Les départements d'Outre Mer

 




 


La Martinique

La Guadeloupe

La Guyane

La Réunion

 

 

 

 

 

 EDITION MANCHOT 2013 LES COLONIES FRANCAISES    N°34 LDOM 03
 

 

 

 

 

 

 
   LES DEPARTEMENTS D’ OUTRE MER  
   
 

L'aventure commence au temps de Louis XIII et de son principal ministre, le cardinal Richelieu. Celui-ci crée des compagnies privées pour faciliter les entreprises de colonisation. L'objectif de ces compagnies à charte, dotées d'importants privilèges fiscaux, est avant tout d'approvisionner la métropole en sucre, une denrée de luxe traditionnellement achetée dans les pays musulmans et qui occasionne d'importantes sorties de métaux précieux. Selon la doctrine mercantiliste de l'époque, ces sorties de numéraire sont le principal facteur d'appauvrissement de l'État.

 

En 1635, un agent de la Compagnie des Isles d'Amérique, Pierre Belain d'Esnambuc, prend possession de la Martinique, une île volcanique des petites Antilles. La même année, ses lieutenants prennent possession de l'île voisine de la Martinique, la Guadeloupe.

 

Très vite, la Compagnie des Isles d'Amérique va promouvoir sur ces deux îles la culture de la canne à sucre qui va faire la fortune des familles békés (blancs créoles).

 

L'extension de l'esclavage nécessite en 1685 la promulgation d'un code en vue de réglementer les rapports entre maîtres et esclaves. Ce code, plusieurs fois réécrit au siècle suivant et surnommé «Code noir», va donner une base légale à l'esclavage sans pour autant l'humaniser, tant il est vain de vouloir faire un compromis entre un principe d'humanité et une réalité inhumaine.

 

En Amérique du sud, vers 1637, des marins normands accostent sur la côte de l'Amazonie. Le gouvernement de Louis XV, au siècle suivant, va tenter de mettre en valeur cette région inhospitalière, la Guyane, en pratiquant le drainage à la façon des voisins hollandais. L'insuccès sera total.

 

L'océan Indien n'échappe pas à l'oeil de Richelieu. En 1638, le capitaine Goubert prend possession d'une île volcanique superbe et inhabitée de 2500 km2 dans l'archipel des Mascareignes...

 

La Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et la Réunion, que la France a peuplées, en bonne partie hélas par la contrainte, sont devenues une part indissociable de la nation. C'est pourquoi, dans l'enthousiasme de la Libération, elles ont obtenu de l'Assemblée nationale, le 19 mars 1946, qu'elles soient hissées au rang de département d'outre-mer.

 
     
 
 
     
   LES ANTILLES  
     
 

GUADELOUPE, MARTINIQUE et îles voisines

Rappel historique entre 1890 et 1946

 

En 1674, les deux îles deviennent colonies françaises.

 

Les révoltes d’esclaves se conjuguent aux combats contre les Espagnols, les Hollandais et surtout les Anglais qui occupent la Guadeloupe de 1759 à 1763 et la Martinique de 1794 à 1802.

 

En 1794, la Convention abolit l’esclavage; il est rétabli par Napoléon en 1802. Une insurrection se déclare que réprime le général Richepanse. Le système esclavagiste avec classes cloisonnées ne sera aboli, officiellement, qu’en 1848, sous l’influence de V. Schoelcher.

 

Le second Empire crée une assemblée consultative, le conseil général, qui n’a qu’un faible pouvoir face au gouverneur. Ce système politique durera jusqu’à la loi de 1946 qui en fait un département d’outre-mer.

 
     
 
 
     
 
 
     
 

 LA MARTINIQUE

 
 
 
 

La Martinique a été « découverte » par Christophe Colomb, en 1502, mais l'histoire de l'île commence bien avant

 

An tan lontan lontan... : le temps des Indiens

 

Des indiens nomades peuplent  progressivement les îles des petites Antilles et débarquent en Martinique, entre le 5ème et le 1er millénaire avant J.-C. probablement. Des vestiges de cette civilisation (éclats de silex, polissoirs, broyeurs, herminettes de pierre et de lambi, haches...) ont été retrouvés sur quelques sites, notamment dans le sud de l'île, à la savane des pétrifications. Ce peuple, néolithique, vit de chasse, de pêche et de cueillette et ne connaît pas la céramique. C'est pourquoi on parle de période pré-céramiste.

 

Environ un siècle avant J.-C., des Arawaks quittent la région de l'Orénoque (fleuve de l'actuel Venezuela), dont ils sont originaires et s'installent sur l'île. Les grandes Antilles sont peuplées plus tard, vers 700 après J.-C. par des groupes Arawaks appelés Taïnos, parents des Arawaks des petites Antilles. Les Arawaks appartiennent à la culture saladoïde, terme qui fait référence à leur style de poterie, par lequel on désigne ces populations. Dans le nord-est de la Martinique, au Lorrain et à Sainte-Marie, les vestiges retrouvés prouvent l'existence de villages constitués de plusieurs dizaines de familles. Ils s'installent en bord de mer, à proximité des rivières, sur de faibles hauteurs. Les Arawaks, sédentaires, sont agriculteurs et potiers et apportent la culture du manioc et la céramique. Ils ne connaissent pas l'écriture, mais laissent comme « messages » des symboles figurant sur leurs poteries, ainsi que des inscriptions gravées sur des roches (des pétroglyphes), encore difficiles à déchiffrer, dans la forêt de Montravail à Sainte-Luce et du Bac à Trinité.

 
     
 
 
     
 

En 295, une éruption de la Montagne Pelée (l'éruption de 1902 n'est donc pas la première!) dévaste l'île et fait fuir les Arawaks. C'est la fin de la période saladoïde insulaire, dite aussi Arawak I. Les descendants des survivants ne reviennent à la Martinique que vers l'an 400, et s'installent dans le sud, dans la région du Diamant notamment. Cette nouvelle période, dite saladoïde modifiée (ou Arawak II, ou encore Caribéen ancien), se caractérise par une modification de la production céramique. Ces Arawaks s'installent plus près encore de la mer et exploitent davantage les ressources marines (coquillages, poissons, tortues, lamentins...). Ils connaissent aussi la vannerie et savent filer le coton.

 

Probablement à la suite d'une rencontre entre les Arawaks et un autre groupe humain commence vers 700  une période transitoire, dite saladoïde terminal ou Caribéen moyen ou encore culture troumassoïde, qui s'achève vers 900.

 

C'est ensuite le début de la période appelée culture suazoïde (900-1400). Les Caraïbes ou Kalinas, venus eux aussi du nord-est de l'Amérique du sud, apparaissent peu à peu sur l'île, sans que l'on puisse déterminer précisément la date de leur installation (merci à Jean-Pierre pour cette précision). En tous cas, ils y sont présents à l'arrivée des Espagnols dans la zone. La production de la céramique évolue à nouveau : de nouvelles formes de poterie, plus grossières, et de nouveaux décors apparaissent. On retient surtout du mode de vie des Caraïbes que ces Amérindiens, bagarreurs, mangeaient leurs ennemis (les Arawaks), et capturaient leurs femmes et leurs enfants. Les Caraïbes déciment rapidement les Arawaks.

 

1502 : Christophe Colomb « découvre » la Martinique

 

Lorsque Christophe Colomb débarque sur l'île, sur la plage du Carbet, lors de son quatrième voyage, le 15 juin 1502, il y rencontre les Caraïbes.  Il la baptise, mais rembarque sans laisser de colons sur place. A cette époque, Espagnols et Portugais se partagent le Nouveau Monde, tandis que la France, empêtrée dans de longues guerres, a d'autres chats à fouetter. Les Espagnols tentent bien, à plusieurs reprises, de mettre la main sur les petites Antilles, mais les Caraïbes se montrent très tenaces. Pendant longtemps, seuls quelques navires y font escale pour se ravitailler avant de reprendre la mer, ce qui donne l'occasion aux Caraïbes de faire quelques échanges : cassaves de manioc, fruits et légumes contre pacotille et objets en métal.

 

Vers 1618, des Français, équipiers du capitaine Fleury, font naufrage près de la Martinique et trouvent refuge sur l'île. Ils y vivent pendant près d'un an, parmi les Caraïbes. A leur retour, ils en parlent avec enthousiasme, suscitant l'intérêt.

 
     
 
 
     
 

1635 : la colonisation en marche

 

Le 15 septembre 1635, Pierre Belain d'Esnambuc, qui a déjà fait de la colonisation de Saint-Christophe un succès, débarque en Martinique avec une centaine d'hommes expérimentés. Il fait construire hâtivement le Fort Saint-Pierre, ainsi qu'une habitation, et, après seulement deux mois passés sur l'île, retourne à Saint-Christophe. Il charge son successeur, Jacques du Pont, de maintenir la paix avec les Caraïbes.

 

Le 20 janvier 1637, après la mort de d'Esnambuc, son neveu et héritier, Jacques du Parquet, arrive en Martinique. Il est nommé Lieutenant Général de la Martinique par la Compagnie des Iles d'Amérique, propriétaire de l'île, chargée par le roi de la coloniser et d'en exploiter les richesses.

 

Petit à petit, une société se forme, composée de deux classes : celle des colons et celle des engagés, presque uniquement des hommes originaires des milieux ruraux du nord-ouest de la France. En 1640, ils sont environ un millier, installés sur la côte caraïbe, entre le Prêcheur et Case-Pilote. Leur priorité est de défricher les terres concédées par la Compagnie et d'y planter principalement du pétun (tabac), utilisé comme monnaie, et du coton. A cette époque, il n'existe pas encore de bourgs, les cases sont éparpillées le long de la côte et les conditions de vie sont difficiles.

 

Les Caraïbes voient d'un mauvais oeil cette intrusion, et se rebellent dès 1636 en attaquant Saint-Pierre. En 1639, ils signent avec du Parquet un traité de paix qui partage l'île dans le sens de la longueur, en deux parties à peu près égales. C'est chacun chez soi, ou presque.

 

La Compagnie joue un rôle central sur l'île. Elle est chargée de l'administrer, de la « développer » et de la défendre, mais elle détient également le monopole du commerce. C'est à elle que les colons doivent vendre leur tabac, et c'est auprès d'elle aussi qu'ils se procurent denrées alimentaires et outillage. Ce système de l'Exclusif est défavorable aux colons, qui, se sentant exploités par la Compagnie (qui par ailleurs n'est pas en mesure d'approvisionner l'île régulièrement), transgressent l'interdiction de commercer avec l'étranger en échangeant avec les Hollandais, et se révoltent en 1646 contre le paiement des droits à la Compagnie.

 
 

 

 
 
 
     
 

1650 : l'Apogée du règne de du Parquet

 

La Compagnie se rend finalement à l'évidence : elle est au bord de la faillite et a perdu le contrôle de la Martinique. En 1649, elle prononce sa dissolution et vend les îles. En 1650, du Parquet achète la Martinique. Le pouvoir royal, mis devant le fait accompli, nomme du Parquet Gouverneur et Lieutenant Général (c'est-à-dire représentant du roi). C'est le début de l'ère des Seigneurs propriétaires, qui durera jusqu'en 1664.

 

En 1650, au Brésil, l'industrie du sucre est déjà très développée, mais en Martinique, toutes les tentatives échouent ; on n'arrive pas à faire du sucre. En 1654, des Hollandais, chassés de ce pays par les Portugais, apportent en Martinique la canne à sucre, les procédés de fabrication et de raffinage ainsi que les moules qui servent à la cristallisation. Du Parquet est le premier à ouvrir une sucrerie. Quinze ans plus tard, on en compte 117 sur l'île. Dès 1660, le sucre devient une monnaie. La révolution du sucre accélère le déclin du tabac. Parce qu'elle nécessite la culture de grandes parcelles de canne, des capitaux importants et une main d'oeuvre abondante, elle provoque un remembrement des terres cultivables, donne naissance aux habitations, et surtout, engendre la mise en place du système esclavagiste. La société martiniquaise change alors de visage.

 

Le besoin de terres nouvelles motive également l'expulsion et le massacre des Caraïbes, après la mort de du Parquet, en 1658. C'est un véritable guet-apens que les colons organisent à l'occasion d'une visite habituelle d'un groupe de Caraïbes à Saint-Pierre. Les colons prennent cet incident comme prétexte pour déclarer la guerre aux Caraïbes, qui, surpris, sont massacrés au cours d'expéditions armées. N'ayant jamais pu réduire les Caraïbes en esclavage, ni les convertir au catholicisme, ils ont préféré les exterminer.  C'est la fin d'une longue période d'hostilité entre les deux camps. Il reste bien quelques dizaines de Caraïbes à la Caravelle et aux Salines à Sainte-Anne, mais les colons qui investissent les lieux les chassent rapidement. Une fois les Caraïbes expulsés, des colons s'installent dans le nord-est de la Martinique. Peu à peu, de nouvelles communes apparaissent : Sainte-Marie, le Marigot, Basse-Pointe...

 
 

 

 
 
 
     
 

1664 : la Martinique passe aux mains

de la Compagnie des Indes Occidentales

 

L'augmentation de la population de l'île et les nouveaux besoins en matériel et en main d'oeuvre développent le commerce, mais ce sont les Hollandais, mieux armés pour les échanges que les marchands français, qui en profitent et assurent ainsi le développement de l'île. La Martinique doit d'ailleurs beaucoup aux Hollandais puisque sans l'aide de quelques uns de leurs navires arrivés inopinément en rade de Saint-Pierre, la ville n'aurait sans doute pas résisté à une attaque des Caraïbes, auxquels s'étaient joints des marrons, en 1654. Et n'oublions pas que les Hollandais ont livré aux colons martiniquais le secret du sucre!

 

Mais Colbert ne voit pas les choses ainsi. Il s'inscrit dans la pensée mercantiliste de l'époque et considère que la puissance d'une nation se mesure par le stock de métaux précieux et de monnaie, dont il faut à tout prix empêcher la sortie et au contraire favoriser l'entrée. Les colonies doivent donc fournir à la métropole des produits à bas prix qui seront transformés dans l'hexagone et exportés vers d'autres pays. Colbert met en place une politique protectionniste, le temps de développer une flotte marchande française capable de rivaliser avec la flotte hollandaise. Pour mettre fin aux troubles internes et aux menaces des autres nations présentes dans cette zone et ainsi assurer la stabilité nécessaire au développement de la production et du commerce, il décide en 1664 de racheter les îles aux Seigneurs propriétaires et d'en confier la gestion à la toute nouvelle Compagnie des Indes Occidentales.

 

Le commerce avec la Hollande est interdit mais la Compagnie ne parvient pas à remplir son rôle, c'est-à-dire à approvisionner l'île et à vendre sa production en métropole. Dès 1664, on manque de tout à la Martinique. Les colons, qui doivent en plus supporter l'avarice des commis de la Compagnie, ne tardent pas à exprimer leur colère. De graves troubles éclatent. Le Gouverneur et la Compagnie ont aussi à faire face à la première grande révolte des marrons, menée par 200 à 300 individus. Les débuts sont donc pénibles pour la Compagnie.

 
     
 
 
     
 

La période de la Compagnie est en quelque sorte une période de transition entre la période des défricheurs et celles de la révolution sucrière qui entraîne le développement de la société esclavagiste. Elle est marquée par le développement des habitations et du peuplement de l'île. En 1671, on dénombre 1 086 habitations contre 684 en 1664. La plupart se trouvent sur la côte caraïbe de l'île, entre Case-Pilote et le Prêcheur, mais les zones allant de Trinité à Basse-Pointe, entourant le Marin ou Fort-Royal (l'actuel Fort-de-France), qui apparaît en 1669, se développent rapidement. Seuls la côte sud atlantique et le centre de l'île sont encore inhabités. Peu à peu, une bonne partie des terres est accaparée par les plus gros propriétaires sucriers et la canne, qui rapporte cinq fois plus, relègue le tabac au rang de production secondaire. Dans le même temps, le nombre d'habitants passe de 6 062 à 10 600, principalement du fait de l'entrée en Martinique de milliers d'esclaves.

 

En 1666, lorsque le Gouverneur de Clodoré décide d'intensifier la garde de jour face à la menace des Anglais, les colons se révoltent de nouveau, obligeant de Clodoré à faire intervenir la milice.

 

Presque au même moment, la guerre ayant été déclarée entre la France et l'Angleterre, une flotte anglaise attaque pour la première fois Saint-Pierre, qui réussit à repousser l'ennemi. Les Anglais récidivent en 1667, mais ne parviennent toujours pas à débarquer.

 
     
 
 
     
 

Les îles étant devenues stratégiques dans la lutte qui oppose les grandes puissances européennes, Colbert décide de renforcer le potentiel militaire de la Martinique. Il constitue en 1669 un gouvernement général des îles françaises d'Amérique dont il installe le siège en Martinique, ce qui favorise le développement de l'île. Il rattache aussi les îles directement au ministère de la marine, renforçant ainsi l'autorité royale sur les colonies. Enfin, il accorde la liberté du commerce avec les îles pour tous les Français, tout en interdisant aux navires étrangers d'accoster dans les îles françaises. L'effet de cette mesure est rapide : les marchands et armateurs s'intéressent aux îles et en 1672, 86 vaisseaux de la marine marchande française assurent le trafic.

 

La France, qui a désormais les moyens de lutter commercialement avec les Hollandais, dispose aussi d'une flotte de guerre importante. Un millier de soldats des troupes royales s'installent par ailleurs en Martinique en 1672 pour renforcer la milice. Le roi informe le Gouverneur de Baas de son intention de déclarer la guerre à la Hollande et le presse d'achever les travaux de fortification de Fort-Royal. La Martinique est prête, juste à temps : en 1674, une flotte hollandaise considérable de 3 400 marins et 4 000 soldats, commandée par l'amiral de Ruyter, l'un des plus grands marins de son époque, se trouve devant Fort-Royal. C'est le début de la plus grande bataille de l'île, marquée par une suite invraisemblable de quiproquos qui la rendent finalement très comique. Contre toute attente, la Martinique reste française.

 

L'entreprise de Colbert a réussi : l'industrialisation est en marche, le commerce est florissant et la Martinique est promise à un bel avenir. Cependant, la Compagnie des Indes Occidentales, d'ailleurs au bord de la faillite, n'a pas rempli sa mission et n'a en rien aidé à la réalisation du projet du pouvoir central.  Le roi décide donc de la dissoudre en 1674, la rachète pour la valeur de ses dettes, et fait passer les îles lui appartenant, dont la Martinique, sous l'administration royale.

 
     
 
 
     
 

Du sucre, du sucre, du sucre...

 

L'industrie sucrière se développe rapidement : le nombre de sucreries passe de 119 en 1671 à 456 en 1742. Les surfaces cultivées en canne s'étendent, tandis que la concentration des terres se poursuit. Finalement, plus de la moitié des terres cultivées appartiendront à des grands propriétaires, les futurs békés. Les progrès techniques, tels que les moulins, accroissent la production. La rentabilité de la canne est aussi augmentée par la production de mélasses exportées brutes et de guildive.

 

La canne est la principale culture, mais il ne s'agit pas de monoculture : d'autres cultures sont introduites et accroissent la richesse de l'île mais ne perdurent pas. Le cacao est balayé par un cyclone, le café est vaincu par une invasion de fourmis, le coton martiniquais ne résiste pas à la concurrence, la culture des fruits et légumes n'est pas assez lucrative par rapport à la canne pour être durablement attractive. Les bovins, eux aussi, doivent céder leurs pâturages à la canne. La banane fait quant à elle son apparition en 1730, mais les autorités royales doivent l'imposer pour la faire vivre. La culture des fruits et légumes, de la banane (consommée autant comme fruit que comme légume) et l'élevage, sont nécessaires à la subsistance de la population, et en particulier à l'alimentation des esclaves. Cependant, malgré les mises en garde, les obligations et les sanctions, les colons ne se préoccupent pas beaucoup de nourrir leurs esclaves. Ils cherchent à se décharger de cette obligation et finissent par accorder aux esclaves la journée du samedi pour cultiver un lopin de terre pour leur subsistance sur l'habitation. En 1787, le quart des terres est cultivé en vivres.

 
     
 
 
     
 

Le développement des cultures nécessite la conquête de nouvelles terres. Peu à peu, le reste de l'île se peuple : Ducos dès 1682, le Lamentin en 1690, puis vient le tour du reste de la côte atlantique (le Robert en 1697, le François en 1694, et enfin le Vauclin en 1720), et le Gros-Morne, qui se spécialise dans la production du cacao. La population passe de 23 362 habitants en 1701 à 74 042 en 1738 puis à 89 300 en 1783.

 

Grâce au système de l'Exclusif, qui les exploite, les colonies font la richesse de la métropole, et en particulier des villes portuaires comme Nantes ou Bordeaux qui profitent du commerce direct avec les îles (aussi appelé commerce en droiture, il concerne le textile, les produits alimentaires, les matières premières telles que les matériaux de construction et les produits manufacturés) et du commerce triangulaire, c'est-à-dire du trafic négrier. De plus, l'Exclusif interdisant aux îles le raffinage du sucre, ce sont les les marchands et raffineurs de métropole qui en tirent des profits énormes. En 1789, la France fournissait la moitié du sucre consommé en Europe! Les armateurs, banquiers et gros négociants des ports français qui commercent avec les îles bâtissent des fortunes colossales. Leurs correspondants dans les îles, les commissionnaires, qui vendent à la fois les produits des négociants français aux colons et la production des habitations aux marchands français, se rendent vite incontournables, et, grâce à des marges confortables, s'enrichissent aussi considérablement. Ce système de l'Exclusif accroît encore le rôle de Saint-Pierre puisque la Martinique étant le siège du gouverneur général, la ville est un passage obligé et accueille 90 % des navires en 1737, bien que Fort-Royal soit déjà la capitale administrative.

 
     
 
 
     
 

1717 : le « Gaoulé » des colons

 

Le Régent de Louis XV, alors au début de son règne, entend renforcer encore le système colonial et remédier aux entorses qui y sont faites, notamment au commerce en contrebande avec l'étranger qui s'intensifie au cours des périodes où la métropole, du fait des guerres notamment, ne parvient pas à ravitailler correctement les îles. Les instructions qu'il donne à La Varenne, le nouveau Gouverneur, et à Ricouart, l'Intendant, vont jusqu'à encourager les garçons et les filles à se marier respectivement à 18 ans et 14 ans. Appliquées dans le mépris des créoles, elles fâchent à peu près tout le monde.

 

La colère des colons explose lorsqu'en 1717, le pouvoir royal décide d'interdire la création de nouvelles sucreries en Martinique, les quantités produites étant trop importantes, compte tenu des invendus pendant la guerre qui sont mis sur le marché après 1713. Après avoir renoncé, contraints et forcés, au droit de raffiner le sucre en Martinique et aux profits qu'ils auraient pu en tirer, les colons n'entendent pas se laisser priver de l'espoir d'accéder au statut supérieur de sucrier. Le 17 mai, un groupe de révoltés kidnappe le Gouverneur et l'Intendant au Diamant. Dans le même temps, 2 500 colons se rassemblent au Lamentin, obligeant des officiers de milice, dont Dubuc, riche propriétaire de Trinité, à marcher avec eux. Ils désignent Dubuc pour diriger l'île. Celui-ci tempère les ardeurs des colons, qui parviennent cependant à expulser le Gouverneur et l'Intendant. C'est le « Gaoulé » des colons. En fait, ils restent fidèles au roi mais dénoncent par là les abus de l'Exclusif et revendiquent par la même occasion une participation plus grande à la prise de décisions locales. Sous diverses pressions, et face à la révolte générale (même la milice s'est jointe aux colons) et au risque d'une révolte encore plus grande en cas de répression, le roi décide finalement, contrairement à ses habitu-des, d'amnistier les responsables, à la surprise générale.

 

De la main d'oeuvre

 

Le développement de l'industrie sucrière repose sur le système de l'Exclusif, mais aussi sur la traite et l'esclavage. Pendant deux siècles, l'es-clavage va « formater » la société martiniquaise. Il laissera une trace indélébile.