bretagne et 37 en 1855 : 11 en Loire Inférieure, 15 en Morbihan, 11 en Finistère sur les 44 usines françaises (7 usines sont vendéennes).

 

Vingt cinq ans plus tard, en 1880, les conserveries sont au nombre de 132 : 14 en Loire Inférieure, 59 en Morbihan, 59 en Finistère sur les 160 usines françaises (25 usines sont vendéennes -capitaux nantais prédominants-, 3 se dispersent sur le reste de la côte atlantique).

 

La production bondit de 3 millions de boîtes en 1850 (25 usines) à 10 millions de boîtes quatre ans plus tard. Elle s’élève à 82 millions de boîtes en 1879 (160 usines).

 

Cette croissance record peut-elle durer ? s’inquiète le Croisicais Caillo Jeune dans son ouvrage Recherche sur la pêche de la sardine en Bretagne et sur les industries qui s’y rattachent (1855).

 

L’année 1880 clôt cet épisode de vif développement et d’industrialisation des ports. En 1881, on attend en vain tout l’été la venue des bancs de sardines. Ce n’est pas la première pénurie, mais il semble que personne n’ait envisagé de pénurie aussi générale.

 

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Aucune stratégie n’a été mise au point pour parer à une crise qui ne manquerait pas de naître dans ce cas. Les réactions en chaîne et des initiatives plutôt malheureuses brisent le cercle vertueux de l’économie sardinière et provoquent un certain déclin dans les ports qui ont vu les premiers se développer la conserverie industrielle

 

Les années douloureuses de la fin du XIXè siècle et du début du XXè siècle

 

Dix ans avant l’année fatale, en 1871, les bancs tant attendus n’étaient pas au rendez-vous. Cette première alerte aurait pu susciter une réflexion sur la conduite à tenir en cas de récidive. Il n’en a rien été. Et en 1881, cette imprévoyance se paye par de lourdes conséquences : banalisation du produit liée à l’internationalisation de la fabrication. Une vraie mutation s’opère chez les fabricants comme chez les pêcheurs.

 

Depuis quelques années déjà, des fabricants morbihannais ont créé au Portugal des conserveries industrielles. La sardine migre précocement au printemps vers Sétubal. En 1881, la sévère pénurie conduit plusieurs usiniers bretons à les imiter pour assurer la pérennité de leur entreprise. Là bas, la main d’œuvre est quatre fois moins chère qu’en France et les profits sont intéressants. Mais, retour du bâton de la délocalisation, copier ces fabrications qui exigent peu de capitaux est assez facile pour un ouvrier avisé et entreprenant. Les conserveurs bretons se trouvent rapidement face à une rude concurrence locale. Les Portugais exportent sur les marchés européens que les Bretons ne sont plus en mesure d’approvisionner. Nombreux sont les clients qui ne reviendront pas vers les premiers fournisseurs.

 

Des pratiques néfastes provoquent un recul de la qualité de ce produit renommé. Transportées par la mer en gros conditionnements, les grosses sardines appertisées au Portugal sont transvasées dans de petites boîtes à la bretonne dans les usines qui n’emploient presque plus de personnel. A La Turballe 7 ouvrières suffisent là où 90 étaient nécessaires auparavant. L’absence de travail est durement ressentie dans les ménages de pêcheurs ou de veuves qui n’avaient pas d’autres ressources. Le consommateur, lui, ne retrouve pas la bonne qualité des petites sardines de Bretagne et la pratique du rempotage banalise le produit et nuit aux ventes.

 
     
 

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Des conserveurs de poisson cherchent des pistes nouvelles ou reviennent à des produits anciens pour lutter contre les aléas de la pêche et développer leurs productions. Avec un certain succès, ils incitent les agriculteurs du littoral à produire des légumes qu’ils mettent en conserve et commercialisent, sauvant ainsi leur outil de travail et l’emploi saisonnier. On améliore aussi la rentabilité en se passant des ouvriers soudeurs très bien payés, remplacés par des machines. Cette évolution inévitable suscite la colère de ceux qui perdent leur emploi et des troubles sociaux accompagnent la mécanisation du travail dans tous les ports.

 

Les pêcheurs, eux, se tournent vers d’autres espèces ou vers de nouveaux débouchés. En Vendée (Yeu), Morbihan (Groix et Etel) et Finistère (Concarneau), entre autres, on se convertit à la pêche au thon et à sa mise en conserve à partir de 1906. Le maquereau est cuisiné et mis en conserve pour la première fois en 1912. La pêche et les produits de l’industrie se diversifient.

 

L’arrivée du train dans les ports à partir des années 1860-1870 ouvre les marchés des grandes villes aux produits frais de la mer. On voit les professionnels de la capture et de la vente du poisson s’organiser pour vendre à la criée. Des bâtiments spécialisés sortent de terre (Le Croisic 1878, La Turballe 1885). Le pêcheur préfère vendre le poisson frais ou très légèrement salé car le prix payé est plus avantageux que celui offert par les conserveurs. Ces derniers se trouvent ainsi confrontés à la concurrence des mareyeurs. Au Croisic, où le train arrive en 1879, il semble bien qu’il n’y ait plus de conserveries en fonctionnement au début du XXè siècle (avant 1914), sauf peut-être la conserverie Philippe& Cie. A La Turballe, les mauvaises communications –le train n’arrivera qu’en 1907- rendent les pêcheurs plus dépendants des conserveurs qu’au Croisic. Malgré cela, deux établissements ont disparu depuis 1879, date d’une inspection qui mentionnait l’existence de sept sardineries industrielles à La Turballe.

 

 
     
 

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Face à la crise, qui doit se comprendre en réalité comme une mutation due à l’internationalisation de la production, l’Etat établit des tarifs douaniers protecteurs en 1892. Cela contribue à maintenir artificiellement des prix élevés en France et ce pays, qui avait eu le monopole de la production, perd toujours plus de marchés. De plus, une protection douanière ne peut rien contre le manque de sardines …

 

Peut-on croire encore après vingt ans de « crise » à l’avenir de la production sardinière ? Le doute saisit certains fabricants qui jettent l’éponge. Or l’année 1902, année noire sur le littoral sardinier, enracine les craintes. Le poisson aux migrations capricieuses ne vient pas vers la Bretagne méridionale, ce qui provoque la misère de nombreuses familles de pêcheurs et d’ouvrières. On s’inquiète autour d’elles : des œuvres de charité prennent en charge parfois les enfants …

 

Les temps sont durs et la confrontation entre les différents acteurs du monde de la conserverie de poisson est générale. Les conserveurs reprochent aux pêcheurs leurs pratiques trop routinières qui rendent cher le poisson. Les pêcheurs rétorquent qu’ils travaillent sur le vivant et qu’il faut ménager la ressource, qu’ils ne peuvent raisonner en commerçants.

 

L’affaire se politise quand l’Etat libéralise les tarifs douaniers et la rébellion des conserveurs est générale en 1912. Le 1er janvier 1913, leur syndicat déclare le lock out des entreprises de ses membres. 116 usines restent fermées cette année-là. Beaucoup ne rouvriront plus leurs portes, les plus anciennes en particulier. Les usines délocalisées portugaises et marocaines sont plus performantes à tous égards et bien des conserveurs bretons, en délocalisant leur production, bénéficient des avantages des fabrications étrangères qui entrent en masse sur le territoire national à la faveur de l’ouverture du commerce. Ils n’ont plus besoin des usines bretonnes.

 
     
 

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Venu plus tard à la conserve appertisée et doté d’unités de production plus modernes et plus grandes, le Finistère est mieux armé pour résister aux crises et devient avec Nantes un nouveau pôle de l’industrie du poisson au lendemain de la crise.

 

L’innovation alimentaire et la création précoce d’une industrie bretonne transforment le littoral. Après 1880, l’industrie se diffuse et la guerre de 1914 clôt un épisode important de l’histoire des toutes premières conserveries de poisson qui se sont imposées facilement sur un littoral déjà entraîné à cette pêche par le développement de la presse. Mais une mondialisation mal négociée car le phénomène n’était pas encore bien identifié, a marqué la mémoire des populations. L’impact de ces industries sur l’espace et la société reste aujourd’hui encore très perceptible. Les mutations du reste du XXe siècle ne suffiront pas à imposer l’industrie bretonne et un produit désormais banalisé face à une concurrence mondialisée, à des techniques plus innovantes, à une législation plus soucieuse de la main d’œuvre … Faute de capitaux et de confiance en l’avenir, les dernières usines de poisson ferment dans les années 1970, 1980. Le tourisme prend la place.

 

On voit renaître pourtant sur le littoral de petites unités de production qui misent sur la qualité et visent la clientèle des gastronomes. Et il demeure dans quelques ports du Finistère et du Morbihan des établissements modernes qui produisent beaucoup et distribuent le travail toute l’année et non plus seulement à la seule saison sardinière comme dans les temps pionniers. Leur production totale équivaut à toute celle des petites unités qui s’égrenaient le long du littoral avant 1914, ce qui fait dire à Pierre Bellec, spécialiste du sujet, qu’en termes d’heures travaillées et de production totale, il n’y a pas de déclin mais seulement une concentration de la production.

 
     
 

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  LA MANCHE EN 1880
   
  INDUSTRIE
         
   
         
 

ADOLPHE JOANNE

GEOGRAPHIE DU DEPARTEMENT DE LA MANCHE

PARU EN 1880

 
     
 

INDUSTRIE

 

Dans les environs de Mortain s'extrait du minerai de fer, traité à l'usine de Bourberouge. Le minerai de Diélette est inexploité, de même que les mines de mercure de la Chapelle-Enjuger. Il existe des mines de houille au Plessis-Garnier. — Le département possède de belles carrières de granit, situées dans l'arrondissement de Cherbourg et aux îles Chausey. Les falaises de Flamanville sont devenues des carrières en pleine exploitation, dont les beaux blocs, qui ont servi à la construction du port de Cherbourg, sont embarqués au port voisin de Diélette. On taille sur place des parapets, des bordures de trottoirs, etc. Cette industrie occupe à l'île de Chausey un grand nombre d'ouvriers, qui façonnent la pierre en larges dalles, transportées à Granville et à Saint-Malo. C'est de Chausey que Paris fait venir en grande partie le granit dont il a besoin pour ses trottoirs. D'autres carrières sont exploitées à Saint-James, dans le antondeSourdeval, àFermanville, et à xMontjoie près de Saint-Pois. Les carrières de quartzite de ïourlaviile fournissent des pavés estimés.

 

I1 existe dans le canton de Montmartin un gisement de calcaire, marbre carbonifère appelé par A. de Caumont, marbre de Dudley, et qui convient à la fois à la marbrerie, à la fabrication de la chaux, à la construction et au macadam. Comme il affleure presque partout, il est exploitable à Hyenville, Montchaton, et Montmartin surtout, qui fournit d'excellentes pierres et de beaux marbres.

 

Sur le territoire de la commune des Pieux existent des gisements de kaolin qui sert à la confection de la porcelaine de Bayeux. Sur la côte de Gréville, on trouve une pierre dite pierre à savon ou talk utilisée par les marchands de chaussures. La tangue, terre calcaire formée de débris de coquillages et mêlée d'un sable très-fm, ainsi que d'une petite quantité de matières salines et organiques, s'extrait à l'embouchure de presque toutes les rivières de la côte occidentale, de Carteret à Pontorson. La tangue sert d'engrais.

 

Il existe des sources minérales à Biville (gazeuse), Brix (ferrugineuse), Dragey (fontaine dite de Santé), Saint-llilaire-du-llarcouot, Saint-Lô et la Taille.

 

L'industrie métallurgique est représentée dans le département par : les forges de Beauchamps, les fonderies de fer de Bourbe- rouge près de Bion, de Brouains, Cherbourg, Granville et Tourlaville; les fonderies de cuivre de Granville, Sourdeval et Villedieu-les-Poëles. Dans cette dernière localité, « le commerce et l'industrie du cuivre sous toutes ses formes atteignent au moins le chiffre de 2 millions par an. Cette industrie s'applique : aux ménages, par la chaudronnerie, les chandeliers, les cuillers, les clanches et les charnières, les réchauds, les petites lampes, les bouilloires, les fontaines, les pompes à puits, à jardin, à voiture; aux établissements publics, par les pompes à incendie; aux distilleries, par les chaudières, les alambics, les robinets ; à l’agriculture, par les grands poêles à cuire les racines, les buires à lait, les couloirs ; aux églises, par les cloches, puis par la dorure des croix, ostensoirs, calices, patènes, flambeaux, encensoirs, etc. » {Annuaire de V Association normande, 1876.) • Une autre localité très-importante pour son industrie est celle de Sourdeval; il y existe, en effet, des fabriques de chandeliers, de couverts en fer battu, fer forgé, étain, métal ferré, métal ferrugineux, d'étrillés, de faux, d'articles de serrurerie, de pointes, de fils de fer, etc. Un village voisin de Sourdeval, le Fresne-Poret, a des fabriques de ciseaux, de sécateurs, tarières et d'aiguilles à voiles, à ralingues, à matelas, etc. Saint-Martin-de-Chaulieu, village qui fait également partie du canton de Sourdeval, possède une fabrique de ferronnerie et de quincaillerie. Sourdeval et Saint-Pois livrent au commerce des forges portatives et des soufflets de forges ; Carentan, Cherbourg, Villedieu, des pompes.

 

L'arsenal de Cherbourg renferme divers établissements se rapportant aussi à rinduslrie métallurgique : ateliers de mâture, de chaudières à vapeur, de chaudronnerie, de serrurerie, forges d'armement, etc. Cherbourg possède aussi d'importants chantiers de construction de navires, ainsi que Barfleur, Granville, Pontorson (navires de 200 à 500 tonneaux), Saint-Nicolas-près-GranvilIe et Saint- Vaast. Cherbourg et Carentan ont des fabriques de voitures, Saint-Lô une importante fabrique de voitures pour enfants, la Haye une fabrique de bascules, Granville de compas pour la marine, Agon une fabrique d'hameçons.

 

Il existe dans le département 45 filatures de laine (15125 broches), situées à Beauchamps, Blainville, Cerisy-la-Forét, Champrepus, Coutances, Gavray, Ger, Gouville, Hambye, au Mesnil-Tove, à Saint-Aubin- du-Perron, Sainte-Cécile, Saint-Hilaire-du-Harcouet, Saint-James, Saint-Laurent-de-Cuves, Saint-Lô, Saint-Sauveur-Lendelin, Teurtheville-Hague, Torigni, Urville-Hague, au Yauroux (commune de Saint-Brice-de-Landelle), à Vengeons, etc.

 

Coutances et Villedieu ont des carderies de laine. Cherbourg fabrique des couvertures de laine.

 

Les filatures de coton (10 001 broches) sont en activité à Brouains, Gonneville, au Neufbourg, au Vast. Coutances, où sont aussi des teillages de lin, confectionne une quantité considérable de toile ouvrée; Cametours, des toiles, des calicots et des coutils. Les coutils se tissent aussi à Canisy, Dangy et Montebourg. Villedieu et Cherbourg fabriquent des dentelles, Avranches et Hambye de la bonneterie, Gavray des toiles de crin.

 

Les industries de la mégisserie, de la tannerie et de la corroiriesont représentées chacune, soit seules, soit simultanément, parplusieurs établissements à Avranches, Carentan, Cherbourg, Coutances (au faubourg du Pont-de-Soulle), Ducey, Granville, la Haye-du-Puits, Montebourg, Morlain, Périers, Pontorson, Quettehou, Saint-Lô, Torigni, Yalognes et Yilledieu. — Les six papeteries du département (564 ouvriers) ont produit, en 1875, 10,000 quintaux métriques de papier. — Les chefs-lieux d'arrondissement de la Manche, et, en outre, Carentan, Granville, la Haye-du-Puits et Saint-Hilaire-du-Harcouet, possèdent des imprimeries; Avranches, Carentan, Granville, Mortain, Saint-James, Saint-Yaast et Tourlaville, des scieries mécaniques ; Cherbourg et Granville, des corderies. Les autres établissements industriels du déparlement sont des minoteries et des moulins à vapeur (Agon, le Vast), des poteries (notamment à Carentan, Ger, la Meauffe, Néhou, Sauxemesnil et Tourlaville), des brasseries (Avranches, Cherbourg, Saint-Hilaire-du-Harcouet), des fabriques de vannerie à Remilly, etc.

 

Sur les côtes on dessèche l’herbet ou pailleule (zostère) pour l'exporter dans les villes, où il est employé comme crin. De plus, les cendres du varech sont utilisées pour la fabrication des produits chimiques.

 

Il nous reste à mentionner l’industrie de la pêche du hareng, du maquereau, et surtout les parcs à huîtres de Saint-Vaast-de-la-Hougue, de Portbail, de Cherbourg et de Regnéville. La pêche des huîtres est faite principalement par les bateaux de Granville. Les concessions huîtrières de Saint-Vaast comprennent des dépôts ou étalages et des parcs. Les premiers, au nombre de 48, occupent une superficie de 46 hectares et demi et s'étendent sur la partie de la plage appelée la Couleige; ils sont réservés aux jeunes huîtres qui doivent croître encore avant de devenir marchandes. Les seconds, affectés à la conservation des huîtres comestibles, sont situés dans la Toquaise et se trouvent pour la plupart garantis de la mer par la petite île de Tatihou; ils sont au nombre de 157, sur une surface de 39 hectares et demi. Les huîtres dont l'élevage réussit le mieux proviennent de la baie de Cancale, ou du banc de Dives. Néanmoins les essais entrepris sur les huîtres d'Arcachon et de Bretagne ont donné de bons résultats. C'est à Saint-Vaast qu'on a essayé pour la première fois d'accUmater en France plusieurs espèces de coquilles américaines, surtout l'huître de Virginie. Les éleveurs de la Hougue estiment que le pacage du mollusque ne doit pas se prolonger au delà de deux ans. La première année, il croît de 5 à 4 centimètres environ; pendant la seconde, il profite moins, c'est vrai, mais il épaissit et engraisse. Les procédés d'élevage employés à la Hougue consistent principalement à nettoyer, à déplacer fréquemment le coquillage, pour l'empêcher d'être enseveli sous la vase ou enveloppé par des goémons parasites, qui, en s'attachant aux valves, l'empêchent de s'ouvrir et finissent par le faire périr en l'étouffant. 500 personnes trouvent chaque jour de l'occupation dans les concessions de Saint-Vaast, et à chaque grande marée ce nombre est au moins doublé.

 

La station de Regnéville est très-favorable à l'élevage des huîtres par sa situation sur un havre immense que la mer recouvre à chaque marée. Dans ce havre débouche la rivière de la Sienne qui, en mêlant ses eaux à celles de l'Océan dont elle tempère la salure, donne aux mollusques une qualité qui les fait rechercher des ostréiculteurs. Un peu au-dessous de l'embouchure de h Sienne, Mme Sarah Félix, sœur de la grande tragédienne Rachel, a créé un magnifique établissement ostréicole. Les parcs de Mme Félix, creusés dans un terrain calcaire, occupent sur la grève une superficie de 5 hectares. Une digue insubmersible, haute de 6 mètres, les protège contre les atteintes et les violences de la mer.

 
         
 

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