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Ganne
Un des sires de la Lande-Patry fut un brigand sans foi ni loi qui pillait impitoyablement les campagnes, mettait à sac la chaumière du pauvre paysan , lui enlevait ses troupeaux , le tourmentait cruellement , détroussait les voyageurs et dépouillait à l'occasion les églises et les monastères . Rien ni personne n'était à l'abri de ses rapines, de ses violences ; il était le fléau de tous.
Son nom seul faisait trembler les plus hardis même à plusieurs lieues autour de son repaire , et quand éclatait soudain ce cri si redouté : Ganne ! Voilà Ganne ! , tous , les hommes , femmes et enfants s' enfuyaient affolés de terreur , comme les passereaux devant l'oiseau de proie ; c'est qu'on savait que la moindre résistance , le plus faible murmure , était aussitôt puni de la corde ou du cachot.
Souvent, dit encore la légende, on voyait aux premières lueurs de l'aube le pont-levis du château s'abaisser, et des profondeurs sombres de la poterne une troupe rapide de cavaliers s'éloigner. C'était Ganne et ses compagnons allant porter dans les campagnes désolées le rapt, le pillage, le meurtre et l'incendie.
Longtemps , les crimes de Ganne demeurèrent impunis ; ce fut en vain qu'on l'assiégea dans son château, qu'on lui dressa des embûches . Son esprit fertile en ressources savait rendre inutiles tous les moyens employés pour le prendre , savait le faire échapper à toutes les poursuites . Tantôt , en faisant ferrer son cheval à rebours , il mettait sur une fausse piste les cavaliers courant après lui ; tantôt, pressé de trop près dans son château entouré d'ennemis, il leur échappait par des souterrains donnant au loin dans la cam - pagne et conduisant jusqu'à Domfront même . Puis , c'est dans le ventre d'un cheval abattu qu'il se cachait , après avoir ordonné qu'on le trainât dehors, au delà des lignes des assiégeants.
Une autrefois, enfin, qu'il était assiégé, et que les provisions manquant, il lui eût fallu se rendre à merci, il sut de nouveau tromper ses ennemis . Il ne lui restait plus qu'un boisseau de blé ; il le fit manger par sa dernière vache , qu'on tua ensuite et dont on jeta les intestins par dessus les remparts . Le stratagème réussit . La place ne pouvait être prise d'assaut et , désespérant de réduire par la famine des gens si bien approvisionnés , les assiégeants se dispersèrent , décampèrent jusqu'au dernier , et Ganne, délivré, put reprendre le cours de ses déprédations.
Tant de forfaits ne pouvaient demeurer toujours impunis . Ganne tomba dans une embuscade et, accablé sous le nombre comme la bête fauve sous la meute, il fut capturé, on le garrotta étroitement et il fut porté , caché avec soin dans un manteau , au bord de la douve de son château. De grandes clameurs appelèrent la châtelaine, qui apparut entre deux des créneaux du rempart.
-"De quel supplice, lui crièrent les paysans, faut-il punir un scélérat , traitre à son Dieu , traitre à son roi , et tout couvert d'opprobre et de sang ? ".
- " Qu'il soit, répondit la châtelaine, ignorant qu'il s'agissait du seigneur châtelain , enfermé dans un tonneau garni de pointes de fer à l'intérieur, et roulé du haut en bas d'une colline ".
Et Ganne , mis dans un tonneau plus hérissé de longs clous, de lames de couteau, de pointes de flèches et de faulx que la herse du laboureur ne l'est de ses dents de fer , fut roulé d'une colline semée de rocs , et subit l'affreux supplice qu'il avait entendu sa femme dicter aux manants.
(J. Lecœur, Esquisses du Bocage Normand, t. II, p 361-363). |
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