LA REVUE ILLUSTREE DU CALVADOS    1911-1914 
   

Bebé-Tyran... -Juillet 1914
         
 

Sitôt que Bébé, nouvellement éclos, vagit au fond de son lit de plume, maints bras carressants se tendent vers lui ; on le prend ; on le dorlotte ; on le berce. Bébé s'apaise et puis s'endort... pour se réveiller bientôt, et recommencer la même comédie, car son intelligence, mal débarbouillée des obscurités du néant, discerne tout de suite cette vérité : qu'il lui suffit de crier pour qu'on le prenne.

Eh bien, dès la première heure de sa naissance, il s'agit de vaincre ce petit tyran.

Il existe pour cela un remède radical, c'est de résister impitoyablement à tous appels du moment où l'on a la certitude que ceux-ci ne sont pas justifiés.

Un enfant doit boire au maximum trois fois par nuit jusqu'à l'âge de trois mois. De trois à quatre mois, deux fois par nuit.

A six mois, il ne demandera plus rien en­tre dix heures du soir et six heures du ma­tin, si l'éducation a été bonne.

Donc, point de sentimentalité, ou l'inté­rieur du ménage devient un enfer.

 

SAGERS 1910 Paris la nuit

 
 
 
 

Les pre­mières nuits seront dures à passer, car Bébé protestera furieusement. Laissez-le protester. Quand il aura acquis d'instinct la conviction de l'inutilité de ses colères, il s'endormira sagement et ne se réveillera plus qu'au moment opportun.

 

Tout le mon­de y gagnera, y  compris lui-même.

Assurément, les grands-parents et autres conseilleurs, qui ne prennent du bébé que les joies qu'il donne sans s'embarrasser de la lourde charge dont il est l'objet, join­dront leur vindicte à la sienne. Et ce se­ront des : Tu vas le rendre malade ! Prends garde à lui donner une hernie ! C'est man­quer de cœur que de laisser un enfant crier comme ça ! Et patati et patata...

 

Laissez couler ce flot. Le pire qui puisse arriver à Bébé, quand il s'est égosillé et n'a plus de souffle, c'est de s'endormir comme un petit paquet : on ne lui densan­de justement que d'en prendre l'habitude. Quant à la hernie ombilicale causée par les efforts de sa colère, elle ne viendra pas moins sûrement si vous permettez au jeune tyran d'imposer sa volonté par le moyen des scènes tempétueuses dont vous et moi avez été parfois témoins. Au surplus, elle se guérit à merveille en un rien de temps et sans danger.

Une résistance analogue est indispensa­ble pour empêcher les caprices vis-à-vis telle ou telle personne affectionnée à ce point de Bébé, que ce sont des hurlements comme si on cherchait à l'égorger lorsqu'on le confie à d'autres mains. Dans les mai­sons, surtout, où l'on n'a pas de nourrice, et où, conséquemment, on se charge tour à tour de veiller sur lui, il doit être habitué à aller indifféremment de l'un à l'autre sans pleurer.

Pour nous résumer, disons que l'intelli­gence de l'enfant entre en lutte dès la pre­mière heure avec la volonté maternelle. Laisser la bride sur le cou à cette indé­pendance, c'est condamner le ménage aux excès de fatigue et l'enfant à un régime désordonné. La vaincre, au contraire, mal­gré les faiblesses irraisonnées du coeur, c'est assurer aux uns le repos, à l'autre la santé.

Ce sont là deux considérations qui méri­tent bien une nuit d'énergie !