LE DONJON D'AVRANCHES
     
 ARCHITECTURE DU DONJON
     

Avranches, CPA collection LPM 1900

 

Le donjon d'Avranches

Un mystère historique...

David NICOLAS-MÉRY 2002


8. Hypothèses de datation au vu des particularités techniques

et architecturales du donjon

     

L'utilisation de l'opus spicatum est fort ancien, puisqu'utilisé depuis l'époque carolingienne. Elle perdure dans l'architecture castrale, semble-t-il, jusqu'à la fin du XIIe siècle. Dans l'Avranchin son utilisation paraît relativement tardive et semble remonter à la fin du XIe siècle et au XIIe siècle. Ce type d'appareil apparaît dans quelques édifices religieux n'ayant pas fait l'objet d'étude, aussi je ne peux pas le considérer comme un élément de datation fiable et précis. Toutefois je me permets d'en citer quelques-uns pour mémoire. Dans le cas d'Avranches, ce type d'appareil m'aura surtout permis d'identifier et d'associer des vestiges contemporains.

 

À quelques kilomètres d'Avranches, le prieuré de Saint-Léonard présente un appareil en opus spicatum. La construction est datée généralement du XIIe siècle, même si sa donation à l'Abbaye aux Hommes de Caen est attribuée traditionnellement à Guillaume le Conquérant au moment de sa mort, en 1087. Les moellons de schiste ainsi que leur disposition dans les maçonneries sont sensiblement différents de ce que l'on observe à Avranches pour le donjon.

 

L'église du Tanu, près de la Haye-Pesnel, à une vingtaine de kilomètres d'Avranches, est un édifice roman parfaitement ignoré. Les parois extérieures du vaisseau unique comportent eux aussi de beaux exemples d'opus spicatum. L'église de Saint-Planchers, proche de Granville, conserve, elle aussi, quelques traces moins spectaculaires d'opus spicatum

 

L'église du Tanu

 

L'église du Tanu, mur latéral Sud

 

Le chanoine Pigeon a dessiné dans ses carnets l'église d'Ardevon avant qu'elle ne soit reconstruite, comme beaucoup d'autres, au XIXe siè cle; ces esquisses constituent un témoignage très précieux. Le chanoine a en effet observé sur l'ensemble des maçonneries un appareil en arêtes de poisson ainsi que de minces ouvertures faites de briques. Ce type d'association, brique et arêtes de poisson, est tout à fait intéressant puisqu'on le rencontre, comme nous l'avons vu, au donjon.

 

Les deux seuls édifices, proches d'Avranches et toujours debouts, à présenter de telles particularités sont les églises de Saint-Jean-le-Thomas et de La Godefroy. À Saint-Jean-le-Thomas c'est surtout un magnifique appareil réticulé qui domine. Cette église classée est considérée comme la plus ancienne du département. Sa construction pourrait remonter aux environs de l'an mil. Mais aucune datation véritable n'a été effectuée. À La Godefroy l'opus spicatum est repérable sur plusieurs murs extérieurs. Une ouverture aux claveaux de brique est parfaitement conservée dans la paroi septentrionale de la construction

 

La brique. – J'ai relevé, pour le donjon, au moins 5 modules différents de brique, entre les jambages des deux arches et les claveaux de leurs voûtes (26 x 24 x 4,5 cm; 24 x 22 x 4,5 cm; 24 x 19 x 4,5/5 cm; 24 x 16 x 5 cm et 22 x 16 x 5/6 cm). Il est également possible de faire une différence au niveau de leur textures. Les briques utilisées pour les jambages des ouvertures sont d'un rouge plus foncé, presque pourpre, tandis que celles des claveaux sont beaucoup plus orangées.

 

Si l'utilisation de la brique est attestée à l'époque carolingienne, on continue de la rencontrer dans des édifices plus tardifs comme le château de Mayenne. Ce matériau est aussi utilisé, plus près d'Avranches, au Mont-Saint-Michel dans l'église Notre-Dame sous terre, datée peut-être de la fin du Xe siècle, ou bien encore, comme nous venons de le voir, à Saint-Jean-le-Thomas et à La Godefroy. Mais, une nouvelle fois, il faut rester très prudent avec de tels emplois. La brique a-t-elle été fabriquée à cette époque? S'agit-il ici d'un réemploi? Il est bien difficile de s'avancer. Le mortier utilisé dans les maçonneries de ces vestiges semble lui aussi fort ancien.

 

Une étude approfondie de l'utilisation de la brique dans l'Avranchin aux XIe, XIIe et XIIIe siècles serait du plus grand intérêt. Etant donné les nouvelles techniques de datation consistant à l'analyse des briques et des mortiers anciens, on peut espérer voir bientôt l'étude d'échantillons prélevés sur le site.

 

Les galeries murales. – Les galeries murales nous rappellent de nombreux donjons ayant fait l'objet d'étude. Je pense ici notamment aux deux édifices anglo-normands que sont la Tour de Londres et le donjon de Rochester situé entre Cantorbury et Londres.

 

L'édifice construit par Guillaume, peu de temps après la Conquête, présente un ensemble de galeries murales qui entourent complètement les espaces de vie du bâtiment. Voilà encore un détail qui le rapproche de notre donjon. Le donjon de Rochester, bien que plus tardif puisqu'il date du XIIe siècle, est tout de même un bel exemple d'édifice à galerie murale. Il est vraisemblablement très inspiré de la Tour de Londres.

 

Enfin, pour prendre un exemple français de donjon à galeries, faisons référence à Loches en Touraine, dont la construction remonte au début du XIe siècle. Jean Mesqui, dans son étude de la tour maîtresse du donjon de Loches, fait la description de quatre galeries internes aux murs du bâtiment. Sur ces quatre galeries, trois sont pour lui des espaces de retrait des occupants, "affectés à des usages intimes, liés à l'hygiène". La quatrième mène à un escalier conduisant aux étages.

 

La galerie visible sur les clichés de 1883, dissimulée dans le mur nord, aurait pu aboutir à un escalier menant au niveau inférieur, ou bien, à partir du XIIIe siècle, à une gaine interne au mur de courtine. À moins que ce ne soit, comme à Loches, une impasse ayant une fonction domestique. En ce qui concerne la petite galerie évoquée précédemment on pourrait très bien être en présence d'une issue vers l'extérieur ou bien d'un espace privé à usage de latrines.

 

Le prieuré de Saint-Léonard

 

Le prieuré de Saint-Léonard 

Maçonnerie en Appareil opus spicatum

 

Le chanoine Pigeon a dessiné

dans ses carnets l'église d'Ardevon

 

Eglise de Saint-Jean-le-Thomas

 

Eglise de Saint-Jean-le-Thomas

Mur Nord du coeur


Eglise de La Godefroy


Eglise de La Godefroy

Mur latéral Nord de la nef

 

Donjon D


   

Les contreforts. – La dernière particularité architecturale du donjon d'Avranches réside dans le renforcement de sa façade orientale par, au moins, un contrefort circulaire.

 

Hélas, aujourd'hui rien ne subsiste de cet élément, connu uniquement grâce aux dessins de Vauquelin et de Pigeon. On peut supposer qu'il n'était pas le seul de ce type à flanquer le donjon et que les contreforts mentionnés par Lefebvre étaient eux aussi circulaires mais sur une base "carrée", d'où leur forme sur le plan.

 

Le chanoine parle de "colonne contrefort" et de "contrefort en forme de colonne élégante", dont "la base plus saillante présentait des débris antiques" et dont "le fût était orné de deux anneaux en brique rouge". Ces descriptions sont intéressantes car la mention de vestiges antiques pourrait permettre de voir dans une partie de la courtine, à l'endroit de sa jonction avec le donjon, l'encastrement d'un second contrefort. Ce contrefort, aujourd'hui peu lisible, l'est un peu plus sur les images de Hodiesne. Il présente à sa base des réemplois gallo-romains et notamment un fût de colonne qui pourrait aussi être antique.

 

Quoiqu'il en soit, les contreforts circulaires sont plutôt absents du vocabulaire architectural des donjons normands. Ces éléments de raidissement des murs se rencontrent surtout dans la région Poitou-Vendée, comme à Civaux dans la Vienne ou bien Châteaumur, Pouzauges et Tiffauges en Vendée. Peut-on une nouvelle fois établir un rapprochement formel avec la tour maîtresse de Loches? Faute d'indices archéologiques plus précis il est bien délicat de se prononcer.